Le Président Gilles Simeoni, dans le courrier qu’il a adressé ce 29 juin 2016 au Premier Ministre, Manuels Valls, afin de l’inviter à réfléchir sur la question, à l’occasion de son déplacement dans l’île prévu lundi, distingue la théorie et la pratique.
Une lettre qui procède d’un échange avec l’association Sulidarità et les représentants de la Ligue des droits de l’homme à la suite de la conférence de presse qu’ils ont tenue plus tôt dans la matinée ce même jour. Après celle du Président de l’Assemblée de Corse au Ministre de la Justice, voici la lettre du Président du Conseil Exécutif au Premier Ministre :
Ajaccio, le 29 juin 2016
Monsieur le Premier Ministre,
A la veille de votre visite particulièrement attendue en Corse, en compagnie de plusieurs membres du Gouvernement, j’ai l’honneur, en ma qualité de Président du Conseil Exécutif de Corse, d’appeler solennellement votre attention sur la situation des prisonniers politiques corses (lien).
Je sais que vous considérez que cette catégorie n’existe pas en droit français.
Aussi dois-je vous préciser que j’entends par « prisonniers politiques corses (lien) » les personnes originaires de l’île actuellement détenues pour des faits commis pour des raisons politiques, infractions relevant du régime dit « de terrorisme ».
Ainsi définis, il me semble incontestable qu’il existe des « prisonniers politiques corses (lien) » et ce d’autant mieux que si la notion est introuvable dans le code de procédure pénale, cette catégorie de détenus se voit appliquer en droit pénal et pénitentiaire, des mesures exorbitantes du droit commun : non application des règles de rapprochement, appel systématique du Parquet en matière d’application des peines, régime particulier en détention…
La situation et le sort de ces détenus sont, incontestablement, une composante à part entière de la situation politique en Corse : faisant partie du problème, prisonniers politiques corses (lien) font et feront nécessairement partie de la solution.
La situation politique actuelle de la Corse est en effet caractérisée par le retour à la paix civile et un dialogue politique démocratique et apaisé.
Les élus de la Corse, dans la diversité de leurs convictions, ont joué un rôle majeur dans ces évolutions ; les citoyens de l’île aussi.
En outre, les clandestins du FLNC-UC (lien), principale organisation clandestin, ont également contribué à cette situation en annonçant unilatéralement le 25 juin 2014 (lien), leur choix de mettre un terme définitif à l’action violente et clandestine.
L’organisation FLNC du 22 octobre (lien) a également annoncé le 3 mai 2016 (lien) sa décision de cesser ses activités militaires.
La Corse est donc aujourd’hui en situation de tourner définitivement la page d’un conflit politique qui s’est développé, pour la période contemporaine, sur près d’un demi-siècle, et qui a eu, pour tous ses protagonistes, un coût humain, économique et politique extrêmement lourd.
Il est de notre devoir impérieux de responsables politiques et de dirigeants, à Paris comme en Corse, de consacrer à cette entreprise : La Corse et les Corses bien sûr, mais aussi l’Etat, qui doit à son tour faire des gestes politiques forts.
J’espère de tout cœur que votre venue en Corse sera l’occasion de les annoncer.
La construction de la nouvelle donne entre la Corse et l’Etat passe aussi, comme cela a au demeurant toujours été le cas en France et dans le monde, en situation de sortie de crise ou de conflit politique aigus, par le traitement politique du sort des personnes condamnées, poursuivies, ou recherchées pour des faits liés au dit conflit politique.
L’Assemblée de Corse a, le 28 mai 2015 (lien), voté à une très large majorité incluant des élus de gauche, de droite, de nationalistes, une délibération favorable au principe d’une loi d’amnistie (lien).
Plus de 150 communes (lien) de Corse ont, toutes appartenances politiques confondues, délibéré dans le même sens.
Nous-mêmes, en notre qualité de nouveaux dirigeants de la Corse, avons été élus sur la base d’un programme politique et d’un contrat de mandature incluant la demande d’amnistie : nous sommes donc mandatés par le suffrage universel pour défendre cette mesure et en obtenir l’application.
J’ai eu l’occasion de vous exposer l’ensemble de ces éléments lorsque vous avez bien voulu nous recevoir à Matignon, le 18 janvier (lien) 2016, le Président de l’Assemblée de Corse et moi-même.
Après que nous vous ayons exposé notre vision des choses et nos arguments sur ce point, vous nous avez indiqué en réponse que la question de l’amnistie n’était pas, pour vous à l’ordre du jour.
Nous avons pris acte de cette position, l’avons regrettée vivement, et avons néanmoins choisi de poursuivre loyalement le chemin du dialogue, conformément à l’attente des Corses, qui espèrent de nous comme de vous, l’ouverture d’un chemin conduisant à une solution politique.
Toujours concernant la situation des prisonniers politiques, nous avons fait valoir qu’il était possible, y compris à droit constitutionnel et législatif constant, de prendre sans délai des mesures de nature à faire cesser la situation selon laquelle les prisonniers condamnés ou poursuivis pour des faits en relation avec la situation politique corse se voient appliquer ainsi qu’à leurs familles un régime dérogatoire au droit commun, et plus sévère que celui-ci.
Ces mesures relèvent du rapprochement (lien) – promis solennellement au nom de l’Etat par de nombreux représentants de Gouvernements successifs et jamais mis en oeuvre de façon loyale, de la politique pénale du Parquet hiérarchiquement soumis au Garde des Sceaux – en matière de libération conditionnelle, ou encore du régime de détention : l’isolement délibéré de plusieurs détenus corses dans certains établissements les expose à des risques particuliers qu’il est urgent de faire cesser.
Les gestes que vous pourriez faire en ce sens sont attendus et espérés par une très grande majorité de Corses.
Ils sont légitimes, conformes au droit positif, et ne peuvent objectivement alimenter ni douleur, ni incompréhension, ou polémique.
Ils sont enfin de nature à consolider de façon irréversible le climat d’apaisement et de dialogue auquel nous sommes tous attachés, et dont la corse et l’Etat à besoin.
Vous remerciant par avance de l’attention qui sera portée à la présente et aux suites qu’elle comporte, je vous prie de croire, Monsieur le Premier Ministre, à l’assurance de ma plus haute considération.
Avec mes sentiments les plus respectueux
Gilles Simeoni.