INTERVIEW Accordé au mensuel corse « In Corsica » que dirige Constant Sbraggia:
Question : L’Etat dit non à tout : la Co officialité de la langue, le statut de résident, la révision de la Constitution, les Arrêtés Miot, la compétence fiscale etc. Au fond, rien d’étonnant ?
Réponse : Une précaution liminaire : le peuple corse et le peuple français sont doublement frères comme sont frères en humanité tous les peuples du monde ; de plus, l’histoire nous a liés, depuis 247 ans, par l’imbrication de nos populations respectives, dans les épreuves, dans les guerres, dans les erreurs, les joies et les succès. Ce constat n’interdit ni la lucidité ni la vérité.
Depuis la conquête militaire, à Pontenovu en 1769, la France a choisi et imposé l’assimilation totale, l’inclusion forcée de la Corse et de toutes les identités hexagonales et des populations ultra-marines, dans son modèle, ultra centralisé, pyramidal, sans tolérer la moindre différence, -autre que folklorique-, fut-elle la plus minime ; elle avait sacralisé d’abord, la royauté puis l’empire ; elle a fait de même pour la République. Aujourd’hui, elle est égale à elle –même ; elle refuse des citoyennes et citoyens adultes, majeurs, émancipés mais elle veut formater des sujets dociles, voire serviles. C’est inacceptable et insupportable.
Question : Vous dites « Etat colonial », n’est-ce pas abusif ? C’est davantage du Talamoni que du Simeoni.
Réponse : Jean Guy Talamoni, indépendantiste, leader de Corsica Libera, Président de l’Assemblée de Corse, est né au mois de Mai 1960, juste au moment où, à la fin de mes études médicales, je me suis engagé dans la lutte, à Marseille, en créant l’Association de Etudiants Corses qui a contribué, derrière toute l’île, à faire capoter le funeste projet de l’Argentella, près de Calvi, promis à des expérimentions nucléaires. Mes écrits, mes propos d’alors dénonçaient le colonialisme français, défendaient le peuple corse puis Arritti, créé par Max Simeoni en 1964, en a fait le leitmotiv de notre combat, dès 1967. On ne peut donc nous taxer de suivisme. Nous étions à l’avant-garde.
J’affirme avec conviction qu’il existe un peuple corse, une nation corse, c’est à dire ayant une langue, une culture, un territoire, la volonté de vivre un devenir commun ; la Corse est une colonie française. On peut prétendre, avec aplomb et sans rire, qu’il existe dans l’ile, un mode de tutelle inadapté, une incompréhension. C’est une fable, dérisoire et tragique, après les décennies de lutte pour la liberté, faite de tumultes, d’affrontements, de 10.000 attentats, de deux cents morts, de justice d’exception, de milliers d’années de prison distribuées, de prisonniers politiques ….
Peut-on qualifier autrement que de colonial le fait d’acheter à Gênes un Pays indépendant, de s’imposer par la force, de réprimer férocement pendant quarante ans ? D’instaurer en 1812 , sur une terre pourtant française, un régime douanier qui taxe les produits corses à l’exportation et détaxe les produits français arrivant dans l’ile, condamnant notre faible économie à la mort ? N’est-ce pas dans une colonie lorsque, après la boucherie de 1914, où les Corses on fait montre de courage, de loyauté, de fidélité que l’Etat a organisé et prolongeé la saignée par un exil organisé des Corses pour la fonction publique métropolitaine et coloniale, le territoire insulaire étant laissé à l’abandon, en déshérence ?
Ne sont-ils pas coloniaux, les discriminations de la Loi Deixonne ? et le Hudson Institute ? Et Le Schéma d’Aménagement de la Corse en 1972 qui prévoyait la main basse sur les terres agricoles et les ressources touristiques ? et les Boues Rouges ? et Aleria – élément fondateur de la révolte corse contemporaine- ? Et la naissance du FLNC en qui était inévitable même si je ne partageais pas ce choix ? Et les polices parallèles de Francia ? et le soutien constant au système claniste, a démocratique qui s’est discrédité, nous a ruinés moralement, en toute impunité, dans un système de fraudes électorales, de non-droit, de corruption, de clientélisme. Mitterrand, contraint, a initié une réforme insulaire mais limitée, par calcul ; par contre Rocard puis Joxe, des hommes d’Etat, sincères, avaient compris la réalité du problème corse. Le colonialisme et le clanisme ligués comme d’habitude, ont fait échouer l’intéressante réforme des listes électorales portée par Pierre Joxe, donc l’assainissement démocratique.
Question : Quoiqu’il en soit, la France centralisatrice reste la France centralisatrice qui use du 49,3. Un anachronisme européen. Ni la décentralisation telle qu’elle est pratiquée ni la loi Notre n’infléchiront cette donnée. Donc, quelle votre opinion sur la France actuelle ?
Réponse : La France est un « Etat-nation » qui a d’immenses ressources et des qualités mais reste empêtrée dans une architecture et dans un système politique désuets, avec un corps social et une économie ligotés par l’Etat et son administration, dirigée par la nomenklatura issue de l’Ena surtout ; elle est favorable à une structure européenne des Etats, inefficace, technocratique, coupée des peuples, paralysée parce que privée de ses principaux et indispensables attributs ( Défense, Affaires Etrangères, Budget….) ; de plus, la démocratie réelle est faible en France qui traverse une grave crise de confiance. L’article 49-3, la loi-Nôtre la décentralisation incomplète, sont davantage des signes de désarroi ou d’immobilisme que de lucidité politique ; ils ne sont pas des problèmes fondamentaux comme l’est, par contre, la réforme, nécessaire et concertée, du Code du Travail…En panne et contestée !!!
Question ; José Rossi lorsqu’il dit qu’il pourrait être favorable à un statut d’autonomie de la Corse à la condition d’avoir la garantie que cette réforme ne constitue pas un marchepied pour l’indépendance ?
Réponse : J’ai connu José Rossi en 1980, avant les élections territoriales et nous sommes devenus collègues en 1982, à l’Assemblée de Corse puis amis rapidement ; je le considère comme un homme de progrès, intègre, capable, réformateur – il a été rapporteur de la loi Joxe, sous un gouvernement de gauche -; il m’a dit, il y a trente ans, qu’il était favorable à l’Autonomie Interne dans le cadre de la RF et il n’a pas changé depuis. IL ne veut pas de l’indépendance qui est, je le rappelle, une revendication légale ; la renonciation à la violence par le FLNC– fait politique majeur- devrait le rassurer car elle signifie que le problème de l’indépendance, comme de l’Autonomie d’ailleurs, ne pourrait se poser sans la consultation et la validation du peuple. Je rappelle que le programme du gouvernement actuel de la Corse ne comporte pas, pour la mandature en cours, de revendication d’indépendance. Les garanties sont donc solides. Nul ne peut décider, à leur place, des choix des futures générations ; elles les feront en toute démocratie
Question : Votre appréciation sur ces premiers mois de mandature nationaliste à la Région ?
Réponse : Les nationalistes ont accédé aux responsabilités le 17 Décembre 2015, il y a donc cinq mois et demi. Ils ont trouvé un Pays au ralenti – la priorité a été donnée à la remise en marche d’une administration, rendue transparente et rigoureuse- et dans de grandes difficultés économiques et financières dont 107 Millions d’euros de déficit qu’il a fallu étaler pour l’éponger, sans effort fiscal particulier et avec un recours à l’emprunt, important mais indispensable ; mais plus encore, ils ont affronté une crise morale corse, de confiance et des problèmes graves, mal traités auparavant ( Transports Maritimes, Déchets, troubles aux Jardins de l’Empereur) ; je pense qu’ils ont fait preuve de maitrise, de mesure, de sang-froid et qu’aujourd’hui, les voies choisies et en cours de consolidation, semblent, sur ces problèmes, fiables et prometteuses. Le projet énergétique est bon, le calendrier fixé ; le tourisme est désormais bien orienté ; l’agriculture semble connaitre un regain de vivacité et d’intérêt chez les jeunes corses. La culture reste vivace et elle sera un des piliers de la Corse nouvelle ; l’économie souffre ( chômage, vie chère, crise du logement en Corse, santé publique, commerce, asphyxie des TPE par la langueur économique et le surtaxes, précarité….), en Corse, sur le continent et dans l’UE. La CTC y consacre beaucoup de réflexion et de moyens, notamment par l’Adec qui tisse des partenariats utiles avec les chambres consulaires, les entreprises, les Associations..
Question : Que pensez-vous lorsqu’on reproche au Président du Conseil Exécutif d’être trop dans la Com ?
Réponse : Dans nos sociétés et plus particulièrement en Corse -un bocal fermé où les échos résonnent fortement- et où la situation est anxiogène depuis 50 ans, majorée souvent par le prisme grossissant, voire déformant, d’une certaine presse hexagonale, la médiatisation et donc la communication, amplifiées par les réseaux, ont pris une place excessive. Je le regrette et je crois, dans la vie publique et donc aussi à la CTC, en la maîtrise, la mesure et la qualité dans la communication.
Question : Votre positionnement sur le projet de collectivité unique que vous qualifiez de « hochet »
Réponse : Cet énième Statut est une manœuvre dilatoire de l’Etat pour retarder la véritable solution de la question corse ; il mise sur le temps et la spéculation pour laisser aliéner notre patrimoine ; sinon, il n’aurait pas mitonné quatre Statuts, frileux et il aurait fait appliquer la Loi Littoral – sans la qualité du tribunal Administratif et la pugnacité des Associations de défense, nous serions déjà perdus- ; il aurait fait valider l’immense travail, -qu’il avait d’ailleurs cosigné- du « Collectif pour les Arrêtés Miot » qu’animent Me Alain Spadoni, Louis Orsini et la société civile, les élus locaux… ; ici l’Etat s’est réfugié de manière hypocrite derrière le refus, prévu, du Conseil Constitutionnel ; il est d’ailleurs inerte depuis.
Quant à notre identité collective et notre culture, elles sont menacées par le flot ininterrompu de 4.000 arrivants (INSEE) par an que nous sommes dans l’incapacité d’intégrer, faute de développement économique.
La Collectivité Unique s’embourbe dans les petits jeux politiciens – le clan n’a pas renoncé-et exclut par les Niets de l’Etat, les véritables réformes votées par l’Assemblée de Corse ; sans souffle, sans contenu réel, sans volonté politique, sans dialogue réel, elle s’enlise dans un calendrier surchargé. L’échec est déjà acté.
Question : Pour vous, quelle serait la grande réforme, à la fois nécessaire et réaliste, c’est-à-dire qui ne heurte pas frontalement l’Etat ?
Réponse : Elle est claire ; il faut partir de zéro, créer une concertation réelle avec l’ensemble du peuple corse, de l’île et de la diaspora, choisir le contenu et le périmètre d’émancipation, fixer un calendrier ; ainsi on peut peut-être créer une confiance, actuellement inexistante mais capitale.
Selon des dizaines de milliers de Corses, Il faut un Statut d’Autonomie Interne – il y en a 80 en Europe- dans le cadre de la République Française et de l’Union Européenne ; il permettra de reconnaitre notre peuple et son droit à maitriser démocratiquement son destin interne, son territoire et son développement économique, social et culturel. Les droits légitimes des parties doivent être garantis. Une amnistie des faits politiques libérerait les prisonniers politiques car ils sont partie intégrante du problème et conformément aux usages en vigueur, ils devront faire partie nécessairement de la solution. Nous avons des atouts importants -épargne, richesses naturelles et humaines, notamment avec la diaspora)- une jeunesse ambitieuse et capable… ; nous sommes adossés surtout au Droit International à l’autodétermination.
Le temps des palinodies est dépassé ; il faut exiger, imposer par la lutte, par le dialogue interne, la concertation, sur tous les terrains, la volonté de la Corse, organisée, non-violente- la violence sonnerait le glas de toutes nos espérances- ; elle doit être couplée avec la lutte institutionnelle dont il serait illusoire de croire qu’elle puisse, seule, contraindre Paris à admettre et à accepter l’émancipation du peuple corse-. Il existe une opinion publique, une conscience, des institutions internationales habilitées et nous allons y recourir. Contraints et forcés mais déterminés. Demain, nous serons libres ; je n’en ai jamais douté parce que cette exigence de liberté – manifestée au cours des siècles- et consubstantielle de notre existence collective, est légitime, conforme à la justice, à l’Histoire et au Droit.
Dr Edmond Simeoni
29/05/2016