Le dossier déchets entre dans sa phase cruciale, quand les moyens disponibles pour absorber les déchets produits arrivent à saturation. 180.000 tonnes ont été enfouies en 2015, pour une capacité d’accueil de 95.500 tonnes : même en intégrant une meilleure performance 2016 pour le tri car quelques volontés locales ont quand même émergé dans la suite de la crise des déchets de fin 2015, on sait que dès le mois d’août les déchets produits en Corse sont sans débouchés autorisés dans les Centres d’Enfouissement Techniques de Prunelli, Vighjaneddu ou Vicu qui auront atteint leurs limites annuelles autorisées. Cette situation d’urgence impose d’agir vite et bien, à savoir aller vers une solution durable en généralisant au plus vite le tri sélectif pour ramener de façon naturelle à moins de 100.000 tonnes les quantités annuelles à enfouir.
Pour 2016, l’impasse est inévitable, et toute solution transitoire, export, stockage en balles dans l’attente de l’ouverture de nouvelles capacités de stockage, ou dépassement des quotas dans les CET en service n’est possible qu’à condition que les années suivantes permettent réellement de réduire les tonnages annuels ensuite pour « rattraper » le sur-stockage de 2016. Et on ne peut plus se payer de mots : il faut entrer rapidement en phase d’action concrète pour que chacun, face à des perspectives aux résultats crédibles, puisse faire l’effort d’adaptation exigé par le très court terme.
Un rapport à ce sujet a été produit par l’Exécutif, à l’initiative de l’Office de l’Environnement et de sa Présidente Agnès Simonpietri, Conseillère Exécutive en charge du dossier.
Ce rapport comprend deux volets : la structuration de long terme, présentée de façon concrète et détaillée, et la mise en place d’un dispositif transitoire de sur-tri appliqué aux ordures mélangées pour en retirer les tonnages excédentaires avant enfouissement durant les premières années.
Le Plan d’Action pour la réduction et le traitement des déchets ménagers de Corse
Actuellement 160.000 tonnes de déchets ménagers sont enfouis, auxquels s’ajoutent 20.000 tonnes issues des déchetteries. Pour arriver à un équilibre avec la capacité d’enfouissement disponible, il faut en retirer 80.000 tonnes en sus des 18.000 tonnes déjà triées par apport volontaire. Est-ce possible ? Bien sûr puisque le taux de tri en Corse atteint à peine 8%, quand il atteint plus de 50% (soit pour la Corse un objectif de 87.000 tonnes, 69.000 tonnes de plus qu’en 2015) dans de très nombreux exemples en Europe, et jusqu’à 80% dans l’exemple de Capànnori en Italie qui a été mis en avant par l’association « zeru frazu » et dont la majorité actuelle de l’Assemblée de Corse a décidé de s’inspirer. En y ajoutant un effort sur les déchetteries qui renvoient à l’enfouissement 20.000 tonnes, bien au delà des seules erreurs de tri, la Corse sera alors avec une production de déchets ultimes absorbable par les moyens actuels d’enfouissement.
Comment y parvenir ? Le rapport préconise de séparer les moyens mis en œuvre en zone rurale qui produits 25% des déchets ménagers enfouis, et ceux nécessaires en zone urbaine et péri-urbaine dont l’enjeu est 75% des quantités.
Le principe posé pour les moyens à mettre en œuvre est que les déchets doivent être collectés en un même point pour chaque usager, et non les OM mélangées à sa porte et les ordures triées sur des points d’apport éloignés. Il faut que la collecte des OM triées soit aussi commode pour l’usager que celle des non triées, faute de quoi il y a une véritable dissuasion au tri. D’où le principe du porte à porte pour les emballages, dans les sacs jaunes, en strict parallèle avec les circuits de ramassage habituel des ordures. Dans les zones denses (centres de villages, espaces touristiques denses, et bien sûr dans les villes), le porte à porte doit s’étendre aux fermentescibles de façon à alimenter des centres de compostage de proximité, avec un outillage adapté à chaque taille d’agglomération, pour qu’il soit réalisé dans les règles de l’art. Le rapport détaille ces outils selon le volume concerné, pour que les coûts soient adaptés, et le fonctionnement optimisé économiquement et techniquement.
Dans tous les cas, l’habitat diffus, rural ou péri-urbain, sera encouragé à traiter par lui-même ses fermentescibles, de façon autonome, par des installations très simples de compostage individuel, en liaison avec les activités d’entretien de son terrain (élagage, jardinage, etc…).
En donnant des préconisations détaillées, adaptées aux différentes situations rencontrées en Corse, tant sur les modes de collectes que sur les outils de traitement, le rapport de l’Exécutif crédibilise sa démarche. Il définit les cas de figure différents en listant les investissements nécessaires presque au cas par cas. A l’usage, certaines propositions seront très certainement adaptées aux contextes effectivement rencontrés, mais la feuille de route est claire et précise. Elle est un engagement sans ambiguïté pour un avenir fondé sur le tri à la source, et au fur et à mesure que la mise en œuvre aura commencé et validé les principes mis en avant sur la base de l’exemple de Capànnori, l’action sera forcément contagieuse. D’autant plus que l’étude financière conclut, compte tenu des prix actuels pratiqués pour transporter et enfouir les OM des collectivités locales, à une forte attractivité économique pour l’usager dont le coût des OM pourra enfin baisser.
Pour tous ceux qui sont mobilisés sur la question des déchets, collectifs, associations, collectivités, particuliers, ce plan d’action mis en avant par l’Assemblée de Corse est un point d’appui efficace. Il permet à tous de se rassembler pour porter les projets concrets. Il était capital que la Collectivité principale de la Corse porte enfin cette politique sans s’abriter derrière de simples déclarations d’intention jamais suivies d’effet.
Les propositions pour la période d’urgence
Le constat est là : 80.000 tonnes annuelles de déchets sont en excédant par rapport aux capacités existantes pour les traiter. A quel rythme cette quantité sera-t-elle absorbée par les progrès du tri sélectif, et que faire en attendant ? Le rapport prévoit trois scénarios. En hypothèse haute, c’est en 2019 que l’on sera en mesure de trier en amont ces 80.000 tonnes, en 2021 en hypothèse moyenne, et 2022 en hypothèse basse. Pour passer ces trois à six années, le rapport préconise de mettre en place de façon transitoire des installations de sur-tri des OM mélangées.
Ces installations consistent à séparer les éléments les plus gros de maille supérieure à 8 cm, parmi lesquels se concentreront les boîtes de conserve, les bouteilles de verre ou les bouteilles plastiques qui n’auraient pas dû se trouver dans les OM mélangées, et que l’on pourra retirer manuellement sur des tapis, ou avec le concours de technologies comme l’utilisation des courants de Foucault.
Les matières de petite taille concentreront l’essentiel des fermentescibles non triés. Là encore un tri manuel récupérera les erreurs de tri les plus flagrantes, et le compostage sur ces quantités réduites deviendra possible qui réduira le poids et le volume ce que l’on sera obligé in fine de porter en décharge. Ces dispositifs permettront de retirer de l’enfouissement environ 30 à 35% du contenu de chaque camion, soit de l’ordre de 45.000 tonnes sur la base des tonnages annuels actuels. Ce soutien est indispensable les premières années pour que le tri sélectif prenne son essor, et chaque année sa productivité baissera au fur et à mesure que les OM transportées seront délestées de l’essentiel des emballages, bouteilles et autres fermentescibles par le tri en amont. C’est donc un dispositif transitoire, indispensable pour franchir le cap des premières années, qui seront implantés aux débouchés des quatre grandes zones productrices de déchets : un pour la région bastiaise, depuis le Cap Corse jusqu’à la Casinca, un pour la grande région ajaccienne, un pour la Plaine Orientale et le Grand Sud, et un pour la Balagne et le Centre Corse.
Prévus pour une utilisation à titre transitoire, le rapport préconise que ces installations soient démontables, et qu’elles soient louées plutôt qu’achetées.
L’ensemble des deux documents présentés par l’Exécutif forment une proposition concrète, sérieuse et cohérente. Il faudra des outils et des moyens pour en assurer un plein succès sur le terrain. Mais, sur la base des orientations retenues, la Corse est enfin en mesure de gagner la bataille des déchets !