(source) Boris Cyrulnik, l’éminent éthologue, psychiatre, neurologue et psychanalyste a bien étudié et vulgarisé ce concept de résilience que l’on peut expliciter par la phrase : « Comment renaître de sa souffrance ?» ; il concerne, bien entendu l’individu en tant que tel mais on peut étendre ce processus de reconstruction à une société, à un Pays, une communauté, une ville.
C’est, dans cette optique, que je veux essayer de confronter la notion de résilience à la Corse, son évolution, sa situation : tant elle semble résumer son histoire depuis l’année 1.400 environ. Opportune, significative, la naissance d’un nouveau média –Media Corsica- enrichit le réveil de l’île. Il a pour partenaire notamment, le dernier-né- Emancipa Corsa, une récente association de jeunes compatriotes qui vivent en Balagne et sur le continent et s’attachent à accompagner, avec passion, le développement de entreprises locales. Un furtif survol insulaire permet de tracer les lignes de force de ces cinq derniers siècles :
L’ile a vécu mille tourments depuis le treizième siècle ; agression des barbaresques, puis colonisations successives des Romains, des Pisans, et surtout des Génois, pendant plusieurs siècles ; la France s’est imposée en Corse en 1769, par la bataille de Ponte-Novu, inévitable défaite, compte tenu de la disproportion écrasante des forces en présence : les armées du Roi de France face à des milices du Général de la Nation, Pascal Paoli qui succombèrent sous le nombre et la qualité technique des assaillants.
La France qui, depuis les Capétiens, organise un système très centralisé d’Etat-Nation, a élargi ses frontières, raboté les identités régionales, unifié le Pays ; après l’Empire, elle s’est essayée à la colonisation en Afrique, Indochine etc ; mais, la vague de décolonisation, l’a confinée, à partir de 1950, dans ses frontières hexagonales. Le peuple corse n’a jamais renoncé à la liberté et tout particulièrement contre la nazisme.
A cette date, la Corse est paupérisée et peu développée ; largement atteinte dans ses forces vives – la population insulaire atteignait alors 300.000 habitants- par la saignée de la guerre 14-18, – 13.000 morts et des dizaines de milliers de blessés-, elle entre brutalement, en 1960, elle la cendrillon agro-pastorale, dans le siècle de l’argent, avivé par les Trente Glorieuses ensuite ; l’exode, vers la fonction publique métropolitaine et coloniale, la guerre, l’avaient fortement dépeuplée ; la mise en valeur agricole n’est pas équitable et le projet touristique laisse peu de place à la population locale car elle privilégié un tourisme exogène, de grandes sociétés.
Dès cette date, naissent les premières contestations où le régionalisme naissant prend toutes les luttes à son compte, avec la création du Cedic puis d’Arritti , dans un climat local et diasporique, d’indifférence, de doute et de fatalisme ; il a fallu, face à l’Etat et au clanisme ligués, des décennies de résistance acharnée, des autonomistes puis des nationalistes y compris clandestins, des militants culturels – le Riacquistu-, écologistes puis, à un degré nettement moindre, des forces de progrès, pour donner l’espoir au peuple corse, à travers trois Statuts, certes insuffisants mais annonciateurs du dégel, contraint et forcé, de la banquise du centralisme français.
Le virage majeur se situe en 2010 quand les élections territoriales voient le potentiel nationaliste, toutes tendances confondues, atteindre le score de 36°/° ; les succès, à la mairie de Bastia en 2014, puis à la Collectivité Territoriale de Corse, en 2015, parachèvent la progression des idées d’émancipation du peuple corse, dans le cadre euro-méditerranéen.
En fait, dès 2005, la situation de la Corse, en retard de développement, aliénée par un système claniste et clientéliste rétrograde, ayant perdu le sens de ses valeurs, commence à s’éclaircir ; tant au point de vue démocratique qu’économique, culturel et moral. Les luttes, diversifiées, sur tous les terrains, ont été les signes de la prise de conscience des Corses de l’île et de la diaspora, les moteurs de la rénovation tant espérée mais si lointaine et apparemment inaccessible.
Mille bourgeons ne font pas le printemps mais ils l’annoncent ; depuis dix ans, je les relève patiemment, assistant au flux continu, croissant, encourageant, des démarches, des projets, des réalisations, des initiatives avec leur lot d’échecs, de tâtonnements ; à l’enrichissement et à l’ouverture du débat public, dans la presse, les réseaux sociaux, les cercles de réflexion ; à l’information et à la maturation du corps social ; à l’implication croissante de la jeunesse, notamment dans le processus électoral, dans le sport et surtout à la reprise de l’espérance et de la volonté collective dans une société qui étaient affaissée, découragée. Sur un fond de sensibilisation populaire élargie qui s’exprime aujourd’hui, à travers les résultats électoraux des forces de progrès, la création d’associations, de Collectifs, – écologistes, pour les prisonniers politiques….- ; le dialogue est argumenté et plus tolérant, les luttes sont plus responsables et dont les étudiants nous ont fourni la preuve cette année.
IL faudrait des dizaines de pages pour recenser expliquer, décrypter, relier, tous les signes d’espoir : la culture s’enrichit dans tous les domaines, écarte l’enfermement et est mieux partagée ; l’économie, certes atone, montre des signes indéniables de volonté de progrès, grâce aux forces vives de la société civile, à l’Université, aux Nouvelles technologies ( Informatique, robotique) et aux Energies renouvelables ; grâce aux résultats de la viticulture – une véritable résilience à elle seule- à la structuration de l’agriculture biologique, aux progrès de l’aquaculture, aux succès sportifs, à la floraison des livres, des expos, des conférences etc. Le succès, majeur, de la culture de masse des Echecs en Corse, portée par Leo Battesti et son équipe, atteste, dans un domaine qui suscitait le scepticisme, que les chemins de l’excellence sont accessibles si la volonté et la constance sont à l’œuvre. Il y a aussi un frémissement du renouveau de la spiritualité et de la foi avec la confirmation des Confréries, l’espoir des nouvelles vocations.
La diaspora s’organise, se mobilise s’implique davantage en Corse ; la Non-Violence s’implante, grâce à Umani et à Jean François Bernardini, avec le soutien de François Vaillant et de la publication « d’Alternatives non-violentes.
La Corse s’ouvre à l’extérieur : en Méditerranée ( Sardaigne, Catalogne), aux Etats-Unis, dans les échanges politiques, économiques et culturels.
Certes, les plaies de la société corse sont vives, à nu, sur tous les plans et sur tous les chantiers ; en particulier de la démocratie balbutiante, de la gestion trop laxiste, des violences, du retard de développement, des égoïsmes corporatistes, de l’inaptitude à l’autocritique, des accommodements avec la morale publique et privée ; certes le chemin est encore très long, difficile, surtout dans un monde en convulsion, en crises, en dérèglement dans tous les domaines, pour construire une Corse, volontaire, authentique, responsable, développée, apaisée, plus juste, plus équitable, plus solidaire, plus fraternelle envers les autres hommes. Une Corse imprégnée d’humanisme.
Mais si le challenge est ardu, les atouts sont importants dans l’île et dans la diaspora – humains, naturels, financiers (épargne)- ; enfin nait la volonté, encore timide mais avérée, pour reforger et respecter des valeurs, pétrir une conscience collective, restaurer nos droits et notre identité. La résilience…. Une résurrection dont je n’ai, pour ma part, jamais douté, dans les tourments, les épreuves collectives, convaincu que j’étais que le peuple corse était vivant et voulait vivre, qu’il avait le droit international pour valider et enraciner, modestement, la maîtrise de son destin, que l’aube de la liberté approchait. Inexorablement…parce que juste et dans le sens de l’Histoire.
Dr Edmond Simeoni
Ajaccio le 26 Avril 2016