« Dis-moi dans quel quartier tu es mort et je te dirai comment tu vivais. »
Philippe Bouvard -Mille et une pensées
Les événements que les Jardins de l’Empereur ont subi à Aiacciu, la manifeste situation de dégradation constatée officiellement à Pifano, ville de Portivecchju, ont incité les municipalités concernées à mettre en place des « conseils de citoyens ». Ces conseils ont pour objectif la mise en place d’un espace de propositions et d’initiatives à partir des besoins des habitants. Une mise en place qui, dans le contexte que connait la Corse, suppose une plus ample réflexion : la citoyenneté ne saurait s’accommoder d’une partition qui ne dit pas son nom…
Les conseils de citoyens naissent de la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine en février 2014. Ils visent à créer des » dynamiques citoyennes » dans l’ensemble des quartiers présentés comme « prioritaires ». Ils se parent d’un certain nombre de considérants propres à l’exercice démocratique tel que l’indépendance, la pluralité ou la parité. Les conseils citoyens » ont vocation à favoriser l’expression d’une parole libre ». Ils s’appuient sur les dits principes républicains du système en place : la liberté, l’égalité et aussi la laïcité. Ainsi, à ce titre, « il ne saurait y être toléré d’actes prosélytes ou manifestement contraires à la liberté de conscience de ses membres ».
Chacun comprendra en filigrane, la situation de ces quartiers gravement frappés par la pauvreté sociale, la désolation culturelle, et le repli communautariste. Ils caractérisent l’échec du modèle d’intégration français, car il y a « discordance entre l’égalité des droits proclamée et des inégalités de fait qui subsisteraient ( Jean Claude Sommaire – La crise du modèle français d’intégration ) ». La forte proportion d’une immigration maghrébine, la situation conflictuelle du Proche et Moyen Orient, les sanglants attentats d’Al Qaïda puis de l’Etat Islamique en Europe, participent au problème posé.
Ces conseils de citoyens revêtent une toute autre dimension en Corse. Ils mettent naturellement en relief la réalité de certains quartiers de nos villes qui,comme en France, se distinguent par ces regroupements traduisant l’exclusion communautaire et sociale. En matière de politique de la ville, la Corse s’est particulièrement illustrée ces dernières années en copiant des modèles de constructions urbaines et péri urbaines en inadéquation avec son historique réalité humaine et son environnement naturel. Le béton avilissant n’affecte pas que nos côtes…
Il ne s’agit pas ici de remettre en cause les choix municipaux ajacciens et porto – vecchiais sur ces « conseils citoyens ». L’expression d’un cadre de vie, sa valorisation, ses échanges avec les institutions en place relèvent d’un juste exercice de démocratie. Il s’agit surtout d’en saisir les limites. On ne peut décemment découvrir une certaine citoyenneté dans le cadre circonscrit de certains quartiers. Sauf à en étendre son expression dans tous les lieux de vie que ce soient au sein des quartiers, des rues, des hameaux, des villages et des villes. On ne peut raisonnablement brandir cette même citoyenneté pour notre quotidien, sauf à reconnaître nos droits d’origine, d’histoire et de culture qui fondent notre peuple.
La Corse n’est pas une région française. Elle est une ile fondatrice d’un peuple et d’une Nation jadis souveraine. Elle est déjà porteuse d’une citoyenneté qui n’a rien à envier à celle prétendument affichée par l’Etat français et que bien des peuples – sous son joug colonial – ont éprouvé… Vincent de Bernardi – qu’on ne peut suspecter de nationalisme – n’écrit il pas récemment dans « Paroles de Corse » d’avril 2016 : « Jusqu’à quand pourra t’on nier l’identité insulaire, la dissoudre dans un discours intransigeant sur une République qui ne souffre guère ni spécificité, ni particularisme? » On ne peut objectivement penser cadre de vie et citoyenneté, si on s’extrait du naturel contexte de notre « campà a l’usu corsu ».
Cet état des lieux nous renvoie également à un tout autre constat. La réalité de certains quartiers traduit également le délaissement, voir l’abandon par le Mouvement National, particulièrement par le Mouvement de Libération Nationale, de cette stratégie d’émancipation sociale qui encore hier se ressentait fortement à Lupinu ( Bastia) ou aux Salines ( Aiacciu ). Une absence, voire un vide qui aujourd’hui devrait interpeller bien des organisations patriotiques… Les contre – pouvoirs parallèles, à quelle échelle que ce soit, doivent demeurer une constance à l’esprit de celles et ceux qui aspirent effectivement à une complémentarité des espaces « lutte institutionnelle » et « lutte de masse ». La nature ayant horreur du vide, notamment en politique, bien d’autres – et non des moindres – pourraient être tentés d’occuper ces espaces pour mieux les détourner…
Notre nationalisme de peuple opprimé ne peut se soustraire de son quotidien. Sa tâche est d’autant plus ardue qu’elle vise à émanciper un commun ensemble humain historiquement identifié et à le projeter dans l’avenir. Cela suppose une construction de tous les instants. Qui commence aussi au niveau d’un quartier. Et pour notre – fondamental – « campà felici » qui sera certainement plus visionnaire que le déroutant “qu’est-ce qu’on s’en branle du futur quand on comprend pas le présent ? ( Orelsan ) »…
Issa tarra hè a noscia è nessun ci po pratenda !