C’est abrupt, brutal; cette affirmation qui exclut toute provocation ou toute dérive gauchiste est le fruit d’une implication permanente dans les luttes insulaires, de décennies d’engagement total contre l’Etat et le clan, depuis cinquante ans, mais aussi le fruit aussi d’une très longue réflexion, d’échanges, d’étude approfondie de l’histoire -d’hier et contemporaine- tant en Corse qu’en France et qu’ailleurs, en Europe et dans le monde.
Cette solution a, ici en Corse, une seule contrainte, indépassable mais de taille : elle doit s’interdire la violence – réveil toujours possible et rédhibitoire- pour arriver à ses fins et elle ne peut utiliser que les moyens démocratiques (manifestations pacifiques, luttes non-violentes multiples, internationalisation, suffrage universel naturellement….L’évolution récente de la jeunesse corse participe fortement de cette orientation. Je vais essayer d’être clair, concis et convaincant.
I°) Les données du problème sont simples ;
Il existe un peuple corse, avec une langue, une histoire, une culture, un territoire – l’ile de Corse- ; il est une nation, c’est-à-dire un peuple qui a le droit international d’être reconnu et qui a la volonté de vivre un avenir commun, paisible, fraternel, dans une Europe et dans un monde où la diversité, admise et respectée, prime. Le nier confine au déni de la vérité et du droit et au choix, indéfendable car injustifiable, de l’arbitraire.
Ce peuple existe depuis des millénaires ; il vivait libre mais sa position stratégique, en Méditerranée, a suscité d’éternelles agressions – les Barbaresques-, des occupations -la tutelle génoise a duré quatre siècles-
Puis, celle-ci a vendu la Corse à la France, comme du vulgaire bétail, un peuple qui s’était libéré de la tutelle génoise par la lutte et que le colonisateur ne pouvait plus contenir ; Pasquale Paoli, le père de la nation corse, homme du siècle des Lumières, arrache l’indépendance nationale de 1755 à 1769 et crée des institutions ( ébauche de Constitution, monnaie, justice, droit de vote aux femmes…).
La France, puissance impériale puis coloniale ne pouvait accepter cette émancipation et, très supérieure, elle écrase l’armée Corse à Pontenovu en 1769. Puis elle se livre à une répression, d’une férocité remarquable jusqu’en 1812 où la francisation forcenée prend le relais des armes ; elle étrangle enfin l’économie de l’île avec des lois douanières iniques,- taxant les exportations et détaxant les importations- pendant un siècle. La population locale n’a droit qu’au silence ou aux révoltes , vite réprimées ; le clanisme est renforcé dans ses exactions, par des passe-droits, une tolérance insigne de ses abus ; en contrepartie, il livre son Pays au colonisateur avec le socle d’une fidélité inconditionnelle à L’Etat qui régente tout. Un deal historique imposé par la force et funeste pour le peuple corse.
Il faut une singulière cécité ou une incroyable mauvaise foi pour nier les résistances permanentes, multiformes, du peuple corse contre les Barbaresques, contre Rome, Pise et contre Gênes et puis, in fine, contre la France –une ode chronique à la liberté-; pour la période contemporaine -1960 à 2016-, on ne compte plus les révoltes, les oppositions, les requêtes ; plus de 10.000 attentats, des justices d’exception, une répression permanente, 3 statuts médiocres et un supplémentaire en préparation, tous frileux car la France joue la montre et est persuadée que le temps et la disproportion des forces antagonistes, la lassitude espérée, jouent en sa faveur. Malgré les évidences et la dénégation historique, l’aspiration à la liberté, -une constante de notre histoire-, se renforce.
II°) Evolutions récentes :
La Corse a suscité, dans la période contemporaine, deux démarches de résistance très longtemps en conflit ; l’une, autonomiste, (création de l’ARC en 1967) agissant dans un cadre exclusivement légal mis à part Aléria en 1975 où l’attitude intransigeante de l’Etat a provoqué le drame ; l’autre indépendantiste (création du FLNC en 1976), utilisant la violence clandestine.
* Le premier tournant politique significatif se situe en 2010 ; la mouvance nationaliste recueille 36% des suffrages aux élections territoriales ( 26% pour les autonomistes et 10% pour les indépendantistes), sur un terrain où le clientélisme, a-démocratique, est enraciné depuis deux siècles. Le système politique traditionnel, en grande partie, adopte de nombreuses idées du mouvement national concernant l’identité, l’écologie, la nécessaire révision de la Constitution, la co-officialité de la langue, le Statut de résident… dès lors, ces idées gagnent en notoriété et en pertinence ; comme l’a dit «, Antonio Gramcsi, les victoires idéologiques précèdent toujours les victoires politiques ».
* Mr François Hollande est élu Président de la République en 2012 ; sous sa houlette, les différents Premiers ministres -Ayrault puis Vals- opposent un niet ferme et définitif aux revendications démocratiques et majoritaires de l’Assemblée de Corse.
* Le 5 Avril 2014, Gilles Simeoni est élu maire de Bastia.
* La date arrêt définitif de la violence du FLNC – en Juin 2014- est une date capitale ; elle a rassuré les Corses, exclu l’affrontement civil, suicidaire, privilégié le combat exclusivement politique, assuré qua la revendication d’indépendance sera désormais portée sans attentats, donné du souffle à l’Autonomie Interne ; l’Union Européenne compte environ 80 Statuts d’Autonomie ; 250 Millions d’européens vivent normalement dans le Fédéralisme ou le régionalisme politiques ; elle a surtout enlevé tout prétexte à l’Etat pour refuser le véritable dialogue avec la Corse.
* En 2015, les élections territoriales de Décembre 2015, en Corse, amènent démocratiquement au pouvoir, les nationalistes réunis ; ils président désormais le Conseil Exécutif et l’Assemblée de Corse. Un vent d’espoir s’est levé sur la Corse. Comme hier, Hollande puis Ayrault et enfin Vals réitèrent leur entière dénégation du fait national corse.
Hollande et Vals confirment que la question corse sera traitée dans le cadre imposé de la mission étriquée de la Ministre, Madame Lebranchu qui propose une « Collectivité unique », sans aucun espoir et sans avenir car il y a mille embûches ; de plus, il n’existe aucune confiance – l’ingrédient de base- entre les protagonistes. Paris ne cherche pas une solution juste et équilibrée à la « question corse » ; il veut imposer sa propre loi, le maintien de la tutelle ; il œuvre, depuis deux cents ans, pour la disparition du Peuple Corse et l’aliénation de son patrimoine historique, foncier et immobilier ( suppression des Arrêtés MIOT). Hollande a remplacé Madame Lebranchu par le ministre, MR Baylet, hermétique à toute novation.
Les vrais problèmes de la Corse, restent toujours sans solution ; développement économique faible, chômage et précarité en hausse, dossiers des transports et des déchets, sans solution, aliénation économique et culturelle, refus de l’amnistie pour les prisonniers politiques …..
II°) Enjeu et atout déterminant : droit à la vie du peuple corse
Les atouts de la Corse pour accéder à l’émancipation politique sont solides ( ressources humaines qualifiées dans l’île et la diaspora, ressources naturelles à profusion, 10 milliards d’euros d’épargne….. ; le dossier de notre révolte pacifique est très étoffé, cohérent, conforme aux Droits des Peuples à disposer d’eux-mêmes ; pour cette raison, l’Etat refuse le dialogue, enfermé dans à une évolution négative qu’il construit et encourage depuis des décennies, sur un triple socle : aliénation, répression, arrivée massive de non-corses, que la faiblesse de l’économie ne permet plus d’intégrer ; il existe désormais une opinion publique et une conscience internationales et nous y avons de multiples liens. Que nous allons optimiser et opérationnaliser, sans tarder.
On mesure l’ampleur des difficultés, l’impossibilité de s’émanciper – une nécessité vitale- par les moyens traditionnels ; il faut une remise en cause profonde du lien avec l’Etat, qui est un lien, colonial, de sujétion et son remplacement, dans le cadre européen, par un nouveau contrat respectueux de la liberté des parties et de la protection de leurs intérêts légitimes ; c’est à cette seule condition que nous pourrons construire une Corse nouvelle, démocratique et développée.
III°) Que faut-il faire ? Accepter l’inacceptable, l’arbitraire et renoncer ou encore s’enfoncer dans une violence sans issue ?
Certes non mais résister, construire, informer, mobiliser, internationaliser la « question corse », imposer par tous les moyens de la lutte légale, sans aucune violence, un Statut d’Autonomie Interne dans le cadre de la République Française seule solution crédible et raisonnable dans la situation actuelle
On mesure l’ampleur des difficultés, l’impossibilité de s’émanciper – une nécessité vitale- par les moyens traditionnels ; il faut une remise en cause profonde du lien avec l’Etat, qui est un lien, colonial, de sujétion et son remplacement, dans le cadre français rénové et dans le cadre européen, par un nouveau contrat respectueux de la liberté des parties et de la protection de leurs intérêts légitimes ; c’est à cette seule condition que nous pourrons construire une Corse nouvelle, libre, démocratique et développée.
Dans un système démocratique, nous n’aurions pas subi, de par la tutelle de l’Etat et avec la complicité du système claniste, la faiblesse structurelle de la démocratie, le retard abyssal de développement, l’aliénation culturelle, la dépendance sociale, les fraudes électorales impunies, la dévolution illégale de trois milles hectares de biens communaux dans le périmètre d’Alzitone. les dérives du Crédit Agricole, de la Mutualité sociale agricole, de la Cotorep, des centres de pensions, des appels d’offres, la mise valeur agricole inégalitaire, le scandale de la sur chaptalisation qui, notamment, a provoqué la révolte d’Aléria puis du FLNC au décours ; nous n’aurions pas subi l’inefficacité volontaire, depuis 1999, du pool économique et financier, les assassinats en série – près de 100- impunis ; le scandale de la privatisation de la SNCM et sa dérive, la suppression des Arrêtés Miot, l’impasse du problème des déchets et de leur traitement archaïque ; nous n’aurions pas été contraints à la révolte, nous d’abord, le FLNC ensuite ; ainsi qu’aux innombrables luttes du Riacquistu, des écologistes, de la LDH, des syndicats, de toutes les forces vives socio-professionnelles, des militants progressistes de formations hexagonales, des femmes, de la jeunesse, de Umani et de « Alternatives non-violentes » dans l’éducation à la non-violence… ; le préfet Erignac ne serait pas mort,10.000 attentats auraient été sans objet et donc la répression inutile ; nous n’aurions pas subi trois statuts politiques médiocres, avec un quatrième en préparation, tous frileux, inadaptés et sans capacité de changer la situation en Corse car l’Etat est hostile à la démocratisation qu’il sait conduire, fort justement d’ailleurs, à l’émancipation ; d’où son choix d’un immobilisme forcené, injustifiable, inacceptable et son soutien, jamais démenti à un clanisme rétrograde, enraciné dans le statu-quo.
Si on refuse d’admettre que la politique française dans l’île, – à côté de résultats positifs dans de très nombreux domaines ( Education, santé, enseignement, sécurité extérieure, accès à un bon niveau de vie, justice, Union Européenne…) est avec le système claniste, son allié structurel, un échec et, que le peuple corse, en dépit de sa résistance historique, multiséculaire, porte une part de la responsabilité ; si on refuse de comprendre que lien colonial explique,- par ses compromissions, ses démissions, le laxisme qu’il induit et le non-droit et l’a-démocratie qu’il génère- que la révolte n’ait pas été rapidement généralisée, alors on s’achemine vers l’impasse.
La déroute financière et politique de la CTC – avérée, démontrée- n’est pas l’erreur d’un seul homme mais d’un système étatique et local, conservateur, archaïque , illégitime qui ne discrédite ni les idéologies, ni tous les élus dont la majeure partie est respectable ; croire qu’un homme, un parti, seuls, sont la solution ; croire que « la Collectivité unique » est le remède , croire qu’un lifting ou le fonctionnement habituel d’une collectivité, même amélioré, va remédier à une situation très dégradée, au délabrement des comportements, des consciences, aux dysfonctionnements des institutions, des pratiques, c’est se condamner à la répétition de l’échec ; seule une autocritique, une remise en cause fondamentale du Statut de la Corse, – avec un véritable Statut d’Autonomie interne- ouvre la voie de l’espoir ; sans la prééminence de la volonté, du dialogue, de la démocratie, du droit, du respect de la loi et des valeurs, de la justice, de la solidarité et de l’humanisme, il ne peut y avoir de voie raisonnable pour un avenir apaisé et un développement certain.
Corses de l’île et de la diaspora, amis de la Corse, Corses d’origine ou d’adoption, société civile, jeunes corses, retraités, femmes, impliquez-vous, suivant vos choix ; prenez des initiatives, faites de projets, soutenez des démarches de progrès, participez à des cercles de réflexion, à des collectifs, à des associations, des partis ; à des manifestations respectueuses de la non-violence…; la porte est enfin entrebâillée vers un avenir meilleur de démocratie et de justice. La victoire attend les générations futures car elle est conforme à l’Histoire et au Droit. Pour ma part et avec d’autres, très nombreux, je n’ai jamais douté ou renoncé.
Dr Edmond Simeoni
Aiacciu le 14 Mars 2016