Le dossier des transports cumule tous les défis : comment réussir alors que l’on a accumulé tant de passifs tout au long des dernières années, et alors qu’il ne reste qu’un espace-temps particulièrement restreint pour agir ?
L’Exécutif en a fait une priorité et défini ses objectifs lors de la dernière session de l’Assemblée de Corse. Un appel a été lancé pour unir les efforts de tous. Il n’a guère reçu d’écho favorable au sein de l’opposition qui, pour la première fois depuis l’élection de décembre, a fait sentir son poids négatif de 27 élus contre 24, Front National, droite et gauche confondus.
Le problème numéro un tient à la date du 30 septembre 2016, délai ultime laissé par le tribunal pour mettre fin à la Délégation de Service Public consentie à l’entente SNCM-CMN pour la période 2013-2023. Cette DSP a été jugée contraire aux règles qui prévoient que la compensation financière publique n’est possible que pour financer des activités qui ne se rentabilisent pas par elles-mêmes, et non pour sur-rémunérer un opérateur dont on a décidé de compenser les surcoûts. La DSP 2013-20123 est donc à refaire et, pour une procédure aussi complexe, la date-limite du 30 septembre est très proche.
Autre incertitude de taille : la décision du tribunal qui invalide la procédure menée par l’ancien Président de l’Office des Transports a son prolongement à Bruxelles qui est saisie d’une plainte pour concurrence faussée et subventions indues, selon la même procédure qui avait condamné la SNCM à reverser les aides perçues (220 M€ !) pour un service complémentaire par paquebots injustifié économiquement, si ce n’est pour soutenir les sureffectifs et les errements de gestion de la compagnie publique marseillaise. Certes, les écarts avec la normalité économique sont moins flagrants que par le passé, mais la CMN et la compagnie prenant la suite de la SNCM sont exposés à de substantiels remboursements. La CMN s’en remettrait sans doute, son partenaire probablement moins facilement !
Or ce partenaire ex-SNCM peine à se mettre à flot après la décision du Tribunal de Commerce qui en avait confié les rênes à Patrick Rocca. L’encre du plan de reprise n’était pas encore sèche, quand les concurrents évincés, quatorze poids lourds de l’économie insulaire emmenés par François Padrona, ont renversé la donne en imposant une concurrence sauvage qui a eu raison du pool bancaire constitué autour de Patrick Rocca. D’où un changement spectaculaire d’alliances par lequel Patrick Rocca s’est rangé au rang de quinzième homme du consortium constitué au départ contre lui. Ce qui laisse les syndicats de la compagnie sans voix, et le Tribunal de Commerce de Marseille plus que dubitatif. L’establishment marseillais freine des quatre fers car le port phocéen perd tout contrôle sur la compagnie, le consortium s’affranchissant de plusieurs engagements pris par Patrick Rocca, notamment concernant le maintien du siège marseillais de la compagnie.L’initiative de l’Exécutif de relancer la compagnie régionale selon le modèle réussi pour l’aérien avec Air Corsica vise à lever les incertitudes sur l’avenir du schéma actuel. Mais il faudra de longs débats juridiques pour faire admettre que les bateaux devaient être considérés comme « biens de retour » à la Collectivité Corse au terme de la DSP durant laquelle ils ont été financés par la dotation de continuité territoriale. Puis il faudra que le consortium soit validé comme successeur de Patrick Rocca par le Tribunal de Commerce, qui, il l’a manifesté lors de sa dernière audience, tord le nez.
Entre-temps, les procédures continuent et tout schéma est sous l’épée de Damoclès des décisions finales de Bruxelles, sur les contentieux passés comme sur ceux en cours.
Dans ce contexte précaire, le projet d’une compagnie régionale est sans doute le meilleur, et peut-être le seul moyen, de sortir de ce dossier par le haut. Mais il suppose un bon niveau de consensus, des opérateurs du consortium Corsica Marittima comme probablement de la CMN, de l’Etat, du Tribunal de Commerce, des syndicats, et, bien sûr, au sein de l’Assemblée de Corse. Et tout cela avant six mois pour être prêt et concourir à l’appel d’offres qui mettra en place la nouvelle DSP au 1er octobre 2016.
La session de jeudi dernier a lancé les études pour ce projet. Mais la majorité n’est que relative et elle a dû composer avec l’opposition et freiner son élan. Ce qui n’est guère compatible avec la course de vitesse qui doit être la sienne.