Le projet de loi sur la réforme du droit du travail marque un nouveau, et très fort, virage à droite. Promise au 49-3, un an après la loi Macron, la loi El Khomri annonce ainsi la couleur de la future campagne présidentielle de François Hollande. Devancer la droite en rameutant une partie de ses électeurs au premier tour, puis compter sur de bons reports de voix pour battre Marine Le Pen au second, voilà son plan de campagne !
La « flexibilité du marché du travail » est apparue comme une question centrale pour les économies européennes touchées par la crise de 2008. Certaines affichent des statistiques de l’emploi nettement plus flatteuses comme l’Allemagne et la Grande Bretagne, avec des taux de chômage de l’ordre de 5%, alors qu’il continue de progresser au dessus de 10% pour la France. Nombre d’experts économiques attribuent cette différence à la flexibilité permise par leur droit du travail, qui libère de nouvelles capacités d’emplois dans des entreprises qui sont assurées de pouvoir faire librement « machine arrière » sur des embauches en cas de résultats économiques décevants. Et aussi de jouer des heures supplémentaires de façon discrétionnaire pour adapter la force de travail de leur personnel aux fluctuations des carnets de commande. On connaît déjà la contrepartie sociale, avec des taux de pauvreté beaucoup plus forts dans ces pays, beaucoup de « petits boulots » générant autant de petits salaires pour des flopées de travailleurs pauvres.
Au sein des PIIGS (Portugal, Italie, Irlande, Grèce, Espagne), les économies européennes qui ont frôlé la faillite, la réforme de la « flexibilité » a été au centre des plans de redressement soutenus par la solidarité européenne. L’oxygène financier qui leur a été apporté, directement via le mécanisme européen de solidarité, ou indirectement via la banque centrale européenne, et qui les a maintenus à flot, a été systématiquement accompagné de réformes du marché du travail. Les évolutions sont contrastées. L’Irlande, renflouée massivement, semble être parvenue à bon port et a atteint des taux de chômage « à l’anglo-saxonne ». L’Espagne, championne européenne des taux de chômage (jusqu’à 26%) affiche « l’inflexion de la courbe de chômage » (21% désormais) après laquelle François Hollande court depuis le début de sa mandature. Idem pour l’Italie où les socialistes de Matteo Renzi ont eux aussi, tout autant que les droites espagnole et portugaise, précarisé l’emploi pour limiter le chômage. Leurs économies ne sont pas encore à bon port, mais elles sont à flot selon l’indicateur-clef de la ligne de flottaison d’une économie : les taux d’intérêt que l’Etat doit consentir pour financer sa dette. La Grèce a été sauvée in extremis du naufrage, mais on ne sait pas encore si le plan négocié par Alexis Tsipras lui permettra de rester à flot. Et le « bon port » n’est pas encore en vue.
La réforme que le gouvernement français propose sur la flexibilité du travail est en tous points comparable à celles qui ont été concoctées dans les PIIGS, sur le modèle des mentors européens anglo-saxons. C’est très clairement la réforme dont la droite pouvait rêver, ce que les réactions élogieuses du patronat ont souligné.
La première explication à ce brusque virage est que la France, menacée par des statistiques économiques durablement médiocres, est en train de glisser du côté des économies menacées, le F de France pouvant augmenter l’acronyme « PIIGS ». Pour éviter cette humiliation, qui ferait écho à la perte du « triple A » des agences de notation par Nicolas Sarkozy en 2011, François Hollande et son gouvernement ont voulu anticiper sur un calendrier plus menaçant sans doute que les apparences. La bourse vacille, le commerce extérieur, malgré la baisse du pétrole, creuse chaque année un peu plus ses déficits, et la dette de l’Etat croît inexorablement. Ne pouvant probablement plus éviter ce type de mesures, le gouvernement a décidé de prendre ostensiblement les devants et cherche ainsi à sauver la face pour une France qui, depuis 2008, a perdu beaucoup de sa superbe en Europe.
L’autre explication est sans doute plus triviale, et bassement électorale. François Hollande, s’il veut gagner l’élection en 2017, devra compter sur les voix de la droite.
Il en aura besoin au second tour, si d’aventure il dame le pion à la droite officielle et affronte Marine Le Pen. Pour qu’il gagne, il faudra que la majorité des électeurs de droite du premier tour votent pour lui au second !
Et, désormais, on peut même étendre le raisonnement au premier tour, en se disant que les déçus de la primaire à droite pourraient bien adouber, dès le premier tour, cette « gauche » qui, à en croire les porte-parole du patronat, est en capacité de faire la politique qu’ils souhaitent, tandis que la droite, paralysée par la grogne sociale, est incapable de la mener à bien.
En tous les cas, les faits sont là : à côté de la loi El Khomri, elle aussi promise au 49-3 lors du débat parlementaire, la loi Macron apparaît comme un simple amuse-gueules !