Les urnes, neuf mois après le renversement du régime Ben Ali, ont fait entendre un souffle démocratique sans précédent pour le peuple tunisien. A priori, la révolution des peuples du sud de la Méditerranée est plutôt bien partie, même si les forces politiques démocratiques ont encore bien du chemin à parcourir pour stabiliser une situation toujours incertaine.
Au moment même où les tunisiens votaient en masse, le dictateur libyen Muammar Kadhafi était capturé et exécuté sommairement. Avec sa mort, un «cycle révolutionnaire» prend fin qui a vu certains des pires dictateurs de cette zone renversés et chassés du pouvoir. Ben Ali a chuté le premier, Moubarak et Kadhafi l’ont rapidement suivi. D’autres ont obtenu un sursis, comme le régime algérien, ainsi que le pouvoir toujours aussi autoritaire, malgré des apparences plus libérales, de la monarchie absolue marocaine. Mais c’est tout une aire géopolitique aux portes mêmes de l’Europe qui s’est soudain libérée selon un scénario imprévisible il y a encore un an. A l’heure d’internet, la démocratie a découvert des canaux insoupçonnés pour propager son idéal de liberté. Quelques mois à peine ont suffi pour renverser des régimes jusque là barricadés derrière leurs frontières et leurs armées. Pour ces peuples, l’avenir, obstinément bouché jusque là, s’ouvre soudain sur tous les horizons. Et, pour l’Europe, 2011 sera aussi importante que 1989 et la chute du mur de Berlin.
L’apprentissage démocratique est le premier défi à relever, et cela commence bien sûr par des élections libres et non faussées. Cela a bel et bien été le cas en Tunisie, sans violence et sans débordements, et dans la liesse populaire propre à tous les peuples qui viennent de goûter à l’ivresse de la liberté. Les délais promis ont été respectés, et les courants d’opinion se sont tous exprimés. Le mouvement Ennahda a bénéficié de sa structuration et de son implantation qui datent de bien avant la chute de la dictature. Mais le spectre islamiste n’a pas aucune raison d’être brandi outre mesure comme on le voit sur les médias français où la seule norme politique reconnue est celle qui a cours au pied de la tour Eiffel.
Le deuxième défi sera économique. Sans une stabilisation et un retour de croissance économique dans un pays largement en retard de développement, la situation pourrait devenir rapidement instable. Or la Tunisie n’a pas la réserve de ressources minières et pétrolières comme en dispose la Libye, qui lui garantissent de pouvoir faire face aux besoins immédiats de la population. La communauté internationale, et tout particulièrement l’Europe, a donc un rôle majeur à jouer dans cette situation.
Tout en s’en tenant fermement à ses exigences démocratiques, élections libres, justice indépendante, liberté de la presse, droits des femmes et droits des minorités -en l’occurrence la minorité amazigh qui vit autour de la frontière en symbiose avec ses «frères» limitrophes de Libye-, l’Union Européenne doit engager une coopération renforcée, fondée sur des outils d’intervention diversifiés et originaux. En effet, en contribuant au développement de l’autre rive de la Méditerranée, c’est son propre avenir qu’elle prépare, en termes de stabilité, d’immigration, car le développement local est le moyen le mieux à même de maîtriser la demande d’exil vers l’Europe, et même économique car le renforcement d’activités dans une zone aussi proche sera mécaniquement profitable à ses propres entreprises.
Comment le faire ? L’Union pour la Méditerranée, mise en place en grandes pompes par Nicolas Sarkozy, et aussitôt abandonnée à un train train minimaliste, est minée par ses blocages politiques. Le principal d’entre eux, la question palestinienne, n’a pas évolué d’un iota depuis des années. Tout engager sur ce seul espace diplomatique risque fort de conduire à l’inaction, et donc à l’échec.
Les partenariats directs avec chacun des pays sont sans doute mieux adaptés. Mais il manquera une vision globale, et cela entérine des situations inacceptables, comme par exemple l’insensée fermeture totale de la frontière entre l’Algérie et le Maroc.
D’autres espaces sont donc à imaginer et à concrétiser. Au sein de la Commission du Développement Régional, j’ai pris la responsabilité d’un rapport en vue de la création d’une macro-région en Méditerranée de façon à ce que les régions d’Europe qui la bordent soient elles aussi impliquées dans l’action pour mieux coopérer entre elles, et pour mieux coopérer avec celles de l’autre rive. Ce n’est que par un maillage serré de relations à tous les niveaux que se créeront les meilleures opportunités pour engager des politiques concrètes et efficaces.
En Corse, il y a déjà eu des initiatives ponctuelles intéressantes comme l’Office Hydraulique intervenant au Maroc. La Catalogne autonome développe une coopération décentralisée très active, et dans son sillage, et à proportion de leurs moyens, la plupart des régions européennes qui partagent cette même façade maritime agissent de même. Mais il faut un cadre commun pour organiser et multiplier de telles initiatives. La macro-région, déjà expérimentée en Mer Baltique entre Allemagne, Pologne, Suède, Finlande, Estonie, Lettonie et Lituanie, pays de l’Union Européenne, avec association de la Russie et de la Norvège, qui n’en font pas partie, est sans doute le cadre le plus novateur et le plus adapté pour cela.
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