« L’incarcération est un outil utile » a déclaré au Parisien Jean-Jacques Urvoas, lors de sa première interview en tant que garde des Sceaux.
Ajoutant vouloir « construire de nouvelles places de prison » pour résoudre la surpopulation. Il n’a pas fallu beaucoup de temps pour que la rupture soit consommée. Vis-à-vis de la ligne de promotion des alternatives à l’emprisonnement amorcée par sa prédécesseure. Mais aussi des positionnements qu’il tenait avant d’intégrer le gouvernement Valls.
Député du Finistère, Jean-Jacques Urvoas affirmait en 2012, que « les politiques qui misent sur l’incarcération ne sont pas efficaces ». Et soulignait que « la première étape pour éviter la récidive est d’éviter l’emprisonnement qui aggrave la situation sociale, psychique, familiale des personnes, perpétue des phénomènes de violence et enferme les personnes dans un statut de délinquant » (Assemblée nationale, 20 février). En novembre 2014, il fustigeait encore : « la surpopulation carcérale a des effets désastreux et on continue d’enfermer ». Et évoquait l’extension du parc carcéral comme « une course sans fin » n’ayant pas « d’autres effets que d’encourager de nouvelles incarcérations » (rapport d’information n°2388 sur l’encellulement individuel).
Ce revirement total – pour ceux qui ont suivi ses prises de position depuis les débats sur la loi pénitentiaire de 2009 – laisse présager l’abandon définitif des acquis de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive et le retour d’une politique pénale purement électoraliste. Surfant sur l’idée populaire mais erronée selon laquelle l’emprisonnement serait une réponse efficace alors qu’il aggrave en fait les facteurs de délinquance, pour un coût exorbitant – bien supérieur à une prise en charge en milieu ouvert. Le temps où le gouvernement s’intéressait aux enseignements de la recherche et aux effets délétères de ses politiques semble révolu.
Une situation qui ne lasse pas d’inquiéter non plus en matière pénitentiaire. Que va faire, en qualité de garde des Sceaux, celui qui, il n’y a pas si longtemps, énonçait « qu’il faut faire entrer le droit en prison » (20 février 2012) ? Rappelant qu’il n’avait pas, au même titre que tout le groupe socialiste, voté la loi pénitentiaire car elle manquait cet objectif. Le ministre qui se veut « avant tout dans l’action » va-t-il se souvenir qu’il prônait une réforme d’envergure de la condition pénitentiaire ? Englobant, conformément aux recommandations du Conseil de l’Europe, la proscription des fouilles à nu, la réduction du champ discrétionnaire de l’administration pénitentiaire en généralisant les voies de recours, la possibilité de saisir le juge en urgence en cas de décision particulièrement attentatoire aux droits fondamentaux (placement au quartier disciplinaire ou à l’isolement, refus ou retrait de permis de visite, etc.) Mais aussi la reconnaissance du droit à la liberté d’expression en prison, l’extension des possibilités de permission de sortir pour maintien des liens familiaux, la limitation des pouvoirs de sanction disciplinaire des directeurs de prison, l’autorisation des téléphones portables dans certains établissements. Ou encore l’application du droit commun en matière sociale, avec l’instauration d’un RSA aménagé et d’un contrat de travail pour les détenus travailleurs.
Celui qui affirme vouloir « tracer [son] propre sillon » va-t-il agir en faveur de ces axes, ou va-t-il, comme en pénal, se détourner de lui-même ? Et laisser le Droit aux portes des prisons.
GABI MOUESCA