(Edito Radio Paese du 6 février 2016) Le 18 janvier dernier, soit un mois après leur élection aux présidences de l’Assemblée de Corse, Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni étaient reçus par Manuel Valls, premier sinistre de la France, afin d’exposer leur projet au gouvernement et obtenir de lui, si ce n’est des engagements, au moins des réponses quant aux différents points soumis. Pour l’essentiel, Simeoni et Talamoni voulaient permettre l’application de délibérations démocratiquement votées par l’Assemblée de Corse au cours de la précédente mandature, c’est-à-dire lorsque les élus nationalistes ne représentaient que 15 sièges sur 51.
Parmi celles-ci, rappelons-le : l’inscription de la Corse dans la Constitution pour une plus grande autonomie, la création d’un statut de résident afin de freiner la spéculation immobilière, la co-officialité de la langue corse pour lui permettre enfin de se développer, l’autonomie fiscale, une compagnie maritime corse et publique ou encore l’amnistie pour les prisonniers politiques…
Votées donc à de très larges majorités, tout pourrait porter à croire que le gouvernement de la France, soucieux de mettre en pratique ses valeurs démocratiques issus de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, participent à la mise en œuvre de ces décisions, en tant qu’institution souveraine chargée de faire appliquer les décisions populaires.
Il n’en fut rien. Manuel Valls a dit « non » à tout et renvoya à certains de ces dossiers à l’étude dans trois groupes de travail.
Face à un tel déni de la démocratie locale, les journalistes français, soucieux, eux-aussi, de porter les valeurs de ladite Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, auraient pu s’en émouvoir en pointant du bout de leur crayon, de leur micro ou de leur caméra, une logique conduisant un gouvernement à rejeter les décisions prises par une institution mise en place par la République pour administrer un de ses territoires, conformément au principe de décentralisation inscrit dans la Constitution.
Là encore, il n’en fut rien.
Les médias ont préféré s’attarder sur une déclaration de Jean-Guy Talamoni, le matin de cette rencontre, sur France Info. Interrogé sur les refus répétés du gouvernement de toute évolution, le président de l’Assemblée de Corse parle de « la France » et la qualifie de « pays ami ». Fidèle à son idéal d’indépendance, il poursuit, devant l’étonnement surjoué des journalistes présents : « Vous savez bien que je suis indépendantiste, ce ne sont pas du tout des propos agressifs ou provocateurs. Ce n’est pas une démarche anti-française, c’est une démarche pour être nous-mêmes, ce que nous n’avons jamais cessé d’être, c’est-à-dire une Nation ». Cette séquence de moins d’une minute a été largement commentée sur les ondes radios, télés ou internet.
Ainsi, en ce curieux pays où les décisions majoritaires, voire unanimes, d’une Assemblée élue par les électeurs ne valent rien, c’est l’opprimé qui parle de relation amicale, malgré les coups reçus depuis 250 ans.
Car, regardons rapidement l’Histoire, et cherchons à y voir les traces d’une volonté amicale de la France vers la Corse :
En 1768, le royaume de France achetait à Gênes les droits de suzeraineté sur la Corse, alors même que la vieille république ligure les avait perdus, la Corse étant alors un pays indépendant et une démocratie naissante. Voltaire écrivit alors : « Il restait à savoir si les hommes ont le droit de vendre d’autres hommes, mais c’est une question qu’on n’examina jamais dans aucun traité ». La conquête de la Corse par la France ne fut ensuite rendue possible que par une campagne militaire où l’une des plus grandes armées du monde connut les plus grandes difficultés à combattre la petite République corse.
En 1774, alors que la résistance est encore vive, une révolte dans le Niolu (région du centre de la Corse) est écrasée. 11 prisonniers sont choisi pour être pendus, exposés à l’entrée des village. Leurs maisons seront incendiées, leurs troupeaux égorgés. Parmi eux, Marcu Maria Albertini, 15 ans.
A partir de 1803, le général Morand est en charge de l’administration de l’île et met en place des « colonnes infernales » chargées de mater la population. En 1808, une attaque de la gendarmerie de Prunelli di Fium’orbu, est sévèrement réprimée. 167 hommes de 15 à 76 ans sont arrêtés, 9 exécutés, les 158 autres étant déportés en France où la majorité mourra dans les premiers mois.
De 1818 à 1912, une loi douanière surtaxe les produits exportés de Corse vers la France et, à l’inverse, taxe faiblement les produits importés en Corse. Cela ayant pour conséquence d’empêcher tout développement économique de l’île.
En 1914, les Corses sont mobilisés comme les ressortissants des colonies françaises, envoyés en première ligne, servant de « chair à canon », ce qui désorganisa durablement la structure sociale de l’île, majoritairement rurale et agricole.
En 1960, alors que la France développe l’arme nucléaire, il est envisagé de réaliser les essais en Balagne. Ce n’est que grâce à une forte mobilisation populaire que ce projet échoue.
En 1973, l’entreprise italienne Montedison déverse ses boues rouges au large de la Corse, provoquant une catastrophe écologique. L’Etat français ne réagit pas, il faudra l’intervention d’un commando pour plastiquer le bateau de la Montedison.
En 1975, alors que militants autonomistes occupent une cave viticole pour dénoncer les magouilles opérées par les colons français rapatriés d’Algérie. L’Etat envoie 2000 policiers et gendarmes pour intervenir, 2 resteront sur le carreau.
En 1983, le jeune Guy Orsoni, militant indépendantiste, est assassiné par des mafieux à la solde de l’Etat français. Son corps ne sera jamais retrouvé.
En 1991, malgré un vote de l’Assemblée nationale française, la notion de « peuple corse » est déclarée inconstitutionnelle.
En 2016, Manuel Valls rejette toute forme d’évolution sur la langue, l’accès à la terre, le statut institutionnel.
La question qu’il faut alors se poser est la suivante : La France veut-elle être un pays ami ? Ou veut-elle continuer à être une puissance coloniale ? Veut-elle traiter avec le peuple corse d’égal à égal ou veut-elle continuer à le soumettre, pour en faire son porte-avion méditerranéen et son bronze-cul estival ?
Pour notre part, reprenant les paroles d’une chanson di e Voce di a Gravona, nous affirmons :