Un Parlement Européen encombré par une flopée de députés du Front National ou de formations européennes équivalentes, une gouvernance prise en otage par le référendum britannique sur la sortie du Royaume Uni, des tensions croissantes, qui menacent l’espace Schengen, autour de l’accueil des migrants syriens, une Europe de l’Est tétanisée par le conflit ukrainien et le retour de l’ogre russe, une crise grecque moins intense mais non encore résolue, et, au delà, une nouvelle crise économique mondiale qui se profile à l’horizon : l’Europe est à la peine.
En fait c’est tout un équilibre économico-politique mondial qui est en train d’évoluer. Certes, les Etats Unis sont plus puissants que jamais grâce à la force de l’économie de l’internet développée ces trente dernières années. Prenons conscience de la puissance de ce « racket » mondial développé à partir de Facebook, Google, Uber, Airbnb, Amazon, Booking è tutti quanti. Booking.com par exemple, est le site à travers lequel chaque hôtel d’Europe, de France ou de Corse, y compris au fin fond de l’intérieur, commercialise près de la moitié de sa capacité : pour chaque chambre louée, le mécanisme de réservation en ligne rapatrie vers les USA 17% de la somme payée par le client, autant que la TVA versée à l’Etat ! Il n’y a pas d’équivalent dans l’Histoire économique depuis les chocs pétroliers par lesquels les pays du Golfe, en augmentant le prix du pétrole sans relation avec les coûts d’exploitation, ont dégagé une rente colossale par ponction directe sur toute l’économie mondiale grâce au quasi-monopole d’une ressource dont nul ne pouvait se passer. Avec la rente financière dégagée par l’économie numérique sur l’activité de tous les pays du monde, les USA n’auront aucun mal à se maintenir au premier rang des puissances mondiales, d’autant plus que sa dépendance pétrolière appartient au passé, la production américaine s’étant relancée avec les gaz de schiste.
La montée en puissance de la Chine jusqu’à occuper désormais le second rang mondial devant l’Allemagne, mais, malgré tout, encore largement derrière l’Union Européenne dans son ensemble, est enrayée. Le premier effet est de faire tousser les bourses du monde entier. Ce n’est pas encore l’effondrement comme on l’a connu en 2008, mais l’inquiétude est réelle. En fait, le mécanisme est simple. Depuis trente ans et le début de son printemps économique, l’économie chinoise a doublé tous les sept ans sa capacité de production grâce à un taux de croissance annuel de 10%. Ca ne pouvait pas durer indéfiniment ! Les dirigeants l’avaient prévu en pensant que l’immense marché intérieur chinois prendrait le relais une fois les marchés extérieurs en voie de saturation. Mais l’ajustement se fait mal, le tissu productif s’est gonflé exagérément, d’autres économies concurrentes émergent, et, dans l’opacité d’une économie post-communiste dont des statistiques sont dictées par les impératifs politiques plus que par les réalités chiffrées, chacun s’interroge sur le risque d’une crise mondiale provoquée par un séisme économique en Chine.
De toutes façons le reste du monde est en train de marquer le pas. Les Etats producteurs de pétrole dépendant le plus de la rente pétrolière, Venezuela, Algérie, Nigeria et bien sûr les pays du Moyen Orient, ont presque fini de vider le bas de laine constitué durant les années fastes, quand le cours du baril flirtait avec les 100 dollars. Aujourd’hui, il est tombé à moins de 30 dollars, la chute est vertigineuse, et, dans un tel contexte, les tensions s’exacerbent. Les deux blocs du Moyen Orient, chiite autour de l’Iran, et sunnite autour de l’Arabie Saoudite, sont entrés dans un conflit à très haut risque. En Syrie et en Irak, il échappe à tout contrôle avec Daesch et les répercussions sont épouvantables jusque dans les rues de Paris ou Bruxelles. Les dérives délirantes de Daesch ont relancé l’Iran sur la scène internationale, mais l’Arabie Saoudite intensifie son intervention au Yemen et l’exécution sommaire d’un dignitaire chiite a indigné bien au delà de la réaction officielle iranienne.
Dans ce contexte international aggravé, l’Europe peine à garder sa place. Elle dépend du gaz russe, elle subit très directement les retombées du conflit irako-syrien, elle a raté le virage de l’économie internet monopolisée par les USA, elle ne sait comment intervenir en Syrie et en Irak, ni comment juguler les risques de contagion en Lybie et en Tunisie car elle n’a eu aucune politique méditerranéenne depuis vingt ans. A l’est, les populismes gouvernent, portés par les tensions avec l’ancien occupant russe, notamment en Pologne jusque là « bon élève » de l’élargissement opéré dans la suite de l’effondrement du mur de Berlin. Au nord, la Grande Bretagne s’éloigne du projet européen, qu’elle veut freiner ou quitter, et, au delà, l’euroscepticisme se répand dans tous les pays qui bordent la Mer du Nord et la Baltique. La France s’égare dans un repli franchouillard et l’Allemagne domine les débats économiques et politiques plus par défaut que par ambition.