Voici l’amendement présenté par les députés M. Giacobbi et M. Schwartzenberg ce 22 janvier 2016 à l’Assemblée Nationale (source)
Après l’article 72‑4 de la Constitution, il est inséré un article 72‑5 ainsi rédigé :
« Art. 72‑5. – La Corse est une collectivité territoriale de la République dont le statut particulier est défini par une loi organique.
« Les lois et règlements peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de cette collectivité. Dans ce cadre, des mesures spécifiques peuvent être prises par la loi en faveur de la population de la collectivité, en matière de fiscalité, de préservation du patrimoine culturel et linguistique, et de protection du patrimoine foncier.
« L’adaptation des lois et règlements en vigueur peut être décidée par la collectivité dans les matières où s’exercent ses compétences si, à sa demande, elle y a été habilitée par la loi, sans que puissent être mises en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit fondamental.
« Sans préjudice des dispositions de l’article 21, la collectivité dispose d’un pouvoir réglementaire dans les matières où s’exercent ses compétences. Le Conseil d’État exerce un contrôle juridictionnel spécifique sur les actes de l’assemblée délibérante intervenant dans ce cadre. »
EXPOSÉ SOMMAIRE
« Il est indécent, illogique et insultant que la Corse
ne soit pas mentionnée dans le texte suprême. »[1]
Guy Carcassonne
La place de la Corse dans la Constitution est ainsi commentée dans le « rapport Carcassonne » :
« Telle qu’elle est présentée dans la Constitution, la Corse est un territoire juridiquement inclassable, non identifiable. Il est vrai que le droit affectionne les « hybrides », les catégories « sui generis » et autres objets non identifiés qui révèlent bien souvent le malaise des autorités normatives face à la difficulté des classifications.
« En vertu de l’article 72 alinéa premier, la Corse fait partie des collectivités à statut particulier. C’est ainsi qu’elle fait son entrée dans la Constitution, sur la pointe des pieds, sans nommément se présenter. Tandis que l’île de Clipperton – inconnue de tous – a les honneurs de la gravure dans le marbre constitutionnel, la Corse n’est évoquée qu’à travers un alinéa qui s’applique également – dans une moindre mesure – à certaines villes de la métropole (Paris – Lyon – Marseille). Alors que le récent acte de la décentralisation a érigé une simple « métropole » en collectivité qui exerce les compétences d’un département, il est impensable que la Corse en reste à un statut hybride et silencieux. Outre l’incongruité de l’absence de référence explicite, cette dernière révèle toute l’ambiguïté de son statut. Car si ce territoire relève bien de l’article 72, ses compétences (qui devraient en principe découler, en bonne logique, de son statut) sont une sorte de mixture qui ressemble, comme on l’a vu, fortement aux catégories des articles 73, voire 74. Un territoire doté d’une organisation spécifique, d’un régime électoral propre, de la possibilité d’extension des compétences, de ressources fiscales indirectes dérogatoires, d’un droit à la consultation sur les projets de textes législatifs et réglementaires, du pouvoir de proposition d’adaptation des lois et règlements, d’un pouvoir réglementaire sur habilitation, doit-il encore être qualifié de territoire à « statut particulier » ? Assurément, non, ce territoire est « la Corse ».
Le présent amendement vise à inscrire ce territoire dans le texte constitutionnel.
Depuis 1982, la Corse est à l’avant-garde des grandes réformes de la décentralisation en France.
Première région décentralisée de plein exercice, elle est l’exemple de la capacité de la République à reconnaître les particularismes locaux et de doter d’institutions particulières les parties du territoire national où ils ont été identifiés.
Compte tenu des caractéristiques particulières de l’île, des contraintes et handicaps économiques et sociaux qu’elle subit du fait notamment de son insularité, et des spécificités culturelles qui sont les siennes, le cadre juridique actuel ne permet ni au législateur, ni à la collectivité territoriale de Corse dans ses domaines de compétence de prendre effectivement certaines mesures dérogatoires qui paraissent indispensables.
Depuis 2010, les élus de la Corse ont travaillé à un projet de réforme qui s’inscrit pleinement dans le troisième acte de la décentralisation voulu par le Chef de l’Etat.
Trois problématiques particulières illustrent parfaitement l’obstacle constitutionnel auquel se heurtent les élus tout comme l’administration.
Il s’agit de :
– la question linguistique
– la question foncière
– la question de la fiscalité des successions.
1. La question linguistique
L’Assemblée de Corse a adopté le 16 mai 2013, par 36 voix pour, et aucune voix contre, une délibération revendiquant un statut de co-officialité et assortie de mesures concrètes.
La problématique de la langue corse est donc bien au coeur de la réflexion générale sur l’évolution institutionnelle, ne serait-ce que parce qu’elle est au coeur de l’identité et de la culture de la Corse.
Sa méconnaissance serait une entrave au rayonnement de la France qui, loin de s’épuiser dans son caractère indivisible qu’il n’est d’ailleurs pas question de remettre en cause, s’enrichit de ses composantes et de ses diversités. Le Constituant a lui-même choisi, en 2003, de préciser dès l’ouverture de notre texte suprême que l’organisation de notre République est «décentralisée ». Il a décidé une fois pour toutes, et à juste titre, que l’unité n’est pas nécessairement l’uniformité. Il faut continuer dans cette voie inévitable de progressions de la reconnaissance du particularisme de certains territoires qui, loin d’égratigner l’image d’un État unitaire, la renforcent. Et dans ce mouvement, la Corse demeure, il est vrai, le territoire le moins clairement identifié dans la Constitution.
Selon les auteurs du « rapport Carcassonne », la jurisprudence « statut de la Corse » du Conseil constitutionnel a été en large partie frappée d’obsolescence par la réforme constitutionnelle de 2003 : « Les principes d’unicité du peuple français et de la langue française, osons l’avouer, sont mis à mal, malgré les fortes résistances, notamment des administrations centrales de l’État, depuis cette révision. La France en tant que République ne saurait s’appréhender de deux manières : avec ou sans l’Outre-mer. Une France qui demeurerait unitaire par le prisme d’une lecture limitée à la métropole ; une France quasi fédérale quand la lecture s’élargit à l’Outre-Mer. Ne revenons pas sur les fondements de la révision de 2003, ses vices et ses vertus : elle nous offre un texte qui, accordant ce qu’il accorde à l’Outre-mer, ne peut plus éluder les questions de la Corse et de sa langue. Les larges dérogations accordées aux territoires ultramarins ne justifient plus que l’on continue de mettre la Corse à l’écart de dérogations analogues. »
L’entrée remarquée des langues régionales dans l’article 75-1 de la Constitution en 2008 n’a eu que des effets symboliques, certes non négligeables, mais dénués d’effectivité. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs souligné son caractère purement déclaratoire : « Considérant (…) que cet article n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit ; que sa méconnaissance ne peut donc être évoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution ».
Selon le rapport des professeurs de droit public, elles ne sauraient se limiter au domaine de la loi. « Il est indécent, illogique et insultant que la Corse ne soit pas mentionnée dans le texte suprême. À l’époque de l’entrée, dans l’article 75-1, de l’élévation des langues régionales au rang de « patrimoine de la France » en 2008, certains espoirs avaient pu être légitimement nourris. Cette précision n’est pas, loin sans faut, le sésame pour la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, qui, en l’état actuel de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, comporte des clauses jugées contraires à la Constitution5. Tout l’enjeu se situe dans cette problématique : une reconnaissance plus effective de la langue corse, jusqu’à l’hypothèse, ultime, de la co-officialité, doit passer par la ratification de la charte, laquelle ne pourra intervenir qu’après une révision de la Constitution. »
2. La question foncière
De nombreux instruments du droit commun sont susceptibles d’être mobilisés pour lutter contre le phénomène de spéculation immobilière, qui n’est pas particulier à la Corse, et permettre de mener une politique en faveur du logement social, qu’il s’agisse des ressources offertes par le droit de l’urbanisme ou encore par le droit fiscal.
L’instauration d’un statut de résident déterminant les conditions d’accès au foncier a également été évoquée. C’est cette question spécifique qui a fait l’objet d’un examen plus particulier, notamment au regard des problématiques constitutionnelles qu’elle suscite, du groupe des professeurs de droit public sollicités par la Collectivité territoriale de Corse.
Leur réflexion s’appuie d’abord sur les exemples tirés des législations mises en vigueur en Polynésie française, à Saint-Barthélemy ou encore à Saint-Martin, qui prévoient l’instauration de mécanismes de préemption de la part des collectivités lorsque des transferts de propriété sont envisagés en faveur de non-résidents.
Aux termes de l’art. 19 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française,
« La Polynésie française peut subordonner à déclaration les transferts entre vifs de propriétés foncières situées sur son territoire ou de droits sociaux y afférents, à l’exception des donations en ligne directe ou collatérale jusqu’au quatrième degré.
« Dans le but de préserver l’appartenance de la propriété foncière au patrimoine culturel de la population de la Polynésie française et l’identité de celle-ci, et de sauvegarder ou de mettre en valeur les espaces naturels, la Polynésie française peut exercer dans le délai de deux mois son droit de préemption sur les propriétés foncières ou les droits sociaux y afférents faisant l’objet de la déclaration de transfert, à charge de verser aux ayants droit le montant de la valeur desdits propriétés foncières ou droits sociaux. À défaut d’accord, cette valeur est fixée comme en matière d’expropriation.
« Les dispositions des deux premiers alinéas ne sont pas applicables aux transferts réalisés au profit des personnes :
– justifiant d’une durée suffisante de résidence en Polynésie française, ou
– justifiant d’une durée suffisante de mariage, de concubinage ou de pacte civil de solidarité avec une personne ayant l’une des qualités ci-dessus.
« Elles ne sont pas non plus applicables aux personnes morales ayant leur siège social en Polynésie française et contrôlées, directement ou indirectement, par les personnes mentionnées à l’alinéa précédent.
« Les modalités d’application du présent article sont déterminées par les actes prévus à l’article 140 dénommés « lois du pays ». Ils peuvent notamment prévoir les cas dans lesquels les périodes passées en dehors de la Polynésie française pour accomplir le service national, pour suivre des études ou une formation ou pour des raisons familiales, professionnelles ou médicales ne sont pas, pour les personnes qui y étaient antérieurement domiciliées, une cause d’interruption ou de suspension de la durée à prendre en considération pour apprécier les conditions de résidence exigées au cinquième alinéa. »
Des mécanismes similaires ont été intégrés dans les statuts de Saint-Barthélemy[2] et de Saint-Martin[3].
La mise en place de ces régimes spécifiques de préemption peut s’appuyer directement sur les dispositions de l’article 74 de la Constitution, dont relèvent ces collectivités, qui prévoient expressément que pour les collectivités qui sont dotées de l’autonomie, le statut peut déterminer les conditions dans lesquelles « des mesures justifiées par les nécessités locales peuvent être prises par la collectivité en faveur de sa population, en matière d’accès à l’emploi, de droit d’établissement pour l’exercice d’une activité professionnelle ou de protection du patrimoine foncier. »
Dans le cas de la Polynésie française, le statut évoque l’objectif de « préserver l’appartenance de la propriété foncière au patrimoine culturel de la population de la Polynésie française et l’identité de celle-ci, et de sauvegarder ou de mettre en valeur des espaces naturels. »
Les dispositions statutaires applicables à Saint-Barthélemy évoquent pour leur part l’objectif de « préserver la cohésion sociale de Saint-Barthélemy, de garantir l’exercice effectif du droit au logement de ses habitants et de sauvegarder ou de mettre en valeur les espaces naturels ».
Il en va de même des dispositions statutaires applicables à Saint-Martin.
3. La question de la fiscalité des successions
Par délibération du 30 juin 2011, l’Assemblée de Corse a proposé au Premier ministre la modification des dispositions législatives du code général des impôts et du code général des collectivités territoriales relatives à la situation juridique du patrimoine immobilier et au régime fiscal applicable aux mutations à titre gratuit comportant des biens et droits immobiliers en Corse.
Il s’agissait, dans le cadre des dispositions prévues à l’article 72-2 de la Constitution, d’attribuer à la collectivité territoriale de Corse compétence pour fixer l’assiette, les taux, tarifs et tranches des droits de mutation à titre gratuit auxquels sont soumis les biens et droits immobiliers situés en Corse, à compter du 1er janvier 2013, d’autoriser la collectivité territoriale de Corse à fixer les conditions d’octroi des exonérations et abattements particuliers dont elle pourrait décider dans ce cadre, et de lui reverser la totalité du produit de l’imposition, déduction faite des frais de gestion engagés par l’Etat, pour lui permettre de financer à titre exclusif les actions qu’elle mettra en oeuvre dans les domaines du foncier et de l’habitat.
Cette délibération a été élaborée aux termes de nombreuses considérations.
Tout d’abord, la Corse se trouve confrontée, dans le domaine foncier, à une situation extrêmement problématique, constitutive d’une crise véritable, engendrée par la conjonction de plusieurs éléments marqués par une rupture d’équilibre : envolée des prix de l’immobilier, accession à la propriété et au logement de plus en plus difficile pour la population locale, configuration spatiale, démographique et économique du territoire.
De plus, la situation juridique du patrimoine immobilier en Corse est affectée de désordres ayant largement dépassé un niveau critique (important taux d’indivision, absence de titres authentiques de propriété, lacunes affectant le cadastre…), freinant notamment, par là même, la revitalisation et le développement de l’espace rural largement désertifié.
Enfin, les dispositions prises par les pouvoirs publics sont insuffisantes et peuvent générer de surcroît des effets pervers.
Concernant la fiscalité des successions, la loi du 22 janvier 2002 a planifié le retour progressif au droit commun fiscal applicable aux successions comportant des biens et droits immobiliers situés en Corse ; cette mesure crée des inégalités entre les citoyens, en ne prévoyant qu’un seul palier intermédiaire pour passer de l’exonération totale à la taxation totale, et en n’alignant pas le régime des donations entre vifs sur celui des successions.
En tout état de cause, le retour au droit commun fiscal des successions, s’il épargnera en partie les héritages modestes et moyens en ligne directe, pénalisera lourdement tous les héritages en ligne collatérale, et, au vu de l’importance des droits à payer, aura un effet dissuasif à l’égard d’héritiers recevant des biens dépourvus de titres de propriété et indivis.
Ainsi, la question des droits de mutation à titre gratuit et celle du foncier ne peuvent être dissociées et méritent donc un traitement coordonné, via un régime fiscal dérogatoire, justifié par la situation particulière de la Corse, soumise à des contraintes et des difficultés durables, de tout temps prises en compte par le législateur, et amplifiées par le contexte socio-économique. L’Assemblée de Corse a donc considéré qu’un régime dérogatoire ne contreviendrait pas au principe constitutionnel d’égalité, au regard de la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel dans ce domaine.
Le Conseil d’État a estimé que la collectivité territoriale de Corse ne peut se voir reconnaître une compétence fiscale que dans le cadre prévu par les dispositions combinées des articles 34 et 72-2 de la Constitution : elle ne saurait donc être autorisée à fixer l’assiette et le taux que des seules impositions locales qui lui sont affectées, dans les limites déterminées par le législateur.
Il a, en outre, considéré que le régime en vigueur des droits de mutations à titre gratuit fait obstacle à une territorialisation de cet impôt. En effet, la dévolution à la collectivité territoriale de Corse d’une compétence dans ce domaine, est subordonnée à l’institution, par le législateur, d’un régime d’imposition spécifique pour les seuls biens et droits immobiliers situés en Corse, ce qui romprait l’égalité des contribuables devant l’impôt, et n’est justifiée par aucune spécificité ni aucun motif d’intérêt général suffisants.
Enfin, le Conseil d’État a indiqué qu’il n’est pas avéré que le transfert de compétence envisagé constituerait un outil approprié pour atteindre les objectifs poursuivis par la collectivité territoriale de Corse en matière de politique foncière.
Cet avis parait donc sans appel et, d’une manière générale, signifier qu’à cadre constitutionnel constant, aucun transfert de fiscalité ne pourra se faire à destination de la Collectivité Territoriale de Corse.
De surcroît, le Conseil constitutionnel, saisi de la loi de Finances pour 2013, a annulé les dispositions portant prorogation pour cinq ans des mesures de retour progressif au droit commun fiscal instituées par la loi du 22 janvier 2002. Il a en effet estimé que « le maintien du régime fiscal dérogatoire applicable aux successions sur des immeubles situés dans les départements de Corse conduit à ce que, sans motif légitime, la transmission de ces immeubles puisse être dispensée du paiement de droits de mutation ; que la nouvelle prorogation de ce régime dérogatoire méconnaît le principe d’égalité devant la loi et les charges publiques ; que, par suite, l’article 14 doit être déclaré contraire à la Constitution ».
Cette décision a eu pour conséquences de ramener à six mois (au lieu de deux ans) le délai de déclaration des successions, et de soumettre au paiement de droits de mutation les droits et biens immobiliers transmis à raison de 50% de leur valeur, alors que l’exonération était jusque-là totale.
Il apparaît que, pour prendre une telle décision, le Conseil constitutionnel ne s’est fondé que sur l’aspect purement fiscal de la question, en jugeant que la dispense du paiement de droits de mutation était contraire au principe d’égalité. Il ne semble pas en effet avoir pris en compte le fait que la loi du 22 janvier 2002 a étroitement lié le régime fiscal transitoire à la question que constitue, au plan civil, la situation juridique du patrimoine immobilier.
Le transfert à la Collectivité territoriale de Corse de tout ou partie du produit de l’impôt sur les mutations à titre gratuit pour leur part immobilière, et de la compétence en matière de fixation de l’assiette, des taux et des exonérations, constitue la véritable solution pour sortir de cette impasse.
Le « rapport Carcassonne » note que le constituant, « en consacrant un article spécifique de la Constitution à ce corollaire particulier du principe de libre administration des collectivités territoriales, (…) a voulu manifester que la possibilité pour le législateur de transférer à une collectivité territoriale le produit et la compétence de fixer l’assiette et le taux d’une imposition constituait un élément fondamental du principe de décentralisation, désormais cardinal dans l’organisation de la République française. (…) Il apparaît ainsi tout à fait envisageable, sur le fondement de l’article 72-2 de la Constitution, de transférer à la collectivité territoriale de Corse le produit des droits de succession perçus sur les biens immobiliers situés en Corse, ainsi que de lui confier la compétence d’en déterminer l’assiette et le taux ».
« Il s’agit en effet bien de transférer, pour reprendre les termes mêmes de l’article 72-2, une « partie » d’une « imposition ». Saisi d’une loi opérant un tel transfert, le Conseil constitutionnel serait amené à raisonner d’une manière très différente de celle qu’il a fait prévaloir dans sa décision du 29 décembre 2012, quant à sa conformité au principe d’égalité devant les charges publiques. En effet, l’article 72-2 de la Constitution, en autorisant expressément le transfert à une collectivité territoriale de compétences en matière fiscale, autorise par construction la mise en oeuvre d’un régime fiscal qui ne soit pas uniforme au plan national. Le principe d’égalité devant les charges publiques ne se trouve ainsi pas mis en cause, mais voit son champ d’application expressément limité par l’article 72-2 de la constitution. Le principe d’égalité devant les charges publiques conserve en revanche son empire dans le cadre de la mise en oeuvre de la compétence ainsi transférée et il appartiendra au juge administratif et au juge judiciaire de vérifier que les règles établies au niveau de la collectivité territoriale désormais compétente n’opèrent pas, dans leur champ d’application géographique, de distinctions qui ne soient justifiées par une différence de situation ou un objectif d’intérêt général. »
Sur la base de la consultation des professeurs de droit public, réunis autour de Guy Carcassonne, et des travaux menés au sein de sa commission des compétences législatives et réglementaires, l’Assemblée de Corse a adopté, le 27 septembre 2013, par 46 voix contre 5, une délibération demandant l’inscription de la Corse dans la Constitution par la création d’un article 72-5.
Au moment où le gouvernement et les élus de la Corse élaborent ensemble les modalités de mise en œuvre de la collectivité unique, prévue par l’article 30 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, le présent amendement propose, en cohérence, de parachever la réforme institutionnelle de la Corse.
[1] Extrait de la consultation juridique rédigée sous la direction du regretté Guy Carcassonne, professeur de droit public à l’Université de Paris-Ouest Nanterre-la Défense, par les professeurs Julie Benetti, professeur de droit public à l’Université de Reims Champagne-Ardenne, Wanda Mastor, professeur de droit public et droit constitutionnel à l’Université de Toulouse 1 Capitole et David Capitant, professeur de droit public à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 28 mars 2013.
[2] Article LO 6214-7 du Code général des collectivités territoriales
[3] Article LO 6314-7 du Code général des collectivités territoriales