Interview donnée à ARRITTI par François Alfonsi
L’île de Beauté sous les déchets… comment en est-on arrivé là ?
C’est le résultat de choix politiques erronés et d’absence d’anticipation. Le tri n’a pas été une priorité des années passées, ni pour le Syvadec, ni pour les principales collectivités productrices de déchets (CAPA, CAB..), ni pour l’Office de l’Environnement et les pouvoirs publics en général.
La Corse est débordée par des volumes de déchets qui auraient dû être déjà bien réduits par un meilleur tri des flux verre, emballages et journaux. Les points d’apports volontaires urbains ont été progressivement réduits en nombre au lieu de croître : on a fait exactement le contraire de ce qu’il fallait faire durant des années, et l’inflexion observée depuis l’été dernier sous l’effet de la crise en dit long sur l’inertie qui régnait.
Les Centre d’Enfouissement sont saturés…
Ils sont saturés et les populations rurales sont ulcérées de devoir accepter les nuisances provenant essentiellement des fermentescibles des villes et du littoral sans que le moindre effort ne soit fait pour en réduire les effets. En effet, aucune politique de valorisation de proximité des fermentescibles n’a été mise en place. Il a été préféré de privilégier le projet des industriels d’un enfouissement de ces fermentescibles et de leur hypothétique méthanisation une fois mis en décharge, ce qui alimente un business coûteux, en transports et en exploitation, et ce qui n’apporte aucune réponse immédiate aux préoccupations environnementales. De ce fait, les conditions d’exploitation des CET existants sont tout à fait dissuasives pour l’émergence de nouveaux sites d’enfouissement.
Volumes et tonnages sans limites saturant les capacités, tri réduit à sa plus simple expression, nuisances jamais combattues, saturation des sites existants et échec des projets avancés par le Syvadec pour de nouveaux sites : l’impasse est totale.
Comment en sortir ?
J’ai proposé deux pistes de travail pour avancer. Tout d’abord, établir une procédure de suivi des déchets enfouis par les différentes collectivités.
La politique de prévention et de tri des déchets des collectivités doit pouvoir être mesurée à l’aune de ce qu’elle amène en décharge pour être enfoui. Et chacune d’entre elles, à commencer par les plus grosses (CAPA, CAB, Extrême Sud, etc.. ), doivent être mises face aux déchets réellement apportés aux CET par les semi-remorques provenant de leurs quais de transfert.
Pour ce faire, un dispositif simple peut être mis en place pour caractériser par sondage le contenu des semi-remorques venant de chaque Collectivité.
Avec quelle méthode ?
Selon une proportion à définir (un camion sur 10 par collectivité par exemple), son chargement est analysé à partir d’un échantillon prélevé par godet sur le haut du camion en trois ou quatre points différents. Cette échantillon est ensuite caractérisé par type de déchets : verres, cartons, emballages plastiques, journaux, fermentescibles et déchets non valorisables. La proportion de cette dernière fraction des déchets non valorisables dans les camions dirigés vers les décharges doit logiquement progresser au fur et à mesure que le tri se met en place. Cela permettra donc de suivre dans le temps les efforts de chaque collectivité, de les rendre publics pour une bonne transparence, et de mieux dialoguer avec les riverains sur la base des efforts des collectivités émettrices. Et aussi, à terme rapproché, de mettre en place un système de tarification de la tonne enfouie différencié entre les « bons » et les « mauvais » élèves.
Il existe des opérateurs à proximité des sites tout à fait capables de réaliser une telle prestation pour le compte de l’Office de l’Environnement. De telles procédures pourraient être proposées concrètement à Prunelli, Vighjaneddu, Vicu.
Les résidents pourraient jouer le jeu ?
Oui parce que les collectifs de riverains pourraient être étroitement associés à ce dispositif. Et l’on pourrait répondre concrètement à des questions qui restent sans réponse aujourd’hui : quand la CAPA annonce avoir diffusé des composteurs individuels, quel effet réel cela entraîne-t-il ? Quand la CAB annonce mettre en place du porte à porte quel effet réel observe-t-on ? Etc…
Et quelle est votre seconde piste ?
Lancer le compostage de proximité par des contrats d’objectifs avec les collectivités chargées de la collecte.
C’est la première réponse à apporter pour réduire les déchets immédiatement, et réduire d’autant l’impasse annoncée pour les dizaines de milliers de tonnes de déchets dont on ne saura que faire en fin d’année.
Techniquement, l’effort à faire est d’amener à la mise en place d’une collecte séparée, dans des sacs biodégradables, des biodéchets organiques ou carbonés (cagettes, cartons). Le compostage de ces déchets fermentescibles nécessite alors un complément de co-produits carbonés que la SEM Corse Bois Energie est en mesure de produire et de livrer partout en Corse. Le simple mélange des deux (produits organiques et co-produits carbonés) produit un compost sans autre obligation que de mélanger et remuer régulièrement le tas en surveillant son humidité. Les nuisances sont très faibles, presque inexistantes. La présence d’indésirables (erreurs de tri, mais aussi scotches des cartons) se règle facilement en fin de processus par un criblage du compost produit. Faire du compost est donc techniquement facile. Le plus difficile c’est d’amorcer une dynamique de collecte sélective.
Que faut-il faire pour y parvenir ?
Des contrats d’objectifs sont à proposer aux collectivités, quelle que soit leur taille ou le type de situation. On n’aura pas la même organisation en milieu urbain que rural, et les zones à forte densité touristique doivent être abordées à partir des déchets de la restauration et des établissements de tourisme. À tout le moins il faut aider les collectivités, ou leurs partenaires, à approvisionner les fournitures nécessaires (co-produits carbonés pour réussir le compost, sacs bio-dégradables à distribuer aux usagers, etc…), à financer un mode de collecte dédié en incluant la pédagogie nécessaire pour que les usagers s’y mettent concrètement (réalisation de dépliants, formation et recrutement d’ambassadeurs du tri), et un encadrement technique par des contrats avec des spécialistes.
Mais tout cela a un coût… c’est ce qu’objecte la plupart des communes.
Moyennant une subvention forfaitaire accordée à chaque collectivité volontaire, libérée en trois temps (1/3 signature, 1/3 début de la collecte, 1/3 en fin d’année si le tri a eu des résultats effectifs), de nombreuses collectivités pourraient s’engager. Le montant de la subvention pourrait être forfaitaire pour les petites collectivités jusqu’à 1.500 habitants Insee desservis (je suggère de l’ordre de 10-15.000 €) puis progresser de 10% par tranche de 1.000 habitants. Tout cela est à évaluer plus finement, mais cela donne un ordre de grandeur. Le principe de proximité inciterait les plus grosses collectivités à aller vers la création de différents sites qui serait alors aidés séparément.
Un objectif de 50 sites mobiliserait 1 million d’euros, pour environ 100.000 habitants Insee, c’est-à-dire en incluant la population touristique. Ce gros quart de population génère de l’ordre 10-15.000 tonnes de fermentescibles qui seraient alors enlevés à l’enfouissement, ce qui, au tarif moyen Syvadec de 150 €/T, permet de mobiliser 2 millions d’euros pour le fonctionnement du dispositif.