Intervention de Fabiana Giovannini, sur le rapport n° 233 relatif à la PPE, au sein de l’hémicycle durant la session des 29 et 30 octobre 2015.
Monsieur le président
Mesdames et Messieurs les conseillers,
Je suis heureuse de pouvoir m’exprimer sur ce rapport qui est l’un des derniers gros rapports de cette mandature qui a été très intense.
Nous avons partagé des heures de débats ensemble, à nous pencher sur les enjeux de demain pour notre île, concernant notre avenir institutionnel, les difficultés quotidiennes de notre peuple et les projets que nous lui dessinons, notamment à travers le Padduc bien sûr. J’en profite pour faire un aparté, je tiens à le dire parce qu’au-delà de la politique, et des joutes oratoires qui nous opposent souvent, particulièrement en cette période électorale, il y a des aventures et des rencontres humaines, j’ai trouvé cette première expérience à l’assemblée de Corse passionnante, j’ai beaucoup appris dans cette enceinte, et je voulais tous vous remercier chers collègues pour les échanges et les confrontations que nous avons pu avoir.
Ce rapport est très important. La PPE est pour notre collectivité le moyen de décliner notre politique énergétique. Et Dieu sait si l’énergie est un secteur fondamental de l’avenir de la Corse. Pour notre groupe il est d’un intérêt prioritaire vous le savez, parce qu’il préfigure le modèle de société dans lequel nous nous projetons.
Cela me donne la possibilité de rappeler ce qu’a été l’action de notre groupe durant la mandature.
Notre groupe mesure en effet le chemin parcouru en 5 ans. Et je voudrais vous le rappeler, nous venons quand même de loin.
Souvenez-vous, en début de mandature, votre Exécutif était résigné à enfourcher la solution du fioul lourd pour la reconduction de nos centrales thermiques. Notre groupe, ici dans cette enceinte, à Bruxelles et Strasbourg par le biais de l’eurodéputé François Alfonsi, ou sur le terrain même, au côté des associations ajacciennes ou au moyen de collectif citoyen comme celui qui s’était constitué en Marana sous l’impulsion de nombre de nos militants, nous avons travaillé à vous convaincre d’arrache-pied qu’il fallait en finir avec cette vraie-fausse solution, très dangereuse qui plus est pour la santé et pour l’environnement ; et que si nous voulions un jour voir le gaz arriver et développer notre potentiel ENR, il fallait procéder autrement, avec notamment la transition au fioul léger. Questions orales, motions, interventions, conférences de presse, nous avons été jusqu’à une action un peu spectaculaire en portant, souvenez-vous le fameux tee shirt « fioul lourd, fioul pùzzicu » ! J’en ai là un exemplaire , je voudrais vous l’offrir Monsieur le président en souvenir de ce moment-là et du chemin que nous avons parcouru ensemble.
Tout ça pour dire, que notre rôle, vous le savez très bien, ne se résume pas à des « virgules » ou à des « points virgules » par ci par là. Avemu travagliatu pè u nostru pòpulu, avemu scumbattutu per strappà une poche d’avvanzate, per cunvìncevi è, quantunque, ogni tantu, ci simu ghjunti !
Nous avons été constructifs, et je dois reconnaître que vous avez su vous même rester ouvert. Mais vous savez que notre poids n’est pas léger. Vous savez nos convictions et notre détermination. Vous savez qu’en matière d’énergie, de transports, de foncier, d’institutions, de fiscalité, de finances, et bien sûr dans tous les débats d’élaboration du Padduc nous avons, loin de la comédie, pesé et tiré vers le haut les débats qui nous ont occupé dans cette enceinte.
Ce rapport que vous nous présentez aujourd’hui accompagné de la PPE trahit l’énorme potentialité de la Corse en matière énergétique.
Il est conforme à l’air du temps, aux directives européennes, et aux directives nationales pour enfourcher la lutte contre les dérèglements climatiques.
Il est aussi la résultante du travail de cette assemblée durant la mandature. Je veux parler notamment du SRCAE et du Padduc. Les orientations et les objectifs sont écrits. De ce côté-là, rien à dire, nous sommes tout à fait d’accord même si, vous le savez encore, nous sommes pressés, nous avons faim de progrès, d’avancées, nous sommes ambitieux pour notre peuple, nous estimons que nous avons trop perdu de temps durant les 30 dernières années, nous voudrions faire de la Corse une avant-garde éclairée sur le plan des Energies Renouvelables, mais plus encore, sur la maîtrise de la consommation. Nous pouvons parce que notre potentiel est immense, être exemplaires en la matière.
Donc, nous avons encore un temps d’avance, nous parlons de negawatt et des extraordinaires perspectives que nous ouvre cette vision de l’avenir du monde.
Les enjeux sont considérables. Il s’agit d’un défi énergétique et environnemental, avec la réduction des émissions de gaz à effet de serre, avec la stratégie bas-carbone à laquelle nous invite d’ailleurs Madame Ségolène Royal. Mais il s’agit aussi d’un défi économique et social qu’on ne mesure pas encore à sa juste mesure avec la création de centaines de milliers d’emplois à l’échelle européenne et plus encore.
Nous sommes invités à une transformation sociétale qui doit bouleverser les comportements et nous plonger dans un autre modèle de société.
Pour une île, l’indépendance énergétique est capitale. Elle est même vitale dans un monde de tensions permanentes. Nous sommes trop dépendants des approvisionnements extérieurs. Près de 90% de la consommation totale en énergie primaire (carburants, gaz liquéfié, chauffage, importation via les interconnexions).
Alors NON, nous ne sommes pas trop ambitieux, nous sommes revendicatifs, oui, et nous nous projetons à demain bien mieux que quiconque n’a jamais su le faire ! C’est l’une des grandes qualités du nationalisme corse, aspirer toujours plus à davantage de responsabilités et de progrès, avancer toujours plus loin.
Et heureusement que nous avons ce train d’avance. Un grand philosophe, un homme de paix, apôtre de la non violence, Dom Helder Camara disait : « malheur au monde sans les utopies, très souvent les utopies d’hier sont les réalités d’aujourd’hui ».
Nous revendiquons cette utopie avant-gardiste !
Notre part d’ENR ne cesse d’augmenter, c’est vrai, mais, avouons-le, le système tel qu’il est bâti aujourd’hui, fait tout pour contenir cette croissance, alors que nous avons une vraie richesse dans les entreprises de terrain, performantes, expérimentées, mais surtout passionnées par l’enjeu, et qui pourraient répondre 20 fois, 50 fois, 100 fois plus vite à la demande si on le leur permettait ! Ce qui serait aussi créateur d’emplois qualifiés pour les jeunes Corses prêts à relever ce défi.
Il faut pour cela des financements, beaucoup de financements pour transformer encore plus vite la société. Et il faut faire sauter les verrous du seuil de déconnexion imposé qui nous tire par le bas quand tout commande d’aller de l’avant.
Quand on sait tout cela 45% à l’horizon 2023 c’est bien, c’est un bond en avant, mais c’est aussi encore largement insuffisant.
L’indépendance énergétique, nous l’avons projeté à 2050 dans le SRCAE. Près de 40 ans d’attente, la plupart d’entre nous, hélas, ne vivrons pas ce moment ! Alors que le monde va vite et qu’il faut aller vite avec lui. Et même, être en avance, ce n’est pas faire de la comédie, c’est notre vocation à Femu a Corsica que de se rêver en un laboratoire permanent d’expériences nouvelles en matière énergétique comme en toute chose.
Alors je pose la question.
Pourquoi prenons nous tant de temps pour mettre en place les Stations de Transfert d’Energie par Pompage ?
Le principal argument de cette question de « seuil de déconnexion » c’est l’aléa de l’intermittence de la production éolienne ou photovoltaique.
Il faut donc pouvoir stocker l’électricité renouvelable en masse pour lever ce risque.
La STEP offre une rentabilité exceptionnelle. Elle consiste en la mise en place de réservoirs de stockage d’eau à des altitudes différentes et suffisamment proches pour pouvoir faire ce transfert d’énergie. On pompe l’eau d’un bassin inférieur pour la monter dans le bassin supérieur et lorsqu’on en a besoin, et bien tout simplement on relâche l’eau du bassin supérieur qui produit de l’électricité à l’aide d’une turbine. Cette technique est toute simple. Elle est vieille de plus d’un siècle. Et il faudrait attendre encore…
Bref, elles ont fait leurs preuves de par le monde, se développent de manière considérable, à un faible coût, et offrent jusqu’à 80% de rendement de stockage d’électricité !
Sur ce point qui nous semble fondamental, notre groupe vous a interpellé durant la consultation publique en vous demandant d’agir de façon plus offensive.
Nous vous avons demandé d’être plus entreprenant concernant le projet de Sampolu. Et vous nous avez entendus avec la modification du décret et de la PPE.
Pour Femu a Corsica, plus que les études, il est impératif d’accélérer la réalisation même de l’ouvrage.
Pour répondre à cette demande, vous concédez d’inscrire sa réalisation à compter de 2018. Il faut anticiper en effet et faire que l’ouvrage soit enfin opérationnel avant 2023 car les difficultés ne manqueront pas.
Et les arguments pour cela ne manquent pas.
La STEP nous permettrait de nous doter d’un potentiel de 80 à 100MW pour le développement immédiat des ENR intermittents du solaire et de l’éolien.
Ce segment ENR est le seul qui mobilise avant tout le potentiel économique corse (capitaux, porteurs de projets, entreprises) sur des services de type toitures d’entreprises ou parking ou friches, ou sur des hangars et exploitations agricoles etc.
Pour notre groupe, ce doit être une priorité car, en sus de l’amélioration de la fiabilité de l’alimentation énergétique, il est le principal levier pour le développement de nos filières et pour l’emploi local.
Il faut savoir, qu’à l’échelle de la France et de son potentiel de stockage par des STEP réalisables, le stockage de l’électricité renouvelable pourrait être multiplié par 22 en quelques années, et en 10 ans, je dis bien en 10 ans, la France pourrait approcher les 100% d’électricité renouvelable et par là même en finir définitivement avec l’énergie nucléaire, dangereuse, coûteuse et antidémocratique. C’est réalisable techniquement du point de vue de l’approvisionnement, le coût de l’électricité produite étant meilleur marché. C’est bien sûr un scénario négawatt. Et désormais des progrès ont été faits concernant le respect de l’environnement et des paysages, les STEP n’ont pas besoin de volumes considérables comme les barrages, leur rôle principal est de stocker l’électricité pour quelques heures ou quelques jours, les plans d’eau sont donc réduites et les canalisations peuvent être enterrées ou dans des galeries en sous-sol. Cette option permet aujourd’hui à l’Espagne de produire plus de 42% de son électricité à partir du renouvelable car elle peut stocker en masse sa production éolienne et photovoltaïque.
Ce moyen de maîtriser la production électrique avec des énergies propres c’est donc l’avenir. Il faut l’enfourcher sans réticence.
Autre point. Sur la période 2018-2023 il est nécessaire de préparer un saut qualitatif dans nos prévisions et donc dans notre politique pour une meilleure maîtrise de la consommation.
Pour cela, il faut engager dès début 2016 une réflexion sur les mécanismes de la CSPE qui est un enjeu majeur pour une meilleure Maîtrise de la Demande en Energie.
L’une des possibilités d’action identifiée dans la PPE est le développement de « compteurs communicants ». C’est ce qui est prévu au plan national avec le compteur Linky, qui fait l’objet de nombreuses controverses avec les associations de consommateurs.
Pour Femu a Corsica, la généralisation de ce type de compteur est insuffisante. Il est même, excusez moi, à côté de la plaque. Car ce n’est pas le gestionnaire de réseau notre cible, mais le consommateur. Il faut « fabriquer » (passez moi l’expression) des consommateurs intelligents, c’est à dire conscients, informés et responsables.
Il faut donc être plus performant. À l’occasion d’opérations test sur le continent il a été démontré que les informations de consommation fournies en temps réel aux usagers entraînaient une diminution importante de consommation supérieure à 20%. Là, on peut parler de bond en avant. Et on mesure tout le potentiel qui nous est offert, simplement en équipant les ménages de compteurs « intelligents » qui responsabilise l’usager.
Ça doit donc être une priorité. L’objectif à 10 ans pour déployer un nouveau compteur nous paraît beaucoup trop lointain. L’usager doit être informé en temps réel et de manière détaillée sur sa consommation, fusible par fusible. C’est le meilleur moyen pour agir sur la demande. Trop de pertes, trop de gâchis, trop même de dérives doivent être absolument corrigés. Il faut donc plus de pression sur le gestionnaire de réseau pour une mise en place accélérée de ces « compteurs intelligents ». Une limite à 5 ans pour leur généralisation nous semble plus à même de répondre à cet objectif par ailleurs identifié dans la PPE.
Leur mise en place doit de plus s’accompagner d’une sensibilisation y compris auprès de bénéficiaires d’exonérations, sous la forme, de « chèques énergie » plafonné, permettant un meilleur contrôle de sa consommation par l’usager, toujours au moyen de ces « compteurs intelligents ». Il y a là un moyen vertueux de soutien et de responsabilisation très puissant qui viendrait en soutien des foyers les plus précaires, mais là aussi, en les responsabilisant et en les accompagnant comme il se doit.
Ce couple compteurs intelligents / chèque énergie devrait être surtout un moyen de mieux contenir la consommation des collectivités, des administrations, des institutions et des entreprises en général. Là est un gisement important pour lutter contre un gaspillage considérable qu’il nous faut mieux maîtriser, été comme hiver et notre hémicycle en est lui même un exemple.
En fait, il faut parvenir à associer le consommateur aux enjeux de la maîtrise de la consommation énergétique. Les « compteurs intelligents » visent à inciter à une « consommation intelligente ».
Concrètement, peut-on envisager aujourd’hui de payer à la caisse d’un supermarché le contenu de notre caddie sans savoir le prix de chaque article ? Non ! C’est pourtant, ce qui se passe aujourd’hui avec nos factures d’électricité !
Est-il possible d’imaginer une opération test rapide avant 2018 sur 1000 compteurs par exemple ? Cela boosterait la généralisation de ces compteurs et nous éviterait de perdre encore un temps précieux dans nos objectifs.
Ce point nous semble crucial si l’on veut réellement engager notre île dans le scénario de « rupture » prôné dans le SRCAE.
Je vous remercie.