Niculaiu Battini : « La #corse produit-elle encore des corses ? »

D’aucuns prétendront que la question mérite d’être posée. Ce qui apparaissait comme une évidence il y a quelques décennies serait désormais sujet à débat, le symptôme d’une société corse – et française nous dit-on – en état de déliquescence, l’ultime étape annonciatrice de quelque disparition inéluctable des antiques valeurs morales et spirituelles – ô combien mystifiées – qui faisaient la grandeur de l’Occident romain ; l’auto-désintégration d’une civilisation qui n’épargnerait bien évidemment pas la Corse. Une énième chute de Rome et de ses provinces, dépecées par les menées destructrices des Vandales mahométans et autres agents du désordre. Dans ce constat quelque peu excessif, terreau de toute les idéologies nauséabondes, n’y aurait-il pas des points à éclaircir ou à remettre en cause ? Nous le croyons.

En premier lieu, nous estimons nécessaire le fait de clarifier ce que nous entendons par “intégration”. Il va de soit que la nature de nos idées, l’absence totale d’ambiguïté en ce qui concerne notre engagement, exclut d’avance toute vision ou approche régionale française. Le nouvel arrivant qui s’installe en Corse, d’où qu’il vienne, en adoptant les réflexes coloniaux les plus archaïques, en refusant de prendre en compte le fait que deux référents identitaires s’offrent à lui, l’un français et l’autre corse, niant délibérément l’existence du peuple qui vit sur cette terre depuis des siècles ; l’étranger qui arrive en Corse avec l’idée de venir vivre dans un département français comme les autres, celui-là choisit de toute évidence de s’intégrer à la population coloniale présente en Corse, pas au peuple corse.

Nous appelons intégration des étrangers la façon que ces derniers doivent avoir de cohabiter dans un premier temps avec ceux qui les accueillent et, dans un second temps, de participer à la vie économique, sociale et politique du peuple corse, en le reconnaissant comme seule communauté de droit, en souhaitant s’y fondre et en acceptant qu’il puisse un jour accéder à la souveraineté nationale. C’est la communauté de destin, clef de l’émancipation politique, proposée par le FLNC depuis les années 80. C’est le concept de sang social exposé par Rinatu Coti dans “ Trà locu è populu ”, le fluide qui irrigue la société et le peuple, incluant en son sein ceux qui désirent y appartenir, sans s’attarder sur leurs origines ou leur religion.

D’autre part, la “machine à intégrer” était-elle si performante à l’aube du siècle dernier ? Les immigrés italiens d’alors – qui devaient supporter l’aimable appellation de Lucchesacci – auraient certainement un avis nuancé à ce sujet. Nous l’avons oublié. Leurs descendants, qu’on ne désigne même plus comme des enfants d’immigrés, n’ont en effet plus à s’en plaindre. L’intégration se fait très rarement à la première génération, telle est la réalité des flux migratoires. La corsité – osons le mot – n’a pas eu de difficultés à pénétrer ces populations immigrées du 20ème siècle, corsité qui se caractérisait essentiellement par la pratique de la langue corse, le facteur communautaire inclusif, le plus authentique. Cette intégration pouvait avoir lieu à la condition que fassent usage de la langue insulaire, et ce de façon quotidienne, ceux qui sont censés la pratiquer, à savoir les Corses eux-mêmes. Francisation oblige, tel n’est plus le cas, c’est le moins que l’on puisse dire, y compris et particulièrement pour ce qui est de cette catégorie de la population corse qui attribue l’origine de tous les maux qui la touchent aux difficultés – réelles et/ou exagérées – qu’ont les populations étrangères – surtout musulmanes – de s’intégrer.

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Par ailleurs, n’existe t-il pas un autre facteur d’appartenance commune que ceux ethnique – trop exclusif – ou linguistique – inclusif mais limité – ?

Nous en revenons au point évoqué précédemment, la communauté de destin. Dans un monde où la mondialisation entraîne nécessairement, de par la mobilité des individus, des métissages de toute sorte qu’aucun être doué de raison ou d’humanité ne saurait qualifier de problématiques – la pensée politique s’abaisse en se mêlant d’amour – ; dans une Corse où l’acculturation, voulue et organisée par les politiques françaises unilinguistes et jacobines, a réduit la pratique de l’idiome insulaire à un point de marginalisation jamais atteint, ne reste que la volonté d’Être ensemble, de faire Nation ensemble. Ne reste que le sentiment profond et partagé d’avoir quelque chose à construire sur le territoire où nous vivons tous, en cohérence avec le passé et avec l’espoir en l’avenir. Les nations modernes appellent ce sentiment “citoyenneté”. À défaut de jouir pour le moment d’une véritable valeur légale, cette citoyenneté corse doit s’établir dans les cœurs et les consciences. Elle doit être un élan, une aspiration accessible à tous. Comme le cœur renvoie sans discontinuer le sang dans l’organisme, elle est la volonté perpétuelle et renouvelée à l’infini de vouloir constituer une communauté humaine cohérente, unie par une histoire, une langue vernaculaire, une terre et un véritable contrat social en faveur d’une émancipation prochaine.

En définitive, seuls la revendication nationale et son concept de communauté de destin sont en mesure de finaliser ce travail des esprits, cette construction d’une véritable conscience collective corse. C’est cette même démarche humaniste, patriotique et démocratique, secondée par la reconquête linguistique et la production culturelle et identitaire, qui porte aujourd’hui les nationalistes catalans et écossais aux portes de la reconquête des droits nationaux de leurs peuples respectifs. À l’indispensable condition que nous refusions aussi bien les thèses racialistes d’extrême-droite que les schémas de pensée coloniaux, elle nous y conduira à notre tour.

Niculaiu Battini

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