L’Associu Tocca à noi participait hier à une conférence-débat sur le thème « le peuple corse, une communauté de destin ». Nous tenons une nouvelle fois à remercier les organisateurs de ce débat ainsi que toutes les personnes qui y ont participé.
Voici le compte-rendu écrit de notre intervention :
== DÉBAT PUBLIC – CONTRIBUTION DE L’ASSOCIU TOCCA À NOI ==
Au sein de notre association, nous avons toujours considéré la question de la définition du peuple corse comme une notion centrale du mouvement national, c’est pourquoi nous sommes heureux de pouvoir contribuer à ce débat.
Car c’est bel et bien de « définition » ou plutôt de « vision » du peuple corse dont il s’agit aujourd’hui. Et la communauté de destin, c’est une vision du peuple corse, que nous partageons de manières très claire et sans ambiguïtés, et ce pour plusieurs raisons :
– Tout d’abord parce que voir le peuple corse comme une communauté de destin, c’est considérer que « le peuple corse est une communauté historique et culturelle vivante regroupant les corses d’origine et les corses d’adoption ». Cette phrase, nous ne l’inventons pas, c’est la définition officielle du peuple corse par l’Assemblée territoriale, adoptée le 13 octobre 1988.
– Ensuite, parce que nous nous opposons clairement à l’idée d’un peuple corse réduit à une « communauté charnelle » ou « raciale », défendue par certains. Pour nous le peuple corse ne se résume pas à une vision « ethnique » qui serait basée uniquement sur le droit du sang. C’est une position que nous considérons comme « communautariste », voire même « claniste », et qui, pour nous est discriminatoire.
Dans les évolutions que connait actuellement notre île, deux mesures primordiales votées par l’Assemblée de Corse vont, pour nous, de pair avec l’idée de communauté de destin ; le statut de résident et la co-officialité.
– Le statut de résident, parce que d’une part, il constitue un élément de protection de notre peuple face à la violence de la mondialisation et du colonialisme français (en particulier la spéculation immobilière effrénée qui a explosé ces dernières années). D’autre part, parce qu’il pose les bases d’une citoyenneté corse axée entre autres sur un nombre d’années de résidence principale. Un « droit du sol » corse, qui, de fait, rejetterait toute forme d’exclusion quelles qu’elles soient (raciales, religieuses etc.). Les deux notions combinées de droits du sol et de droit du sang constituent la nationalité de la plupart de nos voisins européens. C’est comme cela que nous voyons la citoyenneté corse de demain. La Corse doit former une nation à part entière qui dépasse les clans, les origines ou les religions. C’est précisément cela la communauté de destin. C’est le socle d’une unité nationale corse que nous devons construire, à l’opposée du colonialisme français qui se réjouira toujours de pouvoirs nous monter les uns contre les autres.
N’oublions pas que Pasquale Paoli lui-même défendait l’idée d’une citoyenneté de résidence, notamment lorsqu’il parlait de l’immigration juive de l’époque ; « Que ceux qui viennent chercher un asile parmi nous trouvent l’hospitalité à la place des humiliantes distinctions dont on les accable. […] Rien n’empêche donc que ce Juif, naturalisé par le domicile, ne concoure à l’élection de nos magistrats et des représentants ». Ces propos, recueillis dans les Detti memorabili del generale Paoli, résument parfaitement la vision du peuple corse que nous défendons aujourd’hui dans ce débat.
Nous voulons insister aussi sur le fait que la mise en place d’une citoyenneté corse doit déboucher entre autres sur une corsisation des emplois, revendication historique du mouvement national, que nous devons porter au-delà du simple cadre des administrations publiques, ce thème devant concerner tout les secteurs, publics comme privés. Rappelons que les Collectivités d’Outre-Mer (anciennement les TOM) bénéficient toutes de mesures de priorités régionales à l’embauche, garanties par l’article 74 de la constitution.
– La co-officialité de la langue joue elle aussi un rôle déterminant dans cet avenir commun. C’est cette mesure qui permettra réellement la survie de la langue corse avec une généralisation du bilinguisme. Dans tout les pays, la langue constitue un des éléments essentiels de l’appartenance et du sentiment d’appartenance à un peuple. Il y’a plus d’un siècle, tout le monde parlait corse en Corse, les étrangers qui arrivait dans l’île n’avaient pas d’autres choix que de parler notre langue. C’était ainsi un facteur d’intégration primordial. Et aujourd’hui les enfants et petits-enfants des travailleurs italiens (les fameux « Lucchesi »), des russes blancs, des républicains espagnols et des autres populations qui ont immigré dans notre pays à cette époque font pleinement partie du peuple corse, personne ne peut le nier. On dit souvent que la Corse a toujours fabriqué des Corses, c’est une réalité. Et la langue en constitue un rouage.
Un autre point important va pour nous dans le sens d’un peuple corse communauté de destin, c’est l’idée d’un véritable projet de société qui place notre peuple au centre des décisions et se base sur la justice sociale.
Des notions qui pour nous tournent radicalement le dos à la politique de dépossession de notre terre menée en Corse ces dernières années. L’omniprésence du cartel tout-tourisme/bâtiment/grande distribution/spéculation a favorisé le recul des terres agricoles, accélérée la désertification de l’intérieur, la prolifération des résidences secondaires, et bien sûr, la colonisation de peuplement. Nous devons créer une réelle alternative à ce modèle de société ultra-capitaliste qui conduit notre peuple droit dans le mur. À nos yeux, le PADDUC peut constituer un élément important de ce nouveau projet de société que nous appelons de nos vœux. Car, même si il y’a à redire sur l’aspect technique, sa philosophie générale a une véritable dimension sociale, et se base sur le protectionnisme et le développement durables. Et si demain ce PADDUC est fidèle à sa philosophie générale, ça veut dire qu’il tournera le dos au développement incontrôlé des grandes villes et du littoral. Et donc qu’il tournera le dos et à la ghettoïsation, à la marginalisation sociale et aux communautarismes. Ça veut dire qu’il tournera le dos aux patrons qui font systématiquement appel à de la main d’œuvre malléable et jetable venue de l’étranger ou de l’Hexagone. Bref cela veut dire qu’il favorisera la mixité sociale, ainsi qu’un développement et un aménagement à taille humaine, les politiques d’immigration et d’intégration qui en découleront, seront donc forcement, elles aussi à « taille humaine ». Ce ne sera qu’en se basant sur des valeurs de justice, de respect et d’harmonie sociale que nous parviendrons à créer notre « modèle d’intégration corse », à l’opposé, là encore, du modèle d’intégration « à la française » qui a échoué et se retrouve aujourd’hui paralysé par les communautarismes et les fractures sociales.
Tout ces éléments ; PADDUC social et protectionniste, statut de résident, co-officialité, corsisation des emplois seront les premiers outils essentiels pour que le peuple corse soit maître de son destin. Si le peuple corse est maître de son destin, il continuera d’exister, et la vision que l’on en a, elle aussi. Il aura ainsi les voies et moyens légitimes pour continuer d’accueillir et d’intégrer les populations extérieurs qui viennent chercher un avenir meilleur chez nous, comme il l’a toujours fait. C’est, entre autres, parce que notre peuple est une communauté de destin qu’il a su évoluer au fil des siècles.
Le problème qui se pose aujourd’hui est « pour qui existe la communauté de destin ? ». Si l’on peut voir, dans l’immigration récente des Français, des Italiens et même des Portugais, parfaitement intégrés à la population corse depuis des années, il existe encore un blocage avec la population maghrébine. Un rejet renforcé ces dernières années par l’actualité internationale ; la peur de l’islam ayant tendance à se développer partout en Europe. Et la remise en cause de la communauté de destin sert bien souvent de prétexte pour pouvoir exclure définitivement les maghrébins de l’île de toute possibilité d’appartenance au peuple corse. Derrière ce rejet, la question religieuse prend une place prépondérante. C’est encore une fois à nous, représentants du mouvement national de faire des propositions concrètes. Et selon nous, la défense de la communauté de destin est étroitement liée à la vision d’une Corse laïque. Une Corse, qui, tout en reconnaissant les cultures chrétiennes et païennes comme patrimoine historique, fixerait de manière très claire la séparation de l’Église et de l’État ; définition première de la laïcité. Pour nous, un Corse peut être chrétien, juif, athée ou musulman, l’important est qu’il soit Corse avant tout. Notre vision de la laïcité est simple ; c’est à la religion de s’adapter à la Nation, et non le contraire. Comme pour les principes de la citoyenneté, il y’a des droits et devoirs clairs, que chacun est en capacité de comprendre et d’adapter, quelque soit sa religion ou son origine. Si nous admettons cette idée, alors nous aurons la capacité d’établir une relation de respect mutuel entre notre peuple et les populations que nous accueillons, les maghrébins, comme les autres. Une immigration, qui de surcroît, a tendance à se stabiliser, voire même à baisser (selon les chiffres de l’INSEE de 2012), contrairement aux 5000 nouveaux arrivants qui débarquent de l’Hexagone chaque année.
Voilà pour ce qui est de notre sentiment en ce qui concerne cette notion. Et pour conclure, nous terminerons par une citation issue d’un communiqué de Corsica Nazione Indipendente de 2008, « il n’y pas de Nation en mouvement sans communauté de destin. Sont Corses ceux qui aspirent aux intérêts collectifs et nationaux de la Corse. » phrase qui résume symboliquement notre position.
ASSOCIU TOCCA À NOI