36 voix pour, dont 14 voix nationalistes, sur 51 conseillers territoriaux : l’Assemblée de Corse a adopté au bout de cinq années de travail, avec une large majorité, le document présenté par l’Exécutif. A deux mois à peine des élections de décembre, ce vote restera symbolique de la mandature écoulée.
Sur le fond politique, le Padduc qui a été adopté marque une avancée incontestable en inscrivant l’avenir de la Corse dans une construction collective réellement durable. Les objectifs essentiels y sont présents : préserver le littoral face à la spéculation foncière touristique, garantir les terres agricoles sur le long terme, notamment dans les zones à forte pression urbanistique aux périphéries des agglomérations, et inscrire la « destination » du territoire au profit du peuple corse, « communauté de destin ». Peuple corse, co-officialité, rejet de l’économie résidentielle et spéculative, priorité donnée à une économie productive : le Padduc qui a été adopté au bout d’une longue procédure reprend valablement les enjeux essentiels pour l’avenir de la Corse. Les polémiques de la dernière période ont été excessives, et le groupe Femu a Corsica a su s’en dégager en s’appuyant sur le travail réalisé durant toutes ces années par Fabienne Giovannini. En s’élevant au dessus des enjeux politiciens inhérents à la campagne électorale, Gilles Simeoni et Jean Christophe Angelini ont pris la hauteur indispensable pour une force politique qui aspire à accéder aux responsabilités.
Car sans les 14 voix nationalistes, et particulièrement les 11 voix de Femu a Corsica, l’avenir du Padduc aurait été largement compromis. Certes, trois absences plus ou moins volontaires d’élus qui n’étaient pas en phase avec leur groupe, ramenait la majorité nécessaire à 25 voix. Mais, sans les 11 voix de notre groupe, le Padduc serait passé dans des conditions tellement limites qu’il perdait beaucoup de sa légitimité.
Or cette légitimité lui est indispensable pour faire face aux attaques dont il sera l’objet. Celles de l’Etat tout d’abord, qui ne supporte pas que le document qui sera désormais celui qui fait autorité pour les politiques futures de la Corse parle de peuple corse ou de co-officialité, ces « gros mots » qui choquent tant à Paris. Un bras de fer va s’engager, politique et juridique. L’Etat qui doit faire face à un consensus politique corse largement majoritaire grâce au vote de vendredi dernier va hésiter avant d’engager le fer. Si le vote avait été plus serré, il n’aurait pas hésité une demi-seconde !
L’autre grand perdant du vote de vendredi dernier est la « nébuleuse spéculative », cet ensemble d’intérêts mêlés qui depuis cinquante ans rêve de transformer la Corse en une nouvelle Côte d’Azur. Des projets immobiliers colossaux sont désormais bloqués, et ces intérêts privés ne manqueront pas de vouloir passer en force.
Mais à l’heure où les éléments déchaînés ont montré sur la Côte d’Azur à quel point la bétonnisation systématique pouvait conduire à des catastrophes climatiques terriblement meurtrières, les générations futures nous seront gré d’avoir bloqué en grande partie le même processus spéculatif en Corse dans les années 70-80, quand il prenait son envol, et d’avoir désormais installé un cadre réglementaire strict qui ne lui permettra plus, pour les décennies à venir, de produire le même modèle de développement. A Cannes, Mandelieu et jusqu’à Nice, le mur de béton littoral et les tapis de macadam de zones urbanisées à l’extrême ont été balayés en trois heures d’un violent orage. Là-bas tout était constructible, et tout a été construit, les zones naturelles qui pouvaient servir d’exutoire aux flots déchaînés ont disparu sous le béton et le goudron qui en ont accéléré la force destructrice. Vingt et un morts et disparus en une seule soirée, et des dégâts matériels colossaux : l’échec du modèle de l’économie résidentielle s’étale désormais à la « une » de tous les journaux.
La Corse s’engage sur un autre chemin, au bout de trente ans d’un combat politique où tout le monde a pris sa place, associations, nationalistes, écologistes, progressistes, Arritti et tant d’autres. Le Padduc qui singeait le modèle de la Côte d’Azur a été rejeté sans appel il y a cinq ans. Et celui adopté ce 2 octobre 2015 définit un modèle de développement valable pour le peuple corse. Au delà des vicissitudes et des polémiques, c’est ce que l’Histoire retiendra.