Même si plus de la moitié des électeurs n’ont pas voté pour eux, les indépendantistes en Catalogne se sont dits déterminés lundi à lancer le processus vers l’indépendance, faisant fi de l’opposition de Madrid et du scepticisme des marchés.
« Le message (des électeurs) est clair. Nous avons la majorité qui légitime totalement le fait d’initier le processus », a affirmé Raul Romeva, tête de liste de la coalition « Ensemble pour le oui », devant la presse à Barcelone, au lendemain des élections régionales.
Les deux listes indépendantistes ont obtenu au total 72 sièges, soit la majorité absolue au parlement, mais seulement 47,8% des suffrages.
M. Romeva a ajouté être disposé à négocier avec Madrid uniquement sur les modalités de l’indépendance.
A Madrid, le chef du gouvernement conservateur, Mariano Rajoy, s’est, quant à lui, dit prêt à dialoguer mais uniquement « dans le cadre de la loi ». « Je suis prêt à écouter et à parler » mais « je ne vais parler ni de l’unité de l’Espagne ni de la souveraineté », a-t-il répété dans sa première déclaration après le scrutin.
« Les prétentions de quelques uns étaient et restent en dehors de la loi, mais en plus maintenant, il a été démontré qu’ils n’ont pas l’appui de la majorité des citoyens », a-t-il insisté, en référence aux indépendantistes.
Malgré ce dialogue de sourds, la Bourse de Madrid a réagi calmement au résultat du scrutin et résistait beaucoup mieux que les autres places européennes à la baisse des cours.
« Pour les investisseurs, il est peu probable, voire quasiment impossible, que la Catalogne puisse devenir indépendante, principalement car c’est illégal », a expliqué à l’AFP Daniel Pingarron, analyste marché chez IG.
La presse était divisée sur le résultat du scrutin. Pour le journal catalan de gauche El Periódico, c’est une « victoire », quoique « amère » pour les indépendantistes. Le journal de centre gauche El País, le plus vendu en Espagne, considère que « les indépendantistes gagnent les élections et perdent leur plébiscite ».
– « Une gifle au gouvernement » –
Pour aller de l’avant, les indépendantistes devront d’abord surmonter leurs divisions. Pour former un gouvernement régional, la liste de M. Romeva doit compter sur les dix sièges obtenus par une autre liste indépendantiste, la CUP, d’extrême gauche, qui ne veut pas du conservateur Artur Mas au pouvoir.
« Nous ne voterons pas l’investiture d’Artur Mas parce que nous considérons qu’il n’incarne pas le processus…. Nous investirons quelqu’un qui n’a rien à voir avec les coupes budgétaires, les privatisations ni la corruption », a déclaré la numéro deux de la CUP, Anna Gabriel Sabaté.
La « question catalane » qui envenime la politique espagnole depuis des décennies pèsera en tout cas sur les élections législatives de décembre, où M. Rajoy joue sa réélection.
L’opposition comme les analystes attribuent la progression des indépendantistes à l’intransigeance de M. Rajoy ces dernières années. Le Parti populaire (PP) qu’il dirige avait obtenu, en 2010, que le Tribunal constitutionnel rabote le large statut d’autonomie accordé à la Catalogne.
Puis M. Rajoy avait refusé, en 2012, toute négociation avec M. Mas sur une autonomie fiscale pour la Catalogne, qui réclamait les mêmes privilèges fiscaux que le Pays basque et la Navarre.
« Une part importante des Catalans qui ont voté pour +Ensemble pour le oui+ n’ont pas voté pour l’indépendance mais pour donner une gifle au gouvernement » espagnol, a estimé Jose Juan Toharia, directeur de l’institut de sondage Metroscopia, dénonçant la « gestion maladroite, à courte vue et myope » de l’équipe de M. Rajoy.
« Beaucoup ont voté pour renforcer la main (de la Catalogne) dans une négociation avec Madrid », a aussi jugé Narciso Michavila, qui dirige l’institut GAD3.
Le parti libéral Ciudadanos, devenu dimanche la première force d’opposition aux indépendantistes catalans en passant de 9 à 25 sièges, en a profité pour se poser en recours national. Son chef, Albert Rivera, a affirmé que les deux partis nationaux traditionnels, PP et Parti socialiste, étaient « inutiles pour apporter une solution aux problèmes de la Catalogne ».
Quant au chef du Parti socialiste, Pedro Sanchez, il a appelé à « une époque de coexistence et de dialogue ».
Selon un récent sondage, les deux tiers des Catalans, comme des Espagnols dans leur ensemble, jugent que c’est à présent « l’heure de la négociation », a rapporté M. Toharia.
Par Michaela CANCELA-KIEFFER, avec Patrick RAHIR à Madrid