En cette rentrée de septembre, la crise des déchets rythme la vie politique corse bien davantage que la future élection régionale qui pourtant aura lieu dans moins de trois mois. Elle met en lumière l’impuissance des politiques, les institutions comme les dirigeants. En Corse, un fossé apparemment irrémédiable sépare trop souvent le verbe de l’action.
L’apocalypse de la montagne des déchets non triés qui s’entassent à Tallone, Vicu, Vighjaneddu ou Prunelli a été révélée à l’opinion corse par l’extrême ras le bol des riverains. Avant, les montagnes de déchets s’étalaient à la vue de tous à Teghime pour Bastia, Saint Antoine pour Aiacciu, et ainsi de suite dans toutes les microrégions de Corse. En les rejetant loin des regards, les responsables imaginaient avoir « réglé le problème » comme dirait François Tatti. Sauf que rien n’est réglé, et que la montagne des déchets déborde inexorablement des casiers que l’on creuse au cœur du monde rural pour recevoir ce qui dégorge des villes et du littoral.C
omme dans bien des domaines –langue corse, transports, tourisme, énergie, etc..- la Corse souffre avant tout de sa non-politique. Dans l’affaire des déchets, c’est l’effort du tri en amont qui a été totalement occulté. Une fois les Centres d’Enfouissement Techniques ouverts, le Syvadec a jugé que l’essentiel était fait. Dans le même temps, les industriels du transport et de la mise en décharge ont organisé un juteux business, l’immobilisme s’est installé, jusqu’à la situation où nous sommes aujourd’hui. Dix ans d’inaction, au point de devenir les cancres de l’Europe en matière de tri sélectif, et nous voilà au bout de l’impasse, face à nos carences et à nos contradictions, rural contre urbain, intérieur contre littoral, Aiacciu et Bastia contre le reste de la Corse.
Etait-ce si difficile de faire autrement ? La modeste expérience que j’ai mené depuis dix ans à Ghjirulatu montre le contraire : 20% de déchets allant en décharge contre plus de 80% pour le reste de la Corse. Ce qui a été mis en place est simple, rustique, peu coûteux, et remarquablement efficace. Ceux qui font désormais l’effort de s’y intéresser réalisent enfin qu’il faut passer à l’action, et s’y mettre pour de bon. Et que cela aurait du être fait depuis bien longtemps.
Comme dans toute question de société, il faut prendre le problème par un bout. Et dans le domaine des déchets, le « bon bout », c’est le traitement des fermentescibles dans des centres de compostage de proximité. Car tout le reste coule ensuite de source : le tri des matières organiques dans les ménages et les établissements gros producteurs comme les restaurants s’accompagne automatiquement du tri des bouteilles, plastiques et emballages. Et au lieu d’un dispositif dispersé de bornes de collecte dont l’efficacité se rabougrit inexorablement –Aiacciu, 3% de taux de tri !-, le passage à la collecte séparée du compostable permet de faire le chemin inverse et de passer à plus de 50% de taux de tri. Mais, en dix années depuis la fin des décharges sauvages, pas un euro, pas une action, pas une étude, pas la moindre ligne de crédit dans les programmes contractualisés avec l’Etat ou l’Europe, n’ont été votés pour mener à bien une telle démarche. L’impuissance est totale, tant à l’Office de l’Environnement qu’au Syvadec, à l’Assemblée de Corse, dans les Communautés d’Agglomération d’Aiacciu ou Bastia, comme en Préfecture.
Ce constat d’échec sur les déchets peut être étendu à d’autres exemples qui sont vitaux pour l’avenir de la Corse. Par exemple, pour la revitalisation de la langue, le « bon bout », c’est l’enseignement par immersion, ce à quoi la stupide constitution française s’oppose obstinément. Quiconque a été constater les politiques efficaces menées en Europe pour revitaliser des langues menacées de disparition, au Pays de Galles, au Pays Basque ou ailleurs, en fait le constat immédiat. Mais plutôt que de mettre en œuvre ce qui est efficace et porteur, on laisse prospérer un entre-deux dépressif, à travers des écoles dites bilingues qui en fait ne le sont pas ou si peu, qui finit par désespérer du projet que l’on veut porter tant les résultats sont insuffisants. La crise des transports, qui n’en finit pas, la question des centrales au gaz naturel, où on s’épuise en réunions et visites ministérielles sans que rien n’avance vraiment, tandis que le développement des énergies renouvelables stagne et même régresse, les exemples sont nombreux de cette maladie insidieuse qui ronge la société corse.
C’est cette médiocrité des résultats des politiques publiques qui est insupportable, et qui conduit à la crise que traverse la Corse aujourd’hui, crise qui va au delà de la seule question du traitement des déchets. Autre chose est possible, et cet autre chose, c’est au mouvement nationaliste de le porter enfin.