Le jeu politique corse est apparemment simple, avec trois composantes : droite, gauche et nationalistes. Mais les subdivisions peuvent tout remettre en cause à tout moment. A cinq mois à peine du scrutin, la donne politique n’est toujours pas clarifiée pour l’électeur.
En 2010, Femu a Corsica, dernier venu parmi les listes déclarées, avait « déboulé » sur l’élection territoriale dans un sprint gagnant, 18% au premier tour, 26% au second tour, donnant, au sein de la famille nationaliste, un leadership aux « modérés » par rapport aux tenants de la « lutte armée ».
Corsica Libera, qui avait passé accord avec le Rinnovu, obtenait 10% à chacun des deux tours. Depuis le FLNC a cessé son action clandestine, et il vient de confirmer par un communiqué diffusé alors que Bernard Cazeneuve était en visite officielle en Corse, son intention d’aller jusqu’au bout du processus de « démilitarisation » qu’il s’est engagé à mener à bien en 2014. Cette déclaration de « modération » de la part de la clandestinité rend l’offre politique binaire modérés/radicaux moins clivante.
Que fera l’électorat nationaliste : confirmation de l’avance donnée en 2010 à Femu a Corsica, dans le sillage de l’élection de Gilles Simeoni à la tête de la mairie de Bastia ? Retour vers Corsica Libera en soutien à ses choix d’arrêt de la clandestinité ?
Sans compter que la scission survenue entre Corsica Libera et u Rinnovu pourrait bien faire émerger une troisième liste absente en 2010. Quoiqu’il en soit, la campagne n’a pas encore démarré, alors que l’échéance approche. En 2010, le bond des scores nationalistes avait marqué les esprits, notamment celui de Femu a Corsica. Il faudrait enregistrer de nouveaux progrès pour que le succès soit au rendez-vous.
Il y a cinq ans, l’effondrement de la droite au premier tour avait permis à la gauche d’espérer obtenir seule une majorité absolue en bénéficiant de la prime majoritaire. D’où le « conclave de Venacu » durant lequel Paul Giacobbi réalisa des alliances qui auraient dû le porter, au vu des résultats du premier tour, à la tête d’une confortable majorité absolue des sièges. Mais son électorat a regimbé, et nombreux sont ceux qui, ne se reconnaissant pas dans cette union des contraires, des zuccarellistes aux plus progressistes à gauche, ont opté pour le vote Femu a Corsica entre les deux tours, ne laissant qu’une majorité relative à Paul Giacobbi. Ce regroupement « tous azimuts » de la gauche corse est bien plus difficile à concevoir aujourd’hui, après cinq années de mandat durant lesquelles les choix de Paul Giacobbi (co-offcialité, statut de résident, etc…) ont pris la gauche jacobine à revers. Il faudra cette fois obligatoirement compter avec les nationalistes pour dessiner les contours d’une nouvelle majorité. Mais ça ne plait pas à tout le monde : le gouvernement, ou du moins certains groupes d’intérêt qui en sont proches, active des procédures judiciaires contre lui avec une forte médiatisation par des journalistes proches des « sources judiciaires ». Cependant, l’échéance électorale est toute proche désormais, alors que le temps judiciaire est un temps beaucoup plus long. Pour décembre 2015, le scénario d’une gauche unie n’est guère crédible. Et la liste de Paul Giacobbi semble dominer les autres.
La droite a mis du temps à digérer son échec de 2010. A peine a-t-elle obtenu des succès qui actaient son renouveau, notamment en Corse du Sud, elle s’est précipitée dans une guerre interne d’une violence inattendue au sein du Conseil Général 2A. Il faudra donc s’attendre à des combats sans concession entre les tenants de Camille de Rocca Serra d’une part, et ceux de José Rossi d’autre part, jusqu’au soir du premier tour. Jusqu’à une fusion entre les deux tours ? Ce sera l’affichage proclamé par les têtes de listes durant la campagne, mais, le jour et les résultats venus, bien malin qui peut prévoir l’issue des discussions. Et, à droite aussi, l’hypothèse d’une troisième liste existe avec comme perspective de « dépasser les clivages ». Ce qui ouvre la porte à toutes les hypothèses d’alliance de deuxième ou de troisième tour.
Rarement une élection à l’Assemblée de Corse aura penché à ce point du côté des enjeux de pouvoir au détriment des choix politiques de fond. La perspective de la Collectivité Unique de décembre 2017 confère à l’élection de décembre 2015 une sorte de statut de « primaire » pour sélectionner le futur « homme fort » de la Corse.
Mais, deux ans c’est long, et la situation de la Corse appelle d’autres actes politiques qu’un « combat des chefs ».