Voici l’article qui était en ligne le 3 mai 1998 sur le site www.amnistia.net, une interview réalisé par Enrico Porsia :
« POUR UNE REPRESENTATION ALTERNATIVE DE LA NATION CORSE »
« Je pense que notre lutte ne peut plus être rythmée par la logique des rapports avec les différents gouvernements français. Cette démarche a fait son temps: expérimentée tour à tour par l’Union du Peuple Corse d’Edmond Simeoni en 1980-1981, par A Cuncolta de Pierre Poggioli, d’Alain Orsoni, de Leo Battesti et d’Yves Stella de 1988 à 1991, puis par celle de François Santoni et Charles Pieri à partir de 1993 jusqu’à aujourd’hui, cette dynamique a mené obligatoirement à une guerre fratricide. Depuis près de vingt ans de cette politique, si la classe politicienne corse, toutes tendances confondues, a vu s’améliorer son « standing », l’état de la Corse n’a fait qu’empirer. Le plan de développement du « tout-tourisme » proposé par la DATAR en 1972 et directement inspiré par les intérêts représentés par l’Etat français a seulement été retardé par les actions du mouvement national. Dans l’ensemble français les intérêts financiers des spéculateurs immobiliers, des groupes de la grande distribution, des banques, des compagnies de transport, du port de Marseille et des syndicats des salariés du secteur public pèsent infiniment plus lourd que ceux d’un peuple que l’on s’obstine à ne pas reconnaître.
Compte tenu du rapport de forces en présence, seul un arbitrage international peut laisser espérer au peuple corse la reconnaissance de ses droits sur sa propre terre. C’est pourquoi je ne crois pas que les élus nationalistes de la Communauté territoriale française en Corse aient eu raison de se retrouver, de fait, à la remorque de la minorité du « Parti Français », en choisissant de voter la motion Giacobbi-Rossi au lieu de réaffirmer la proposition en quinze points élaborée par la coalition « Unita naziunalista », pour laquelle ils avaient reçu mandat, en réalité. »
Celui qui parle s’appelle Marcel Lorenzoni, militant emblématique du mouvement nationaliste corse. Depuis 1973, à l’époque de l’Action Régionaliste Corse d’Edmond Simeoni, il n’a jamais quitté le combat politique. En 1975, il est l’un des organisateurs de l’occupation de la cave d’Aleria (cela lui vaut, en 1976, une condamnation par défaut devant la Cour de sécurité de l’Etat à quatre ans de prison avec sursis); en 1976 il est impliqué, « à tort » précise-t-il, dans l’attentat contre le dépôt d’hydrocarbures de Gennevilliers, il purge alors six mois de prison et s’en sort après une grève de la faim de 22 jours. Assigné à résidence dans le Gard, il se voit ensuite relaxé « au bénéfice du doute » par le tribunal correctionnel de Nanterre. En 1978 il est la cible d’un attentat à la voiture piégée (son frère Christian a eu la vie sauve par miracle) commis par les réseaux barbouzards de « Francia ». En 1980, à la tête du collectif nationaliste de Bastelica, il occupe l’hôtel Fesch d’Ajaccio pour dénoncer au grand jour une autre tentative d’assassinat qu’un commando paramilitaire, toujours de « Francia », voulait commettre sur sa personne. Condamné à quatre ans de prison, il est libéré en 1981 avec l’amnistie proclamée par François Mitterrand. En 1985, il participe à la naissance du mouvement « A Cuncolta », dont il devient en 1991 membre de l’exécutif, et plus tard secrétaire général. Mais, en 1994, il abandonne toute responsabilité politique pour redevenir simple militant de base. Il quitte enfin la Cuncolta en 1997 pour créer le « Collectif per a Nazione », qui donnera ensuite naissance au « Partitu per l’indipendenza » (PPI). Enfin Marcel Lorenzoni se retrouvera emprisonné une nouvelle fois, tout de suite après le meurtre du préfet Erignac.
Pourquoi, après tant d’années de militantisme dans les rangs du mouvement nationaliste majoritaire, la Cuncolta, avez-vous claqué la porte il y a trois ans?
Je suis resté à la Cuncolta, après la scission avec le MPA, parce que j’estimais que là, on avait encore envie de se battre pour la libération nationale, tandis que le MPA avait abandonné cet idéal pour s’investir exclusivement dans une démarche institutionnelle. (Le « MPA » est le « Mouvement pour l’autodétermination », créé par Alain Orsoni, Leo Battesti et Yves Stella à la suite d’une scission avec la Cuncolta naziunalista en 1991. Le MPA était devenu l’interlocuteur privilégié du gouvernement socialiste à l’époque du « nouveau statut » pour la Corse proposé par le ministre de l’intérieur de l’époque, Pierre Joxe. NDLR). Depuis 1997 la Cuncolta est politiquement au bout du rouleau. En 1993, cette organisation était l’interlocuteur privilégié du gouvernement Balladur (RPR). Fort de ses réseaux, puissamment implantés en Corse, Charles Pasqua, alors ministre de l’Intérieur, nous aurait garanti des importantes avancées institutionnelles. A ce moment, moi-même j’y avais crû, mais, après la chute de Balladur aux présidentielles, cette hypothèse devenait caduque… tandis que les manipulations allaient bon train.
Pendant cette période la guerre fratricide entre nationalistes faisait rage. Pourquoi autant de morts?
La guerre éclate entre les amis de François Santoni et de Charles Pieri d’un côté, et les amis d’Alain Orsoni et de Pierre Poggioli de l’autre. Il est faux de dire que les organisations A Cuncolta, MPA et ANC (Accolta Nazunali Corsa, née d’une scission avec la Cuncolta en 1989) ont été concernées dans leur ensemble. Je pense que tout cela est parti d’une longue manipulation.
Le but? Celui de faire le maximum de casse chez les nationalistes. Il faut se rappeler que pendant plus de deux ans la vie politique de tout le mouvement nationaliste corse a été mise en sommeil.
Ne voyez-vous pas des manipulations partout? Cette raison constamment invoquée n’est-elle pas un alibi pour dédouaner les militants nationalistes corses de leur responsabilités?
Ecoutez, je suis sûr que le mouvement nationaliste corse a été infiltré et manipulé par des services de l’Etat français, et cela depuis bien longtemps. Moi-même, j’ai été contacté en 1983 par le capitaine Paul Barril du GIGN qui m’a tenu le discours suivant: « Je suis mandaté pour t’aider à réussir une carrière politique; en échange, il faut que tu nous aides à contrer la violence. » Moi, j’ai refusé, mais je ne suis pas sûr que tout le monde ait eu la même réaction… Et il suffit de voir la rapidité de la carrière politique de certains responsables nationalistes, ainsi que l’évolution de leurs attitudes et de leurs discours, pour s’en rendre compte.
Malgré votre départ de la Cuncolta, vous faites toujours partie de la même coalition, qui réunit différents mouvements nationalistes sous le sigle « d’Unita naziunalista ». Pourquoi?
Nous nous battons pour l’unité de tous les nationalistes. A l’intérieur de cette coalition, le PPI (« Partitu per l’indipendenza ») a une position spécifique. Il se bat sans détours pour imposer une solution autonome au problème national corse. Nous affirmons directement et sans ambiguïté la voie de l’indépendance pour une Corse enfin souveraine. Il est désormais clair que nous sommes dans l’impossibilité de mettre en oeuvre une quelconque forme de développement pour notre île, tant que nous serons soumis à la domination de Paris. Entre la France et la Corse il y a aujourd’hui une incompatibilité insurmontable.
Nous proposons donc la création d’une Assemblée nationale provisoire qui aura fonction de république alternative et de contre-pouvoir.
Et par qui devrait être composée une telle instance?
Dans un premier temps, elle doit être l’expression des délégués élus par les militants qui composent la coalition d’ « Unita naziunalista », pour s’affirmer, ensuite, comme l’organe de représentation de tout notre peuple.
Quelle est votre position par rapport à la clandestinité?
Je reconnais à tout peuple, dont les droits fondamentaux sont niés, le recours à tout moyen de lutte, y compris le recours aux armes. Ceci dit, le mouvement nationaliste corse a glissé dans deux dérives: l’une militariste et l’autre électoraliste, où l’une nourrissait l’autre. Personnellement je me déclare donc uniquement solidaire des individus subissant la répression. Et cela en évaluant leur position au cas par cas. Je ne suis solidaire d’aucune organisation clandestine. Maintenant il faut avancer dans la réflexion. Il faut développer la prise de conscience collective qui existe en Corse afin d’arriver à organiser une représentation alternative de notre nation.
Etes-vous de droite ou de gauche?
Je vis dans un pays occupé. La Corse est une nation niée et les partis politiques qui occupent traditionnellement la scène insulaire sont l’expression des différents clans qui ne sont rien d’autre que la courroie de transmission du pouvoir français. Qu’il se disent de droite ou qu’ils se disent de gauche ce sont tous des partis français! La droite et la gauche, en Corse… ça a un sens bien limité. Je me bats d’abord pour libérer mon pays, après ça sera au peuple corse de choisir par quelle politique il doit être gouverné.
D’accord, mais, vous devez avoir une opinion personnelle…
Personnellement, je suis un révolutionnaire et je rêve d’une Corse de fraternité, de justice et de partage de la richesse et du savoir.
Vous avez été mis en cause et emprisonné dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat du préfet Erignac.
Eh oui, je faisais partie de la fameuse « piste agricole »… mais on a bien vu après, de quelle machination il s’agissait! Ce n’était rien d’autre qu’une tentative de criminalisation visant à « trouver des coupables » à n’importe quel prix.
En février 1998, au juge Bruguière qui vous demandait « Qui, d’après vous, a intérêt à vous faire endosser la responsabilité du « Groupe Sampieru »?
– Vous avez répondu: « Vraisemblablement des gens qui, « gérant » de loin le bloc « Corsica Nazione-A Cuncolta-Canal historique » voient d’un mauvais oeil la déstabilisation que nous avons introduite par la création du Collectif pour la Nation… »
Qu’entendiez-vous par là?
Exactement ce que j’ai dit. A ce moment là, la Cuncolta était régie par des ressorts qui étaient extérieurs à elle-même. Cela semble toujours être le cas.
Quel jugement portez-vous sur les assassins présumés du préfet Erignac?
Ce sont des patriotes. Ce sont tous des militants sincères. Seulement, ils n’ont peut-être pas imaginé toutes les conséquences de leur acte. Après l’assassinat du préfet Erignac, il y a bien eu le « proconsul » Bonnet qui a débarqué. Il y a eu la tentative de criminaliser tout un peuple. La Corse a vécu au rythme de la répression et des coups tordus que les différents services de l’Etat ne se sont pas privés, encore une fois, de mettre en oeuvre.
Vous voyez? Ce n’est pas moi qui fais une fixation en voyant des manipulations partout. Le GPS (Groupe de pelotons de sécurité, l’unité d’élite de la Gendarmerie, responsable de l’incendie de la paillote « Chez Francis ») a été une réalité, et cela 20 ans après les réseaux barbousards de « Francia. » C’est le fait de l’histoire de l’occupation française en Corse… et cela dure depuis plus de deux cents ans.
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