Député européen depuis 2009 pour la région Sud-Est, ce Corse autonomiste fait partie du Friendship regroupant les eurodéputés qui soutiennent un processus de résolution du conflit en Pays Basque. François Alfonsi observe avec optimisme le rassemblement du peuple basque dans le cadre du processus qui s’est ouvert.
Le processus démocratique est enclenché depuis quasiment deux ans. Quel regard portez-vous sur cette période ?
Les choses ont beaucoup changé. On sent qu’il y a une évolution politique profonde qui est en train de s’opérer et que le processus rencontre un succès politique indéniable. Il répond, selon moi, aux attentes du peuple basque.
La création d’un nouveau parti doté de nouveaux statuts appelé Sortu, la dissolution d’Ekin, la signature de l’accord de Gernika… Peut-on considérer les pas franchis par la gauche abertzale comme historiques ?
Je pense que c’est un processus historique qui permet à ce peuple de se rassembler, déterminé dans sa revendication et qui renverse le rapport de force entre le peuple basque et l’Espagne. Ce changement politique de la gauche abertzale ouvre beaucoup de possibilités sur le plan international pour relancer la solidarité avec la revendication de souveraineté basque. C’est effectivement un processus historique et je pense qu’il est en mesure d’aller loin dans les semaines et les mois qui viennent.
Lorsque vous le comparez avec le processus antérieur, seriez-vous plus optimiste pour celui-ci ?
Oui, je le suis. Ce qui est décisif, c’est l’opinion et l’engagement du peuple basque. Il est engagé derrière ce processus ; il a exprimé sa confiance, notamment pendant les dernières élections. C’est ce qui est déterminant.
Les pas franchis par ETA sont interprétés par les Espagnols comme des signes de faiblesse. Y aura-t-il un vainqueur et un vaincu dans ce conflit ?
La question n’est pas entre l’ETA et la police espagnole, elle est entre le peuple basque et l’Etat espagnol. Le chemin politique qui est entrepris aujourd’hui est porteur pour le peuple basque. Il lui permet de retrouver une audience internationale et d’unir son peuple. Face à l’union du peuple basque, toutes les politiques régressives et répressives sont vouées à l’échec.
Le Friendship a demandé à plusieurs reprises aux Etats français et espagnol de s’impliquer dans le processus. Avez-vous rencontré leurs représentants ?
On n’a pas rencontré de représentant de ces Etats ; pour l’instant, nous ne sommes pas partie négociante. Le Friendship est là pour donner une résonance de la question basque au sein des instances européennes et pour interpeller l’Europe sur une situation inacceptable pour la démocratie européenne. L’avenir du peuple basque, c’est l’avenir d’un peuple européen. Il y a un précédent avec le peuple irlandais. L’Europe y a apporté sa contribution politique et financière pour consolider le processus de paix.
Le processus irlandais est-il une référence dans les réflexions qui se mènent au sein des instances européennes ?
D’abord, le Friendship est animé par Bairbre de Brun, députée européenne [irlandaise] du Sinn Féin. Avec elle, nous sommes évidemment très impliqués dans tout cela. En Irlande du Nord, il y a eu un processus dans lequel l’Europe s’est impliquée : pendant dix ans, une ligne spécifique du budget “consolidation du processus de paix en Irlande du Nord” était votée tous les ans par les députés européens.
Le problème étant de nature semblable au Pays Basque, une implication du Parlement est nécessaire. Lors du précédent processus de paix, il y a eu un début : le Parlement européen a voté une délibération. C’est un appel à la paix. Elle vaut toujours.
Qu’attendez-vous alors du Parlement européen ?
L’échec du dernier processus pèse négativement, dans la mesure où le Parlement européen avait délibéré, si ma mémoire est bonne, en octobre et le processus s’était arrêté en septembre. La déception est grande. Face à cela, les forces espagnolistes sont très actives dans la plupart des groupes. Nous avons eu une grande difficulté à organiser une audition dans le cadre de l’intergroupe. Nous avons pu le faire et je crois que cela a contribué au basculement au sein de l’Etat espagnol, cela s’est traduit par l’autorisation de Bildu.
Pensez-vous vraiment que la pression de l’UE a contribué à la légalisation de Bildu (coalition rassemblant Eusko Alkartasuna, Alternatiba et des indépendants de la gauche abertzale) ?
A un moment où à un autre, l’Etat espagnol s’est rendu compte qu’il devait répondre aux questions posées. Dans cette affaire, l’Etat espagnol interroge beaucoup les traités européens. Une chose est de dire que pour des raisons de terrorisme on procède à l’illégalisation d’une liste conduite par des gens soupçonnés d’être dangereux pour la démocratie. Quand ça devient des décisions en rafale prises sans autre forme de justification et d’investigation, évidemment, le droit européen est heurté. Que cette illégalisation puisse être élargie aux militants d’Eusko Alkartasuna et d’Alternatiba… Ça commence à devenir une menace pour la démocratie.
Quand les mandats d’arrêt européens, qui normalement sont une coopération allant dans le sens du droit du citoyen, sont détournés pour qu’Aurore Martin, qui n’est pas condamnable en France, soit extradée en Espagne où elle serait condamnée… Cet alignement du droit européen au profit des pays qui le respecte le moins pose problème.
Les infractions répétées à la démocratie, alors que les conditions objectives politiques ont changé et que les arguments que l’on met en avant n’ont plus lieu d’être, expliquent en partie cette reculade. C’est certainement dû aussi à la conscience propre des six juges qui ont assuré cette majorité.
Peut-on attendre une nouvelle déclaration de l’Europe quant au processus de résolution ?
Il y a encore du travail à faire et l’intergroupe réfléchit à comment mener ce travail. Aujourd’hui, après les dernières élections, la confirmation du processus de paix, le doute s’estompe. A un moment ou à un autre, il va falloir qu’elle s’exprime.
La délibération, le fait juridique qui engage le Parlement européen à participer à la recherche d’une solution politique et pacifique au Pays Basque, elle existe. Le tout, c’est qu’elle redevienne active. Et pour cela, il faut recréer un consensus des forces progressistes et de ceux qui militent contre les dictatures des Etats sur les minorités. Les Basques ne sont pas seuls et il faudra bien qu’à un moment donné l’Europe dégage une solution pour tous ces peuples. Et nous nous militons pour un “élargissement intérieur” de l’Europe.
Qu’attendez-vous de l’Etat français ?
L’Etat français est quand même l’Etat le plus réactionnaire d’Europe. Il fait patte de velours dans la mesure où, en ce moment, il ne se trouve pas en but à un conflit du même type sur son territoire, mais c’est quand même lui qui, sur le plan européen, montre la plus grande fermeture. Il refuse la reconnaissance de la diversité culturelle, la capacité à avoir une région administrative. L’Etat français est l’archétype de l’Etat-nation du XIXe siècle qui n’a pas évolué malgré la construction européenne. Cependant, il existe une opinion publique et nous devons porter nos revendications de façon collective entre Basques, Bretons et Corses, de façon à pouvoir peser dans le jeu politique français.
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