(U RIBOMBU) Economiste de profession, Georges Corm fait autorité à propos du Moyen-Orient et de la Méditerranée. Il est l’auteur de nombreux ouvrages de référence sur ces questions. Il a été ministre des finances du Liban entre 1998 et 2000. Il est aujourd’hui consultant auprès d’organismes internationaux et d’institutions financières.
En visite en Corse, Georges Corm a fait l’honneur au Ribombu de lui accorder une interview exclusive. Nous avons fait le choix de la publier en deux volets. La première partie est consacrée à l’analyse géopolitique des dérives djihadistes, revêt un intérêt particulier au regard des évènements récemment intervenus en France.
U Ribombu : L’attaque du Charlie Hebdo et les événements qui ont suivi posent la question de la place de l’Islam en Europe. N’est-ce pas là une mauvaise orientation ?
L’explication de cet acte odieux ne requière pas que l’on s’interroge sur l’attitude des « musulmans » en général ou sur les rapports de cette barbarie avec une des grandes religions du monde pratiquée par un milliard et demi d’habitants sur les cinq continents. Je pense qu’une telle approche sème encore plus la confusion dans les réactions et émotions à de tels événements. Elle participe de la thèse huntingtonienne sur le choc des civilisations, devenue tellement prégnante, et qui continue d’échauffer les esprits dans le monde musulman comme le monde euro-américain.
En revanche, il faut s’interroger sur les responsabilités politiques dans l’instrumentalisation des religions, et plus particulièrement des religions monothéistes, dans les jeux de la géopolitique mondiale, notamment depuis l’époque de la Guerre froide. A partir de l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS en 1979, des dizaines de milliers de jeunes arabes ont été recrutés, entraînés militairement et idéologiquement sous l’étendard du « jihad », pour aller se battre contre les « infidèles » et « athées » de l’armée soviétique qui avaient envahi ce pays. Ceci s’est fait ouvertement sous incitation américaine officielle par le truchement des deux gouvernements d’Arabie saoudite et du Pakistan, lesquels ont adopté des « versions dures » de la sharia musulmanes enseignées dans des centaines d’écoles coraniques à leurs jeunes enfants. En fait, l’armée américaine encore traumatisée par la défaite du Vietnam a pu ainsi éviter à l’époque d’intervenir directement sur le terrain. Elle l’a fait par des « proxies » et ce dernier affrontement de la Guerre froide a été ainsi gagné par les Etats-Unis. Le théoricien de cette mobilisation de l’Islam a été Zbidigniev Brejenzki, conseiller pour la sécurité du président Carter.