Comme souvent, c’est dans la presse internationale que l’on trouve un point de vue détaché de nos contingences partisanes locales sur le vote qui est intervenu le 5 mai, à l’Assemblée nationale, approuvant le projet de loi sur le renseignement.
« In the wake of terrorist attacks in Paris in January, the French have begun what has become almost a rite of passage for Western nations since the Sept.11 in the United States : handing the government vastly expanded powers to protect, and spy on, its own citizens » écrit l’International New York Times du 7 mai 2015.
Le matin du vote, l’inénarrable commentateur à l’écharpe rouge prévoyait une majorité très étriquée pour le vote de l’après-midi et sanctionnait déjà l’insuffisance pour ne pas dire la faute du ministre de l’intérieur, incapable de réunir un consensus sur un sujet d’intérêt national.
A 16h30, l’Assemblée nationale adoptait ce texte par 438 voix contre 86, sans doute une des plus larges majorités de la mandature !
Les médias s’étaient pourtant mobilisés dans une touchante unanimité à dénoncer un texte non seulement « liberticide » mais qui, en substance, rétablissait la Sainte Inquisition ou les guerres de religions, ou transformait notre République en un avatar renouvelé du « Big Brother » de George Orwell.
J’avoue que j’ai du mal à imaginer Bernard Cazeneuve dans un rôle de Torquemada électronique ou de dictateur fascisto-stalinien tandis que je ne trouve pas dans les dispositions de la loi de quoi susciter tant d’outrances dans la critique et tant d’excès dans la dénonciation.
Le texte a d’ailleurs fait l’objet d’amendements très importants et doit encore passer au crible du Sénat avant d’être soumis à la censure du conseil constitutionnel, voire celle de la Cour européenne des Droits de l’Homme.
Les uns et les autres, qu’il s’agisse de la très large réunion de la gauche et de la droite à l’Assemblée nationale, du Sénat et des deux juridictions précitées, représentent suffisamment d’indépendance et de garanties, et je n’imagine pas un instant qu’un complot national et international aurait pu réunir autant de personnages politique et de juges, de Paris à Strasbourg, dans une sorte de complot destiné à anéantir nos libertés fondamentales.
A ce stade, trois remarques me viennent à l’esprit.
La première, c’est que, malgré un soutien à peu près unanime de la presse, une omniprésence sur la toile électronique et la mobilisation de toutes sortes de groupuscules et d’associations, la contestation contre ce texte a eu fort peu d’écho dans les manifestations publiques et moins encore d’influence sur le vote des députés.
Il faut certes se méfier des majorités larges sur un texte controversé puisque, en 1940, une écrasante majorité du parlement français a remplacé la République par un Etat autoritaire avec seulement quatre-vingts voix pour s’y opposer, dont celle d’ailleurs d’un certain Paul Giacobbi.
Mais, ce n’est pas dans l’effondrement d’un Etat, sous l’emprise de la peur de l’invasion que nous avons voté ce texte mais plutôt sereinement, après bien de longs débats, un travail considérable en commission et en Assemblée.
La seconde remarque, c’est qu’il est paradoxal de reprocher à l’Etat de vouloir protéger les citoyens par des investigations sur la toile alors même que le terrorisme international fait de cette dernière une de ses armes les plus puissantes pour recruter ses tueurs et manipuler les opinions. Ni Al Qaïda, ni Daesh ne demandent d’autorisation pour diffuser les images de leurs atroces exécutions ou les séquences d’une propagande destinée à pervertir une certaine jeunesse pour l’entrainer sur la voie de ces crimes.
Interdire la divulgation des décapitations à la hache ou du supplice des chrétiens brûlés vifs n’est pas porter à atteinte à nos libertés.
Rechercher les auteurs et les diffuseurs des propagandes monstrueuses qui ont pour objet le lavage de cerveau des esprits faibles pour les conduire au terrorisme n’est pas priver ces derniers de leur libre-arbitre mais, tout simplement, les protéger.
Ce n’est pas un droit excessif que l’on donne à l’Etat, c’est rappeler ce qu’est son devoir dans de pareilles circonstances.
La troisième, c’est que tous ceux qui crient au crime liberticide à propos de la loi renseignement devraient bien plutôt s’inquiéter qu’une cour de justice française valide l’utilisation comme preuve, à l’appui de l’accusation dans un procès, une conversation, enregistrée à leur insu, entre un client et son avocat.
Que reste-t-il dans notre pays des droits de la défense si l’accusation peut faire écouter – même indirectement – un avocat et son client et se servir de ces écoutes pour faire condamner ce dernier.
J’ai, en tout cas, voté comme 437 de mes collègues, en toute conscience et en toute indépendance, repoussant les messages de menace et de mise en garde, convaincu de le faire au nom du peuple.