500 personnes ont lancé un premier appel pour l’amnistie des prisonniers politiques dans le grand amphithéâtre du Palais des Congrès d’Aiacciu. Depuis plusieurs mois, le mouvement clandestin a annoncé renoncer définitivement à la violence politique. Une page que le peuple corse est en train de tourner collectivement.
Cette campagne pour l’amnistie des prisonniers politiques corses a dépassé d’emblée le périmètre du mouvement nationaliste en associant à la tribune plusieurs personnalités d’autres formations politiques issues de la majorité actuelle de l’Assemblée de Corse, comme Jean Charles Orsucci (groupe Giacobbi) et Jean Battì Luccioni (ex-Corse Social Démocrate). Il s’agit de s’ancrer dans un processus de paix qui aille à son terme de façon définitive, et tous les acteurs de ce dialogue savent qu’un rapport de forces collectif sera nécessaire pour amener le gouvernement à prendre les décisions d’apaisement qui pourront stabiliser la vie politique corse à long terme.
Le mouvement nationaliste corse a définitivement choisi de mener son combat par les moyens démocratiques. Pour certains, c’est un choix d’origine, comme pour l’UPC fondé alors même que le FLNC se créait en 1976. Pour beaucoup, c’est le fait d’une évolution progressive de nombreux cadres politiques qui ont constaté l’impasse représentée par l’action politique clandestine. Il y a eu de nombreux débats, de nombreux désaccords, et même des affrontements. Puis le temps est venu d’envisager le « dépôt des armes », ce qu’une conférence de presse tenue en juin dernier a annoncé solennellement.
Cette annonce a ouvert une « période probation ». Cette décision d’arrêt définitif de la violence était-elle vraiment acceptée par tous ? Depuis, plusieurs mois se sont écoulés sans qu’aucun événement contraire ne soit intervenu : ni divisions internes, ni surenchères externes de mouvements concurrents, pas même des actes isolés, et un discours constant durant toute la période.
Dans le même temps, l’Assemblée de Corse a défini un socle de revendications très largement votées, bien au delà des 15 élus des trois formations nationalistes, Corsica Lìbera, Rinovu Naziunale et Femu a Corsica. Avec le groupe du Président de l’Exécutif, Paul Giacobbi, et Corse Social Démocrate, 29 voix sur 51 ont approuvé la plus controversée, le statut de résident. Il y a eu l’unanimité pour défendre les arrêtés Miot, 36 voix sur 51 pour la coofficialité de la langue corse, 46 voix contre 5 pour l’inscription de la Corse dans la Constitution par le biais d’une référence explicite dans l’article 72, et 46 voix, sans aucun vote contre, pour l’instauration de la Collectivité Unique de Corse par la fusion de la CTC et des départements.
Face à ces demandes, l’Etat est longtemps resté sourd, mais le poids de la majorité regroupée en Corse, et sa cohérence, finit par faire bouger les lignes. C’est ainsi que la Collectivité Unique a été créée par la loi lors du vote sur la nouvelle organisation administrative de la Corse. Les processus sont lents, et régulièrement soumis à l’examen à la loupe des évolutions de l’opinion publique corse : poussée nationaliste spectaculaire en 2010, confirmation éclatante aux législatives de 2012, puis aux municipales et européennes 2014. Sans ces résultats éloquents, rien n’aurait été possible.
Au terme de la mandature qui a permis ces avancées politiques, et compte tenu de l’effectivité de la décision annoncée lors de la conférence de presse du FLNC, il était logique que s’engage une campagne pour l’amnistie qui occupera une large place dans la campagne politique qui s’annonce.
Car les prisonniers politiques seront obligatoirement partie prenante des évolutions en cours. C’est une nécessité pour tourner la page de 50 années d’une répression qui a touché des centaines de familles dans une île de 300.000 habitants à peine. Et c’est un acte politique qui accompagne régulièrement tous les processus de paix, comme cela a été fait par exemple en Irlande du Nord.
La France aussi l’a fait pour l’OAS lors du règlement de la question algérienne, et François Mitterrand a honoré vingt ans après, en amnistiant les généraux putschistes, les engagements pris par l’Etat au lendemain des affrontements avec les extrémistes de l’Algérie française à l’origine de la tentative d’assassinat du Général De Gaulle.
Le même François Mitterrand a décidé d’amnistier les prisonniers corses au moment du premier statut particulier, puis, avec Michel Rocard, lors du statut Joxe. Les mêmes, Mitterrand et Rocard, ont prononcé une amnistie en Nouvelle Calédonie qui a inclus les événements d’Ouvéa où sont morts plusieurs gendarmes. Les précédents ne manquent pas, dès l’instant qu’une situation politique est créée qui combine la fin définitive de la violence, la prise en compte d’aspirations du peuple corse démocratiquement exprimées, et l’émergence d’une nouvelle ère dans les relations entre la Corse et l’Etat.
Aux gouvernants, présents et futurs, d’avoir le courage politique de faire les pas nécessaires.