#Corse – « Assassinat de l’opposant Boris Nemtzov La Russie vire à la dictature » par François Alfonsi

Boris Nemtzov avait toutes les raisons d’être la bête noire des services secrets russes, qui sont le centre du vrai pouvoir à Moscou. Ancien apparatchik, il connaissait tous les rouages de l’appareil ; politicien moderne, il incarnait une opposition crédible.

actu (1)Organiser une opposition en Russie est une gageure, tant les arguments répressifs du pouvoir en place sont impressionnants. Il emprisonne, il matraque, et il dispose de services secrets puissants qui sont une police politique toute entière mobilisée pour traquer les opposants. Et, à l’occasion, ils vont jusqu’au meurtre politique.

Le fait a été établi quand le « terrorisme tchetchène » servait de bouc émissaire et de prétexte pour placer toute une population sous la botte d’un dictateur sanguinaire à Grozny. Celle qui a démonté les rouages de tous les crimes d’Etat commis en Tchetchénie, Anna Politkovskaia, l’a payé de sa vie, abattue par balles dans le hall de son immeuble à Moscou. D’autres sont morts en exil, empoisonnés au plutonium, ou mystérieusement « suicidés » après avoir fait l’objet de menaces des milices proches de Poutine. Le pouvoir russe a tout pour évoluer vers la dictature, et, dans le contexte actuel de conflit avec l’Europe, cette évolution se fait à la vitesse grand V.

En effet, Vladimir Poutine, dans la logique de guerre qu’il poursuit par Ukrainiens interposés, a besoin d’être hégémonique en Russie. Et le KGB russe, reconstitué sous le sigle FSB, a dans sa génétique un terrible ADN : celui de la pratique de l’élimination physique de ceux qui contestent trop efficacement les options du Kremlin.

Ainsi, huit jours avant le meurtre de Boris Nemtzov, lors d’une manifestation de soutien aux forces pro-russes d’Ukraine, Alexandre Zaldostanov, président d’un club de motards et soutien affiché de Vladimir Poutine, a-t-il déclaré : « la peur de la mort, c’est la seule chose qui peut arrêter l’opposition russe ». Ceux qui sont passés de la parole à l’acte savaient qu’ils auraient toutes les complicités nécessaires pour échapper à la justice. Et ils ont décidé de semer la peur dans l’opposition russe.

Des dizaines de milliers de manifestants ont quand même eu le courage de braver la dictature en répondant à l’appel de Nemtzov et de ses amis qui avaient prévu de protester contre les attitudes belliqueuses de la Russie en Ukraine. La manifestation, transformée en hommage à Nemtzov, est la plus importante jamais réussie par les opposants russes. Mais les slogans anti-Poutine sont restés en travers de presque toutes les gorges, et ce n’est qu’au passage sur les lieux du crime que quelques uns ont quand même osé crier leur révolte. Les prises de parole ont été rares. La « peur de la mort » a pesé sur la foule.

L’assassinat de Boris Nemtzov doit être vu comme un signal particulièrement négatif dans le contexte du conflit ukrainien. Il faut l’interpréter comme la volonté de faire table rase de toute opposition interne à la politique russe en Ukraine. Les « faucons » du pouvoir en Russie, et Vladimir Poutine leur est certainement très proche, veulent avoir les mains libres et agir à leur guise sur le théâtre des conflits aux frontières de la Russie, à commencer par l’Ukraine. Dans quel but si ce n’est pour enclencher une nouvelle escalade ? Malgré les accords de Minsk, difficilement négociés et bien mal respectés, l’option que le pouvoir russe met sur la table est celle de nouveaux affrontements, qui pourraient même déborder de l’Ukraine.

Car il est d’autres pays où vivent des minorités russophones, y compris au sein de l’Union Européenne, notamment dans les pays baltes. Et il y a un réel problème de citoyenneté dans ces pays. En Lettonie par exemple, beaucoup de russophones, 13% de la population, sont des « non-résidents » privés de droits. Ils vivent dans le pays depuis des décennies mais ils n’ont pas de droit de vote et ils sont privés de l’accès à la fonction publique. Cette réalité se retrouve aussi en Estonie, et elle est régulièrement dénoncée par l’Union Européenne. Poutine en fait bien sûr un argument constant de sa propagande.

Pour les pouvoirs baltes issus de l’indépendance de 1990, ces populations russophones sont les restes d’une « cinquième colonne ». Mais, vingt-cinq ans plus tard, comment admettre un tel ostracisme contre des citoyens nés et grandis sur le territoire ? Dans un conflit qui se durcit, et dont le meurtre de Nemtzov annonce qu’il va probablement se durcir encore, la situation de ces populations doit trouver rapidement une solution satisfaisante.

Car ce que les événements de Moscou annoncent, c’est au minimum une nouvelle escalade de la guerre psychologique entre la Russie et l’Union Européenne. Et la détermination du pouvoir russe fait peur à voir.

François Alfonsi

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