Une campagne de 10 mois commence aujourd’hui. Elle doit mener en décembre 2015 à une Assemblée de Corse de transition, élue pour deux ans, en prémisse de la Collectivité Unique dont l’installation est prévue en décembre 2017. Ce calendrier est bien étrange qui ne fait pas coïncider nouveau statut et élection d’une Assemblée rénovée.
Dix-huit mois après cette « élection provisoire » de l’Assemblée de Corse en décembre 2015, surviendra une élection présidentielle, en mai 2017, puis des législatives immédiatement après. La Collectivité Unique serait élue six mois plus tard. Tel est en tous les cas le calendrier actuel avant que le débat parlementaire ne se saisisse de la création de la future Collectivité Unique de Corse.
C’est au soir de cette dernière élection en décembre 2017 que serait fixée une majorité politique capable d’inscrire son action dans la durée en vue d’arriver, si les urnes nous sont favorables, à l’autonomie de la Corse. D’ici là trois années de surplace, avec des campagnes épuisantes, des cumbinazione renouvelées et une gestion dans l’urgence et sans moyens de la situation de la Corse. Largement de quoi décourager le corps électoral le plus motivé !
Mesurons tout ce qui peut arriver d’ici là. Victoire d’une nouvelle majorité à Paris ? Cela pourrait tout remettre en cause. Avec ou sans le Front National ? Ce qui, compte tenu des positions ouvertement « national-étatiques » de Marine Le Pen et ses amis, changerait encore considérablement les choses. La plus grande incertitude règne donc sur les lendemains de la politique française.
Par ailleurs, le climat international se dégrade à vue d’œil. La « paix en Europe » n’est plus tout à fait acquise depuis l’embrasement du conflit en Ukraine. Le djihadisme de Daech ou d’Al Qaïda secoue la scène mondiale. En Irak, en Syrie, et désormais en Libye, jusqu’où ira la folie guerrière des fous de Dieu ? Il ont été bloqués en Syrie grâce à la résistance kurde, mais le problème reste entier.
Ce conflit du Moyen Orient déborde en Europe avec des attentats sporadiques commis par des jeunes radicaux islamistes issus des sociétés européennes. Après la France, la Belgique et le Danemark sont atteints, avec le même scénario d’une attaque meurtrière, individuelle ou par un petit groupe, ciblant les valeurs démocratiques et culturelles européennes, ainsi que la communauté juive. Sur fond de crise et de montée du populisme, ces attentats alimentent un sentiment de rejet qui traverse toutes les sociétés européennes. Un cercle vicieux s’établit ainsi qui accroit les conditions propices à la radicalisation de jeunes issus des « apartheids » urbains, tout en profitant aux forces politiques racistes et intolérantes, en France le Front National. Les premiers sondages sortent qui font état d’une victoire possible de Marine Le Pen à la présidentielle, ce que la débandade de la classe politique établie favorise.
Toutes les opinions publiques sont déboussolées et le seront demain encore davantage. Il en sera de même pour l’opinion corse. Comment consolider notre électorat face à ce nouveau contexte, et, surtout, lui donner un nouvel élan pour qu’il soit le pivot de toute nouvelle majorité en Corse ? Les élections d’Aiacciu ont donné un mauvais signal. Les cantonales qui arrivent se feront en dehors de nous pour l’essentiel. Le clan, particulièrement à droite et dans le sud, se refait des forces et gagne en puissance. Ils escomptent l’alternance parisienne. Que restera-t-il alors du Padduc ?
La crise économique est loin d’être résorbée, et avec un rythme de progression du chômage et de la pauvreté deux fois plus soutenu que sur le continent, la Corse appelle des politiques publiques énergiques et efficaces. Or les grands dossiers s’accumulent sans solution valable, comme celui de la SNCM qui vogue vers la liquidation judiciaire. Celui de l’approvisionnement énergétique de la Corse, avec le projet de barge GNL à Lucciana et le gazoduc Cyrénée pour desservir Aiacciu reste encalminée dans les ministères parisiens sans qu’aucune intervention de l’Assemblée de Corse ne réussisse à le faire enfin déboucher. L’état d’abandon qui frappe la Corse en est au point que l’on s’apprête à sacrifier du jour au lendemain, pour un enjeu financier de 500.000 € par an, c’est à dire moins élevé que la subvention allouée au tour de Corse automobile, la liaison de marchandises entre la Corse et la Sardaigne par le ferry reliant Prupià à Porto Torres, alors que cette ligne est le seul acte concret qui n’ait jamais été posé pour faire avancer la coopération inter-régionale entre les deux îles.
L’Etat se raidit sur ses dogmes. Les Corses sont aspirés par le contexte agité de l’actualité politique. La réforme institutionnelle qui conduira à la Collectivité Unique est sur de mauvais rails. Les dossiers capitaux pour l’avenir ne sont pas valablement traités. Les finances publiques sont exsangues. La Corse doit s’adapter à un monde devenu plus incertain.
Sommes-nous capables de relever les défis d’une Corse autonome ? Comment garder le cap et faire prévaloir les intérêts de la Corse pour arriver à l’autonomie que nous voulons ? C’est tout l’enjeu des débats politiques des mois à venir. Ensuite, dès l’été, nous serons la « tête dans le guidon », engagés dans un marathon électoral qui durera trois ans.
François Alfonsi