(RIBOMBU) Choses promises, choses dues. Ou presque. Le mois dernier, après vous avoir offert le succulent billet de Christophe B., porte étendard de l’esprit français du XXIe siècle, U Ribombu Internaziunale vous laissait saliver un mois durant en révélant l’identité de notre prochain éditorialiste.
Un certain Gilbert T. Nous ne sommes pas en mesure de tenir promesse. Notre ami de vingt ans s’est laissé aller à une introspection inédite de son action en Corse, nous lui ouvrons donc plus largement nos colonnes et vous offrons des révélations inédites. Et souhaitons à Gilbert T. tous nos voeux de réussite dans sa toute nouvelle carrière d’acteurs. Mais ses basses oeuvres à la section antiterroriste n’était-elle pas une blague… au goût douteux ?
Les Corses sont des gens bizarres. Ils s’évertuent à vouloir que ce qu’ils appellent « leur peuple » soit reconnu dans tous ses droits, comme tous les autres peuples de la planète. Et ce, malgré tout ce que notre fière nation française a réalisé comme efforts depuis plus de deux siècles pour les détourner de pareilles chimères. J’ai, moi-même, des années durant, contribué, au sein d’une institution judiciaire spécialisée, et – on peut le dire – très spéciale, à réprimer du mieux que je pouvais ces tendances loufoques qui ont conduit de nombreux Corses à se révolter contre notre si belle République. J’ai par ailleurs souvent livré mon analyse à des médias complaisants, afin de criminaliser durablement ce mouvement qui ne prenait déjà que trop d’ampleur. Comprenez bien qu’il était indispensable de faire assimiler à la population, largement abreuvée à la source des thèses officielles émanant de notre police et de notre justice, que le seul bon nationaliste corse était un nationaliste mort, en prison, voire repenti.
J’ai également étalé mon savoir sur ces questions lors de divers colloques, ou des spécialistes auto-proclamés de la « question corse » me servaient, avec un zèle à peine dissimulé, de faire-valoir. J’ai même failli participer à un festival en Corse, où j’aurais pu venir brasser un peu de vent sur l’air de « médisez, médisez, il en restera toujours quelque chose », prélude habituel de « réprimez, réprimez, afin qu’il n’en reste plus rien ». Mais, cette fois là, je me suis abstenu et, au dernier moment, j’ai préféré décliner l’invitation craignant que des vents contraires ne poussent l’opinion là où il ne fallait pas qu’elle aille. J’ai toujours été favorable au débat, à condition qu’on ne me contredise pas bien sûr. Aujourd’hui, je suis à la retraite et, fait amusant, le FLNC a déclaré sa « sortie progressive de la clandestinité » au moment où je cessais officiellement mon activité.
Cette nouvelle situation ne sera pas du goût de mes successeurs, mais je compte bien sur eux pour relancer notre belle machine qui, après-tout, est aussi leur fonds de commerce: quelques arrestations arbitraires, quelques descentes musclées, de préférence chez des femmes avec enfants, ou des personnes âgées, devraient être un bon début. Mais, me direz-vous, « il n’y a pas que la Corse ; votre véritable travail ne serait-il pas de vous occuper de ce qui est réellement du terrorisme au lieu de persécuter des patriotes sincères épris de liberté pour leur pays ? » Je connais bien ces jérémiades absurdes et anti-républicaines. Je les ai entendues tant de fois, même si faire la sourde oreille fait partie intégrante du boulot qu’on m’a confié. Ne soyez pas si désespérément naïfs.
Premièrement, c’est nous qui qualifions qui nous voulons de « terroristes », et d’ailleurs les questions que vous soulevez ont déjà un parfum de terrorisme qui ne saurait échapper à mes narines de fin limier; il vous est donc fermement conseillé de ne plus vous les poser car elles embrument votre esprit et ne vous vaudront que des ennuis.
Ensuite, concernant le terrorisme international, vous savez très bien que la politique de la France a toujours été très subtile dans ce domaine. D’ailleurs, je vais vous en dire une bien bonne, que vous ne savez peut-être pas: l’Arabie Saoudite, comme le Qatar, sont soupçonnés depuis longtemps de soutenir plus ou moins indirectement des groupes terroristes, même si, très officiellement, ils participent à la lutte contre le terrorisme islamique.
Ces soupçons concernent également leur armée et leurs services secrets, vraisemblablement « contaminés » à un niveau dont on ne connaît pas l’ampleur. Et bien, la dernière fois qu’on a vu des soldats saoudiens s’entrainer en Europe, c’était au sein de la base de Solenzara, en Corse, chez vous. Enfin, je veux dire chez nous, en France. Vous voyez que la République française ne vous oublie pas. Je vous assure que vous pouvez encore servir. Mais j’en dis peut-être un peu trop. La retraite ne me convient sans doute pas.
D’ailleurs je fais toujours les mêmes étranges cauchemars peuplés de serpents, d’araignées, et autres bêtes immondes, revêtant treillis et cagoules : elles semblent d’abord sortir du placard de ma cuisine, puis s’installent là, devant moi, comme pour me narguer, et tiennent une conférence de presse. Alors je me réveille en sueur, avec un épouvantable mal de crâne, et une furieuse envie d’éradication qui me tiendra debout une grande partie de la nuit.
Je sais, vous ne pouvez pas comprendre ce que sont les insomnies d’un juge.
Gilbert T.