En 2004, avec la liste d’union nationaliste, le nationalisme dit modéré réussissait un véritable hold-up. N’ayant eu aucun élu en 1999, durant le processus de Matignon, où à son grand dam seule Corsica Nazione, forte de ses huit élus, avait le privilège de négocier directement avec le gouvernement Jospin, les « modérés » allaient rétablir la situation.
Les mouvements PNC et A Chjama, structure nouvellement créée (qui durant sa mise en route criait urbi et orbi que le but de sa démarche n’avait rien à voir avec une quelconque stratégie électoraliste), allaient s’unir et entamer des discussions avec Corsica Nazione. Résultat, profitant de cette union menée par Edmond Simeoni (Huit élus), la mouvance modérée se retrouvait avec un contingent d’élus à la CTC de six élus, alors que Corsica Nazione, grande perdante, devait se contenter de deux élus.
C’est ainsi qu’allait s’inverser le rapport de forces internes à l’ensemble nationaliste avec Femu a Corsica..
Création de Femu a Corsica
Gilles Simeoni, qui au sein du PNC avait œuvré pour son père, tête de liste de la liste d’union en mars 2004, allait petit à petit tisser ses réseaux (création de Inseme pà Bastia) à l’occasion des trois dernières élections municipales et renforcer son image avec les différents procès liés aux procès d’Ivan Colonna.
Il allait ainsi naturellement prendre la tête de la coalition électorale Femu a Corsica. Avec Jean-Christophe Angelini du PNC et Jean Biancucci de A Chjama, il allait réussir à l’occasion des élections territoriales de 2010 à inverser officiellement le rapport de forces institué depuis les années 80 entre les mouvements « dits modérés » et Corsica Libera, nouvellement créée en 2008.
Il est à noter qu’au-delà de A Chjama, cet ensemble était renforcé par nombre d’anciens militants de la lutte de Liberation nationale en rupture avec la mouvance du FLNC depuis les dramatiques errements entre nationalistes des années 90. Au sein de A Chjama, Edmond Simeoni rejoignait Jean Biancucci et avec Gilles Simeoni et Jean Christophe Angelini du PNC (autonomistes) mettaient en place Femu a Corsica.
Ce rassemblement « Femu a Corsica » allait se décliner en plusieurs structures au-delà du PNC et de a Chjama, notamment avec Inseme pà Bastia, Inseme pà Aiacciu, Porti-Vecchju Altrimente lors de différentes échéances électorales, surtout municipales à Bastia, Porto-Vecchju et à un degré moindre Aiacciu. En 2010, cette mouvance modérée, après avoir caressé l’espoir de voir Corsica Libera ne pas franchir la barre fatidique et disparaître de la scène politique, allait renforcer son avantage avec 11 élus.
Mais Corsica Libera réussissait avec 10% des voix à avoir 4 élus. L’ensemble des forces nationalistes engrangeait alors 36% de voix.
Bastia et Porti-Vecchju
Entretemps, la mouvance modérée avec Jean Christophe Angelini renforçait son rôle d’opposant à la mairie de droite de Porto Vechju et devenait Conseiller général, battant le députe UMP Camille de Rocca Serra, mais échouant à la mairie, à son 3ème essai. Jean Biancucci lui devenait maire de Cuttuli, suite à un accord avec l’ancien maire radical de la commune.
Gilles Simeoni, à son troisième essai, allait réussir grâce à des alliances diverses au 2ème tour (droite, partis socialiste et dissident du clan Zuccarelli) à s’emparer de la mairie de Bastia. Il faut cependant rappeler que la première fois il s’était déjà présenté à Bastia avec une certaine droite (Marie Jean Vinciguerra).
Mais ces élections allaient envenimer les relations entre Femu a Corsica et Corsica Libera, Jean-Christophe Angelini refusant l’alliance avec Corsica Libera au 1er et second tour, préférant s’allier dès le 1er tour avec la Gauche dont le Parti communiste, tandis qu’à Bastia Gilles Simeoni faisait de même, refusant toute alliance avec Corsica Libera.
Le Hiatus ajaccien
Sur cet échiquier, l’union nationaliste d’Aiacciu entre Corsica Libera et Femu Aiacciu allait poser problème, surtout avec le refus réitéré de Femu a Corsica à Bastia et Porti-Vechju d’inclure Corsica Libera sur leurs listes, préférant s’allier à des forces politiques traditionnelles. A cela s’ajoutait la volonté plus ou moins affichée par certains cadres de Femu a Corsica de ne pas souhaiter, (voire d’œuvrer à l’empêcher), l‘apparition d’un quelconque leader nationaliste sur Aiacciu, où pourtant depuis plusieurs années les meilleurs scores nationalistes avaient été réalisées aux élections territoriales. L’essentiel des débats et des décisions devant toujours se jouer à Bastia (fief de Gilles Simeoni d’Inseme pà Bastia) ou à Porto-Vecchju (fief de Jean Christophe Angelini du PNC) et la stratégie ajaccienne, quelle qu’elle puisse être, ne devait en aucune façon gêner les initiatives prises ou en cours à Bastia ou à Porto-Vecchju.
D’où certaines entraves à la campagne de mars à Aiacciu et lors des négociations de l’entre-deux tours avec la liste Simon Renucci (dénoncées d’ailleurs par les « Aiaccini », le groupe nationaliste proche de la liste de Simon Renucci). La liste d’union d’Aiacciu devait donc ne pas réaliser un score trop important et surtout son leader devait aux ordres et ne pas être à même, à l’occasion d’un éventuel bons score, de venir troubler la fraternelle concurrence régnant entre certains cadres et leaders au sein de la coalition Femu a Corsica, d’autant que les élections territoriales étaient proches.
Avec le renouvellement de la municipalité d’Aiacciu cette stratégie de la terre brûlée se poursuivait aboutissant au refus de d‘une nouvelle union sur Aiacciu et ensuite d’une union au second tour avec la Gauche. Il est vrai que certains cadres de Femu a Corsica s’étaient fait remarquer en faisant campagne en catimini contre Simon Renucci aux élections Législatives, donnant leur préférence à Laurent Marcangeli de l’UMP. Ce qui d’ailleurs a peut-être rendu plus facile l’alliance avec la droite à Bastia.
Et aujourd’hui, à Aiacciu, Femu a Corsica est un bateau ivre suite à ses différentes manœuvres dont les Nationalistes d’Aiacciu ont globalement fait les frais.
Droite ou Gauche ?
Si l’on en reste à ces faits, au-delà du choix privilégié de Femu a Corsica dans son ensemble d’exclure Corsica Libera, le PNC ayant pour adversaire à Porti-Vecchju le clan de droite s’est naturellement tourné vers les forces de gauche tandis qu’à Bastia, Inseme pà Bastia ayant en face le clan de gauche Zuccareliste s’est naturellement cherché des alliés divers dont la droite.
Mais ce serait une erreur et une analyse simpliste d’en conclure, selon les schémas traditionnels français, que le PNC est à gauche et qu’Inseme pà Batia est à droite (ou du moins n’est pas à gauche). Les divers mouvements nationalistes n’étant guère unifiés sur des choix vraiment idéologiques dans leur projet, ces débats traversant de manière transversale l’ensemble des structures.
Mais désormais avec la prédominance prise par la question électorale au sein des stratégies des mouvements nationalistes, le clivage au sein de la coalition Femu a Corsica devait se préciser, et les élections cantonales qui s’annoncent devraient le confirmer.
En Haute-Corse, la Gauche « républicaine » est majoritaire, pour la battre il faut des alliés, et naturellement ce seront des dissidents de cette Gauche dynastique, le PS qui a toujours eu des relations houleuses avec la mairie Zuccareliste de Bastia et la Droite.
En Corse du Sud la Droite étant omniprésente (mairies Conseil Général députés, Senat) il faut donc des alliés de gauche (Afa, Porti Vecchju, Lecci, Bonifacio, Pietrosella, un temps François Casasoprana sur Aiacciu).
Corsica Libera a entrouvert une porte à Aiacciu, la suite dira cette stratégie sera poursuivie ou non et si elle peut s’avérer porteuse ou non. Mais l’avantage de Corsica Libera, c’est son choix à Aiacciu assumé par l’ensemble du mouvement. Et lorsqu’on sait que la Nationalistes seuls n’auront jamais la majorité, il faudra donc tôt ou tard se prononcer pour « une alliance globale » avec la Droite ou la Gauche en Corse. Au-delà de la nécessité de certains consensus avec la Droite comme avec la Gauche, notamment sur les éventuelles évolutions institutionnelles, (pour avoir plus de poids dans le rapport de forces avec l’Etat) le consensus sera pour le moins difficile sur le contenu d’un projet économique et social car les valeurs de la Droite et celles de la Gauche ne sont pas les mêmes, ne fut-ce, pour faire simple, que pour leur rapport aux puissances de la finance, leur conception de la justice sociale et de la répartition des richesses et des bénéfices de l’économie au profit du plus grand nombre…
Débats ?
Femu a Corsica donc tôt ou tard se devra de clarifier en son sein ses véritables orientations et se prononcer pour une éventuelle alliance, d’abord avec Corsica Libera, puis dans une stratégie d’arrivée et de participation aux responsabilités corses, choisir entre les forces de Droite et celles de Gauche pour avoir une majorité… Et historiquement la Droite corse jusqu’à aujourd’hui n’a pas trop été aux côtés des Nationalistes corses et n’a pas trop appuyé leurs revendications.
Quant à ceux qui, au sein de Femu a Corsica, tablant sur un hypothétique retour de Nicolas Sarkozy ou de la Droite aux affaires en France pour espérer faire bouger les choses, et calquent leur stratégie sur cette hypothèse, peut-être se bercent-ils trop d’illusions ? En attendant avec tous ces débats et ces questions sans réponses, la vie démocratique au sein de la coalition Femu a Corsica s’annonce pour le moins agitée dans les mois à venir…Et il faudra tôt ou tard crever l’abcès, dans l’intérêt du Nationalisme corse, car Femu a Corsica est désormais une force politique d’importance, et les Corses ont droit à certaines clarifications.
11 février 2015
Pierre Poggioli