Depuis le massacre ignoble de janvier, on essaye de nous faire croire qu’il n’existe que deux camps, l’État et les Autres, le Bien et le Mal. On voit à présent vrais valets du pouvoir et faux impertinents se bousculer pour avoir l’honneur de trouver la blague ou le bon mot qui plaira le plus à l’Élysée et aux quelques millions de français lobotomisés acquis à la pensée manichéenne. Le phénomène n’est pas nouveau, c’est un mécanisme logique et spontané qui anime les institutions dans les moments critiques. On se souvient de Bush après le 11 septembre 2001, de sa « croisade contre l’Axe du Mal » et de la campagne d’intoxication incroyable menée à l’époque en sa faveur par « la presse libre et indépendante » de l’Occident.
Laurent Ruquier est très représentatif de cette classe médiatique très souventparisienne, conformiste, libérale de gauche ou socialiste de droite, très peu politisée, inculte et pourtant très bavarde, cloîtrée dans ses ghettos bourgeois, incapable de faire la différence entre un Marx ou un Maurras, entre un révolutionnaire du FLNC et un djihadiste d’Al-Qaïda. Aussi n’a-t-il pas bien compris l’émotion que ses propos absurdes ont pu susciter à travers toute la société corse, bien au-delà des milieux nationalistes. Peut-être que les prisonniers politiques corses, suspectés d’être de ces fameux « extrémistes qui peuvent échanger leurs cagoules », sont le plus à même de lui expliquer en quoi ces propos peuvent être blessants, insultants et pour le moins ridicules.
Monsieur Ruquier, vous avez été comme toutes le monde ému par les récents événements de janvier. Néanmoins, même un sentiment de révolte légitime, souvent feint et exagéré dans vos milieux soit-dit en passant, ne vous permet pas de dire tout et n’importe quoi. Ce que vous appelez les « extrémistes corses » n’ont jamais pratiqué le terrorisme, quoiqu’en disent les institutions et les lois de votre pays. Le droit positif est l’expression d’une idéologie dominante, c’est une façade derrière laquelle un certain nombre de vérités sont dissimulées. Encore faut-il avoir l’intelligence de les rechercher et de ne pas céder à la pensée réductrice pour s’en rendre compte, ce qu’un journaliste de formation est sensé faire.
Les militants nationalistes clandestins en Corse ont pratiqué 38 années de propagande armée durant lesquelles ils ont toujours veillé à ne pas pas faire de victimes innocentes ou de dommages collatéraux. Leur but à toujours été de médiatiser la situation d’injustice qu’est faite à une communauté de 300.000 âmes noyées dans une entité politique centralisée de 65 millions de femmes et d’hommes. Leur objectif a été de pousser l’Etat français à négocier, à reconnaître l’existence d’un peuple sur sa terre, d’obtenir l’officialisation de sà langue, et de faire respecter son ddroit à l’autodétermination. Pour cela, ils n’ont jamais éradiqué toute la rédaction d’un journal satirique, et Dieu sait si les caricatures infamantes à leur égard ont été nombreuses dans la presse française. Les militants du FLNC n’ont jamais séquestré de guide de montagne pour le décapiter ensuite, ils n’ont jamais utilisé leur arsenal militaire pour piéger des métros ou des lieux publics fréquentés. Ils n’ont jamais massacré d’anonymes à cause de leurs convictions religieuses, ils n’ont jamais assassiné d’enfants dans leur école. Ils sont l’émanation de la volonté libératrice d’un peuple corse bienveillant qui à toujours protégé ses enfants juifs, même à l’époque où les polices du pays des droits de l’homme les traquaient pour les remettre entre les mains des nazis. Aussi, les affilier à des antisémites criminels est proprement injuste et malhonnête.
Le peuple corse est conscient de ces réalités méconnues par les élites francaises et parisiennes, arrogantes et méprisantes qui, depuis toujours, l’ignorent ou le condamnent. D’où les vives réactions qui vous ont apparemment étonné. Qui plus est, contrairement à Daesh et Al-Qaïda qui se battront jusqu’à l’Apocalypse en laquelle ils croient, le FLNC a réaffirmé sa volonté de progresser par le dialogue en décidant en juin 2014 la démilitarisation de ses structures. Il n’a pas pour objectif de contribuer à anéantir l’Occident, mais simplement de permettre à un peuple laminé, écrasé et humilié par 250 ans de colonialisme de recouvrer, au travers d’institutions démocratiques établies par lui-même, les moyens de décider de son avenir et d’assurer la survie de sa culture sur sa propre terre. La grande majorité des composantes politiques corses est désormais fédérée autour d’une base revendicative d’émancipation dont les grands axes émanent des propositions historiques du FLNC, reconnaissance du peuple corse, officialisation de la langue corse, citoyenneté corse, territorialisation des compétences, défense des droits des travailleurs, défense de l’environnement, lutte contre la spéculation immobilière… une telle réalisation n’est pas à la portée de l’extrémisme.
D’un mal émerge toujours un bien, et peut-être nous avez vous donné une occasion de démontrer une fois de plus aux Corses à quel point il est clair que la différence entre la vision qu’ils ont d’eux-mêmes et celle que les médias français leur renvoient quotidiennement constitue le même décalage qui peut exister entre deux pays étrangers, car c’est bien ce que sont la Corse et la France. Au-delà de l’éclaircissement apporté au sujet des indépendantistes corses, militants clandestins, légaux, syndicaux ou incarcérés, cette polémique aura au moins eu l’avantage de révéler à ceux qui l’ignoraient encore que vous n’êtes ni un fin comique ni un journaliste compétent ni un brillant intellectuel. Simplement un faux impertinent en quête d’audience qui dénonce l’amalgame tout en le pratiquant sur le dos du plus petit peuple d’Europe, au mépris des souffrances insupportables des défenseurs de ce dernier et de leurs aspirations véritables. Un de plus en France parmi tant d’autres. »
N.Battini, prisonnier politique corse