« Deux événements concomitants, et largement anticipés, ont alimenté l’actualité européenne cette dernière semaine. D’un côté, la très orthodoxe Banque Centrale Européenne a décidé une dévaluation de facto de l’euro, et, d’un autre côté, le très contestataire leader de Syriza en Grèce, Alexis Tzipras, a remporté une quasi-majorité absolue en promettant que son pays resterait dans l’euro et renégocierait sa dette.
C’est un tournant historique pour l’Europe, après six années d’une crise économique apparemment insurmontable avec les seuls moyens de l’orthodoxie financière déployés jusqu’à présent.
C’est bien d’une dévaluation de l’euro qu’il s’agit en fait. En effet, la BCE a décidé de racheter jusqu’à 1.140 milliards d’euros de la dette générée par la crise dans plusieurs pays de la zone euro, avec des euros sortis de sa propre capacité d’émission monétaire. Actuellement, la masse monétaire en circulation est d’environ 10.000 milliards d’euros dans l’ensemble de l’Union Européenne, soit l’équivalent du PIB annuel de la zone euro. C’est dire l’envergure de l’injection de liquidités que la BCE vient de décider en accroissant sa masse monétaire de plus de 10%, ce qui diminue d’autant la valeur du billet que nous tenons en main.
Concrètement, la BCE s’engage à racheter des obligations qui, faute de confiance, ne trouvent pas preneurs sur le marché. On l’aura compris, ces valeurs qui trouveront refuge auprès de la BCE ne seront pas des obligations d’Etat allemandes, mais plutôt des véhicules qui charrient, après diverses aventures et autres « titrisations », de la dette, d’Etat ou du système bancaire, grec, portugais, espagnol, irlandais, italien, ou même français puisque l’économie française continue à produire de la dette de façon excessive au rythme de presque 5% de son PIB en 2014 quand l’inflation est de moins de 1%. En rachetant ces actifs à leur valeur faciale tout en sachant très bien qu’elles sont factices (sinon elles trouveraient preneur sur le marché pardi !), la BCE injecte un argent frais qui soulage considérablement les acteurs les plus endettés de la zone euro, Etats grec, portugais ou italien, mais aussi système bancaire espagnol, chypriote ou irlandais, etc…
Politiquement, ce mécano financier décidé par la BCE tombe particulièrement bien face à l’actualité grecque : le nouveau pouvoir en Grèce veut en effet « renégocier » -comprendre effacer- une partie de la dette héritée des années folles qui ont précédé la crise. Cette volonté, appuyée très largement par un peuple grec poussé à bout, leur est indispensable tout simplement pour pouvoir survivre économiquement. Il faut réaliser concrètement les choses : un salarié grec payé 1.800 € avant la crise est aujourd’hui payé 900 € en moyenne, et, alors qu’il échappait très souvent à l’impôt, il est désormais imposable. Comment pourrait-on imaginer aller plus loin ? Or la dette grecque, malgré ces sacrifices colossaux, ne décroît pas et reste insurmontable pour le pays. Et l’Europe doit dire un grand merci à Alexis Tzipras et ses amis, car leur succès électoral a ramené la droite extrême de la Grèce, le mouvement ouvertement néo-nazi Aube Dorée, à un score de 6%. Qu’en aurait-il été sans l’espoir que Syriza a réussi à faire partager au peuple grec ? A l’Europe désormais d’être à la hauteur de cette attente.
La dette grecque est estimée à 340 milliards d’euros, dont une bonne partie sera effacée, tout simplement parce qu’il est physiquement impossible aux grecs de la rembourser. Avec ses décisions courageuses, la BCE a donné les moyens de la négociation entre la Commission européenne et Alexis Tzipras avant même que les discussions ne commencent. Ce qui est quand même relativement rassurant sur la réalité et la compétence de la gouvernance européenne.
Reste à répondre à la question que chacun se pose : qui paye pour cette restructuration européenne ? La réponse est simple : les épargnants non spéculateurs ! En effet, cette émission de monnaie de la BCE pour acheter des valeurs largement factices amène mécaniquement à une dévaluation de l’euro. Les Suisses l’ont anticipé quelques jours avant l’annonce officielle de la BCE, en laissant leur monnaie prendre de la valeur brutalement face à l’euro. A J-1, une famille fortunée qui disposait d’un million d’euros a pu acheter 1,2 millions de francs suisses. A J+1, elle a pu revendre ces francs suisses et récupérer 1,2 millions d’euros. 200.000 euros gagnés en une nuit, sans même se priver de sommeil, voilà les plaisirs de la spéculation financière dont les plus initiés et les plus fortunés profitent sans se fatiguer ! Tandis que les économies que les 350 millions d’européens de la zone euro tiennent dans leurs caisses d’épargne respectives ont perdu 10% de leur valeur sans qu’ils n’y puissent rien !
Mais les dévaluations étaient monnaie courante avant que l’euro n’existe. Souvent elles étaient bien plus violentes. Et si l’Europe sort, grâce à cet effort de solidarité, de la crise économique, l’euro retrouvera vite des couleurs. Pour la plus grande joie des épargnants européens …. comme, hélas, des spéculateurs ! »