« Et voilà, nous y sommes, à la fin de cette campagne, qui a été courte, mais qui nous a nouvelle fois donné l’occasion de nous rassembler. Grâce au travail des militants, que je veux remercier ce soir. Grâce évidemment à l’engagement des candidats, de ceux que vous avez entendus, de ceux qui sont toujours présents. Pierre, Paulo, Philippe, Letizia, je ne vais pas pouvoir tous vous citer. Mais le cœur y est, ça fait quarante qu’il bat avec vous pour la Nation.
« 40 ans de gloire et de misère », c’est le titre que Hyacinthe Yvia-Croce avait donné à son histoire des révolutions de Corse. On pourrait l’appliquer aussi à ce que nous avons vécu depuis 1975. Pas avec les mêmes gloires, hélas, mais pas non plus avec la même misère.
Car cette fois-ci, après quarante années d’espoir et de drames, la Nation n’a pas perdu le combat. Simu sempre qui, simu arritti. La répression, les divisions, les petits calculs et les grandes manœuvres, n’ont pas eu raison de notre lutte pour le peuple corse.
Nous avons créé avec Corsica Libera un magnifique instrument pour servir la cause, pour renouer avec un mouvement national uni, digne de l’héritage de Pasquale Paoli. Nous pensons comme il le pensait, comme Rousseau le pensait également, que les Corses sont capables de légiférer, que c’est en créant leur État qu’ils pourront enfin accéder à la justice et à la liberté.
Corsica Libera peut se réjouir de voir que ses idées progressent, les vieux militants – et ils sont nombreux ce soir – peuvent être fiers d’avoir eu raison avant tout le monde. Car aujourd’hui qui conteste sérieusement la nécessité pour les Corses de renouer avec leur culture ancestrale, de protéger leur patrimoine, de gérer eux-mêmes leurs affaires et leurs ressources naturelles, de maîtriser les flux migratoires et, surtout, de casser le cycle infernal de la spéculation immobilière qui conduit ce pays à sa perte ?
Personne, ou presque. Tout le monde s’en revendique. Confrontés à la faillite du modèle jacobin, du parti communiste au front national, il n’y aurait désormais que des partisans de la langue corse, de l’autonomie, du statut de résident. Piombu ! Pour un mouvement qui a toujours appelé à l’unité, quel rassemblement! Et pour une classe politique qui avait farouchement combattu la moindre de nos propositions, quel revirement! N’est-ce pas un peu trop beau pour être vrai, d’ailleurs?
Souvenez-vous, lorsque l’idée nationaliste est apparue, elle était scandaleuse. Nos parents et grands-parents, pour la plupart, pour les miens en tout cas, ne voulaient pas en entendre parler. « Comment tu veux manger des châtaignes ? » Ils étaient nombreux à confondre la France et la modernité. « Zittu, malheureux ! Et si on vous écoutait, si on nous retirait tout ce qu’on nous a donné pour le prix du sang versé ? » Parce qu’ils étaient encore plus nombreux à se persuader que la France était généreuse, et mieux reconnaissante envers la Corse. Vous savez la Corse qui coûte tellement cher, cette montagne dans la mer dont on ne pourra jamais rien faire, qu’on se demande pourquoi on la garde, etc.
Deux siècles de propagande. Deux siècles d’illusions. Et, comme ça, d’un coup d’un seul, on aurait gagné. On pourrait rentrer à la maison, d’ailleurs même le Front a rangé ses fusils. Entendez ce qu’ils nous disent : « allez-y vous aussi, rangez vos pancartes. A quoi ça peut bien servir Corsica Libera ? Vous avez fait votre temps. Faites-nous confiance, on s’occupe du reste. »
Je ne sais pas vous, mais moi t’aghju u suspettu. C’est quand même un peu bizarre, vous ne trouvez-pas ? Quelle est la part de sincérité de tous ceux qui aujourd’hui défendent nos idées, mais continuent de rejeter notre mouvement ? Le paradoxe, c’est que nous n’avons jamais été aussi loin de l’emporter. Ça me fait un peu penser à celui qui voulait la cage, mais pas les oiseaux… Mes amis, à droite comme à gauche, l’heure de la récupération a sonné. Elle annonce, inévitablement, celle de la trahison.
Car la réalité, c’est celle-là. Il y a une place à prendre, ou plutôt – excusez le commerçant qui retrouve ses réflexes – un fonds à exploiter. En Corse, la politique est un théâtre d’ombres. Les discours ne reflètent pas les vrais enjeux du pouvoir. En fait, s’il est vrai que nous entrons dans une nouvelle phase politique, celle où nos adversaires d’hier sont confrontés à un État qui s’efface, à une idéologie républicaine qui s’effondre, à l’aggravation des tensions communautaires, à une population en quête de sens et d’identité, la situation et le rapport de force n’ont pas tellement changé depuis les années 1970.
Et nous sommes toujours les ennemis les plus dangereux, les plus irréductibles, de ceux qui gouvernent ce pays. Car si l’oppression a changé de visage, elle n’a pas disparu. Hier, c’était le clan soutenu par la puissance publique. Aujourd’hui, c’est une gangrène générale, où des pans entiers de la classe politique et des institutions sont dévoyés par l’affairisme. Et cela sur fond de misère, une telle misère d’ailleurs que les vieilles pratiques, comme les achats de voix et la fraude électorale, ont regagné leur ancienne vigueur. C’est même pour ça que nous sommes là aujourd’hui, dans cette élection municipale d’Aiacciu qu’il faut refaire parce qu’elle a été truquée !
Alors, non, nous ne pouvons pas rester en dehors du jeu. Nous sommes le peuple, et ce peuple souffre. A Aiacciu autant et peut-être plus qu’ailleurs en Corse ! Les moyens d’une commune et d’une agglomération, de deux collectivités territoriales françaises, car c’est de cela qu’il s’agit, ne sont évidemment pas à la hauteur. Pas à la hauteur de nos besoins, encore moins à la hauteur de nos rêves.
Mais pouvons-nous rester dehors, alors que personne ne construit les logements dont nous avons besoin ? Nous pouvons agir pour offrir un toit à ceux qui paient trop cher leur loyer, à ceux qui désespèrent d’acheter une maison, car il y aura toujours un étranger pour surenchérir. Il y a des leviers, nous les actionnerons. Nous n’attendrons pas tout des sociétés de HLM continentales, nous bâtirons notre propre opérateur. Nous imposerons le statut de résident. Nous ne laisserons pas faire un PLU qui favorise les résidences secondaires. Nous ferons respecter les règles qui protègent les locataires des contrats léonins que sont les locations à l’année scolaire.
Je vous le redemande, pouvons-nous rester dehors, lorsque la culture et la langue se perdent, ou pire se transforment en folklore pour touristes, en vague prétexte identitaire ? Pouvons-nous laisser nos écoles battre tous les records d’échec scolaire ? Nous avons désormais des outils pour réparer les ravages d’une instruction qui n’avait que mépris pour notre peuple et son histoire. Nous les utiliserons ! L’école, l’éducation, c’est la meilleure façon de lutter contre la ségrégation qui est à l’œuvre et qui, à Aiacciu, produit une société qui exclut toujours davantage. On nous a confisqué notre passé, cette histoire qu’on a ignoré pour mieux couper nos racines, et maintenant on cherche à priver d’avenir une partie de nos jeunes qui n’ont pas les moyens de faire du sport, de la musique, ni même de réussir leurs études pour s’insérer dans la société !
Pouvons-nous rester inactifs, alors que nous assistons à la mort économique de notre ville ? Non pas que nous n’ayons jamais connu une très grande prospérité, mais enfin a-t-on jamais vu un tel désastre ? Le commerce urbain est moribond, tandis que les grandes enseignes, ces multinationales pourvoyeuses d’emplois précaires, envahissent la périphérie, avec la bénédiction de l’UMP. Nous devons changer la donne, ne pas nous résigner à devenir une zone de consommation, pressurée jusqu’à extinction. Alors, je vous le demande, à qui pouvez-vous faire confiance pour repousser ce monde qu’on nous impose et qui est en passe de détruire ce qui reste de notre peuple ? Nous sommes conscients ici que ce marasme généralisé est l’aboutissement d’une volonté constante de détruire ce que sont les Corses. Mais nous savons aussi comment nous y opposer.
La Corse est un petit pays, mais son peuple est puissant. Avec la capacité de résistance qui a toujours été la sienne, nous pouvons construire une société plus juste. Nous voulons un autre destin pour la Corse et pour Aiacciu que celui qu’on nous réserve. C’est notre devoir devant l’histoire, c’est notre devoir au nom de nos frères de lutte, ceux qui ont payé de leur vie ou de leur liberté leur engagement.
Oui, nous sommes des militants du peuple corse.
Parce que nous sommes le peuple, et nous sommes des militants. Nous ne recrutons pas nos membres par cooptation. Nous ne sommes pas le club des gens bien et des capizzoni, des apparatchiks et des obsédés de la carrière. Ce qui compte chez nous, c’est la sincérité. Nous sommes là pour défendre un idéal, votre idéal. Et nous ne laisserons pas les politiciens qui se l’accaparent le dénaturer. Nous devons être présents pour empêcher les dérives, pour rappeler encore et toujours ce qui fait l’essence de notre lutte. Pour que les mots d’ordre du mouvement ne soient pas de simples slogans.
Le nationalisme, c’est la dernière révolte du peuple corse, l’ultima speme. Nous devons le faire vivre! Nous devons le porter dans tous les lieux de pouvoir sur cette terre. A vous désormais de le faire entrer à la mairie d’Aiacciu, en soutenant la liste Aiacciu Cità Corsa. Pour vous, pour l’histoire, pour l’avenir et per una Corsica Libera, vuteti Aiacciu Cità Corsa !
Evviva Aiacciu !
Evviva a Corsica !
Evviva a Nazione !
[1] Le discours prononcé comporte des improvisations qui ne sont pas reproduites dans ce texte, en particulier au début au moment des remerciements
AIACCIU CITA CORSA – PAUL LEONETTI