(Unità Naziunale – publié le 10 juin 2018 à 21h01) Le 1er juin dernier, Mariano Rajoy, esseulé, acculé et désormais ex-Premier ministre, est tombé grâce à l’adoption d’une motion de censure avec 180 voix pour, 169 contre, 1 abstention. C’est désormais Pedro Sanchez (PSOE, parti socialiste ouvrier espagnol) qui dirige le gouvernement espagnol. L’espoir renaît.
Le censeur censuré
‘‘L’homme qui disait tout le temps non’’. C’est ainsi qu’on devrait (re)nommer Mariano Rajoy. En effet, c’est lui qui, en 2006, alors qu’il est déjà le chef du Partido Popular (PP – droite conservatrice et jacobine espagnole) et de l’opposition, porte l’estatut devant le Tribunal constitutionnel espagnol afin de le faire censurer alors qu’il avait été adopté par le peuple catalan (73,2%), par le Parlement catalan (120 voix contre 15 du PP) et par le Parlement espagnol (197 voix contre 146 du PP) ! Cette demande sera exaucée en 2010 par le Tribunal constitutionnel qui va censurer tous les éléments fondamentaux du nouveau statut.
C’est lui qui dira non à tout quand, une fois arrivé au pouvoir à Madrid en 2011, il refuse de dialoguer avec le Président de la Catalogne, Artur Mas, nationaliste de centre-droit, qui ne souhaite pas l’indépendance mais veut renégocier le statut et obtenir quelques avancées notamment fiscales et financières.
C’est -encore- lui qui dira non et interdira la consultation d’autodétermination du 9 novembre 2014 qui se voulait un appel à la discussion et une façon d’internationaliser une question qui n’était déjà plus une affaire ‘‘interne’’ espagnole.
C’est lui -toujours- qui refusera de dialoguer avec les Catalans quand, tous les ans, pour la fête nationale catalane, la diada, entre 1 et 2 millions de personnes (sur une population de 7,5 millions !) descendent dans les rues de Barcelone.
C’est lui -évidemment- qui refusera le référendum sur l’indépendance de la Catalogne du 1er octobre dernier et qui enverra même la police pour aller frapper la population qu’il a le devoir de protéger.
C’est -enfin- lui qui a censuré la démocratie en Catalogne en imposant le fameux article 155 pendant près de 8 mois, poursuivi illégalement des élus et des ministres, imposé des élections -qu’il a perdues par ailleurs- et choisi, de fait, qui pouvait et qui ne pouvait pas faire partie du nouveau gouvernement catalan.
En adoptant cette motion de censure, sur une affaire grave de corruption qui n’est donc pas liée à la Catalogne, l’Espagne a donc censuré le censeur de la Catalogne. Le départ de Rajoy permet à l’espoir de renaître.
Un nouvel espoir
Cependant, la coalition (180 voix sur 350) en faveur de la chute de Rajoy est hétéroclite. Elle est menée par les socialistes (85 élus) et le nouveau Premier Ministre, Pedro Sanchez, qui a passé les dernières semaines à traiter le nouveau gouvernement catalan de tous les noms. Elle est soutenue par la gauche radicale de PODEMOS (80 élus) qui semble être la moins fermée à une option démocratique en Catalogne, par les indépendantistes catalans (de gauche ERC (9) et de droite CiU (8)), par les nationalistes basques (de droite PNV (5) qui avaient soutenu le gouvernement Rajoy précédemment et de gauche EH bildu (2).
‘‘En même temps’’, en Catalogne, la majorité républicaine arrive enfin à présenter un gouvernement qui ne sera pas retoqué par Madrid qui avait refusé la nomination des ministres en exil ou en prison sans raisons légales.
Bref, le départ de Rajoy, le serment de Sanchez, et l’officialisation d’un nouveau gouvernement catalan ouvre un nouveau chapitre et laisse entrevoir de meilleurs jours pour la Catalogne et pour l’Espagne sauf si Sanchez n’enfile pas le costume et ne prend pas la stature d’homme d’État, en s’enfermant dans un discours anti-catalan, probablement porteur hors de Catalogne mais assurément dangereux pour l’ensemble des Espagnols et des Catalans à court terme.
L’Europe doit (ré)agir
Scandaleusement silencieuses sur le sujet, l’Europe et la Commission européenne ont voulu protéger un des leurs, Mariano Rajoy, au lieu de défendre la démocratie et l’état de droit. Le changement de Premier ministre à Madrid doit s’accompagner aussi d’un changement de politique à Bruxelles qui ne peut plus rester muette face aux violations des droits fondamentaux en Catalogne.
Bruxelles doit exiger de Madrid que les prisonniers soient libérés, demander que les charges illégales et infondées soient caduques, comme l’ont déclaré les tribunaux allemands et belges, et que le dialogue soit renoué.
Bref, si on n’oubliera pas de sitôt l’absence de Bruxelles lors des 8 derniers mois, il n’est jamais trop tard pour essayer de se rattraper (même partiellement). Les Catalans demandent d’être respectés en tant que peuple, ce droit qui est imprescriptible et inaliénable est un devoir pour l’Espagne et pour l’Europe.
Puisse la censure du gouvernement Rajoy ouvrir un nouveau chapitre politique en Espagne, que la démocratie soit restaurée et que le droit des peuples à s’autodéterminer soit respecté… enfin…