Au bout d’une session de 48 heures non stop, l’Assemblée de Corse a accouché de son projet de Collectivité Unique pour la Corse, engageant ainsi le début de la fin des Conseils Généraux. Un mois après le vote sur le Padduc, elle a déjoué les pièges qui lui étaient tendus : celui de la désunion, une majorité de 42 sur 51 -plus de 82%- ayant été rassemblée, celui de l’incapacité de faire, le projet finalement adopté suite aux travaux de la Commission Chaubon ayant, comme le Padduc avant lui, une consistance incontestable, et celui du calendrier, qui, avec les élections cantonales à venir, multiplie les embûches.
Le vote des 42 a été obtenu en concentrant la première délibération sur le fait politique majeur : la création d’une Collectivité Territoriale Unique rassemblant l’actuelle Assemblée de Corse et les deux Conseils Généraux. C’est ce qui fait de cette délibération une décision de portée historique, dans la mesure où elle influera durablement sur la situation de la Corse.
La seconde délibération a été plus controversée, mais elle est de moindre portée puisqu’elle ne fait que définir le mode de scrutin, et notamment la question qui divise jusqu’à l’intérieur des groupes, celle de la prime majoritaire et des seuils de fusion ou de maintien, dont le relèvement favorise arithmétiquement les grands partis au nom de la « stabilité de l’Exécutif ». L’option retenue, la plus « proportionnaliste », est cependant sortie largement majoritaire, ce qui lui donne une réelle autorité. Pour l’actuelle Assemblée, les seuils -prime majoritaire attribuée à la liste arrivée en tête, seuils pour se maintenir entre deux tours ou pour pouvoir fusionner – avaient été relevés à la demande expresse de Nicolas Alfonsi ; cela n’a pas empêché l’actuelle majorité d’être une majorité relative. Et l’Allemagne est dirigée par un Bundestag élu intégralement à la proportionnelle ; cela n’empêche pas, aux dernières nouvelles, Angela Merkel de gouverner ! La proportionnelle est le cadre démocratique le plus répandu en Europe, et il convient parfaitement à l’Assemblée de Corse.
Les opposants à la Collectivité Unique se résument aux communistes, hostiles, plus qu’autre chose, au contenu « nationaliste » de cette revendication portée depuis 40 ans, quand les deux départements avaient été créés ex nihilo par Valéry Giscard d’Estaing, au lendemain des événements d’Aleria, pour requinquer les deux forces politiques traditionnelles face à la montée en puissance de l’ARC, en leur donnant chacune leur pré carré. Se sont ajoutées aux voix communistes deux voix de la droite départementaliste de la Corse du Sud, qui a ainsi montré que son seul projet était de s’accrocher à ses postes. Paul Giacobbi a rassemblé autour de son engagement personnel les voix du groupe « Zuccarelli », ce qui est une surprise et ce qui exprime à quel point ils sont au bout du rouleau depuis leur défaite de Bastia …. et que les grandes tractations à gauche ont bel et bien commencé en vue des prochaines territoriales.
Mais le fait est là : avec 42 voix pour sur 51, Pierre Chaubon a réussi son pari de réunir un consensus très large des élus de l’Assemblée de Corse qui arrivent ainsi en position de force pour négocier avec le gouvernement.
Car cette question de la Collectivité Unique n’est pas de même nature que les délibérations de l’Assemblée de Corse qui l’ont précédée sur la co-officialité ou l’inscription dans la constitution du statut de la Corse : elle ne demande aucune modification de la Constitution pour être mise en œuvre. Le gouvernement avait même pris l’engagement de rattacher la nouvelle architecture des institutions de la Corse au projet de loi actuellement en débat sur la réforme des régions et des départements dans toute la France, loi portée par Marylise Lebranchu. L’engagement était clairement exprimé : les choix de l’Assemblée de Corse, s’ils recueillent une large majorité, devront être intégrés tels quels dans le texte soumis au vote du Parlement à compter de janvier 2015. Là, pour le coup, les suites concrètes à la décision de l’Assemblée sont immédiatement attendues, et le gouvernement aura bien du mal à se dérober si telle était son intention.
Interrogée par FR3 au lendemain du vote, Marylise Lebranchu, s’exprimant à titre personnel, a reconnu la « belle avancée, le beau travail » des élus corses, soulignant la « très forte majorité recueillie » qui, a-t-elle déclaré « oblige le gouvernement ». Mais son enthousiasme attend encore une validation par le premier ministre et le président de la République, validation qui, même si une réunion entre les ministère concernés (Intérieur, Réforme territoriale) et les élus de l’Assemblée de Corse est actée pour les jours à venir, ne semble pas encore acquise.
Reste le problème du calendrier. La nouvelle Collectivité prévoit la suppression des départements, mais en mars prochain sont programmées des élections cantonales. Si bien que ceux qui seraient alors élus en Corse le seraient pour un mandat bien plus long que le temps à courir pour la mise en place de la nouvelle Collectivité Unique. Un report réservé à l’exception corse de ces élections est dans la logique démocratique … mais probablement incompatible avec la constitution jacobine pour qui il est par définition sacrilège que la Corse avance d’un pas différent de celui du reste de la France.
L’Assemblée s’en est remise aux négociations avec les ministres pour tenter de résoudre cette difficulté de calendrier qui permettrait aux opposants à la réforme de trouver un second souffle à travers des élus récemment désignés qui seront acharnés à maintenir la structure où ils siègent.
Mais, ce ne sont là que des péripéties.
La Corse avance vers un autre avenir, et le vote du 12 décembre 2014 de l’Assemblée de Corse est un jalon important de cette marche vers le progrès