Les Corses qui croyaient que les mouvements politiques se réclamant de la nation devaient se retrouver mécaniquement en une addition fraternelle pour les municipales d’Aiacciu, se sont trompés de bonne foi !
L’occasion était belle : la tribu des nostalgiques de la Corse de papa qui se croyait encore du temps de Thomazo et de feu Marcel Francisci, s’était fait prendre la main dans le sac, en train de se livrer à un de ses hobby, celui de la multiplication intempestive des électeurs…
Une fois n’est pas coutume, le tribunal avait sévi, et patatrac, voilà ces élections chèrement gagnées et grassement achetées qui étaient à refaire ! Ceux qui dénoncent cette fraude élevée au rang de système politique depuis bientôt cinquante ans, auraient pu trouver dans ce jugement matière à réflexion à l’heure où justement il semble que le rapport de force pourrait s’inverser. Pourtant, ni cette fraude anachronique digne de Maneta, ni la possible défaite du clan le plus sordide, n’ont semblé intéresser les organisations qui appartiennent au nationalisme dit modéré. Nous parlons ici du nationalisme corse bien sûr, non de l’ultra nationalisme français, celui que ses supporters en Corse, Panunzi, Nicolas Alfonsi, Zuccarelli ou Marcangeli qualifie « d’attachement au modèle républicain » pour bien faire comprendre à tout le monde qu’ils n’ont pas l’intention de cracher dans la soupe ni de se laisser faucher leur gamelle.
C’est bien pourtant avec ceux qui sont issus de ces formations politiques, qu’à Bastia comme à Porti Vechju, les nationalistes modérés ont décidé de s’associer en écartant les Indépendantistes. Les « nationalistes » encore en lice ont failli gouverner à Porti Vechju avec cette partie de la gauche qui compte parmi les pires adversaires du Peuple Corse. A Bastia en revanche, le gagnant autonomiste va très vite se retrouver face à un allié encombrant. Qui pourrait douter que le PRG Tatti ne puisse récupérer les orphelins de Zuccarelli dans un proche avenir, qui pourrait douter sur un plan qui dépasse le cadre bastiais, que Tatti s’aligne sur des positions chevènementistes. A ce jeu de dupes, chacun défend son fonds de commerce, les uns la république, les autres le « rassemblement ».
N’est pas De Gaulle qui veut !
Car si, comme tout le monde en a bien conscience, les trois élections de Bastia, Porti Vechju et Aiacciu s’avèrent capitales pour les prochaines territoriales, la situation municipale des uns et des autres va se trouver « impactée » par les futurs clivages à l’assemblée de Corse. Les apôtres du « rassemblement » sans effort ,sans lutte et sans patriotes, pourraient apprendre à leurs dépens que quand la question de l’allégeance à Paris est en cause, l’UMP comme la Gauche la plus réactionnaire forment des blocs homogènes et sans nuances. Les mêmes causes produisant toujours les mêmes effets, si, comme semble le souhaiter les autonomistes, il advenait que disparaisse un courant politique qu’ils soutiennent pourtant avec ostentation à Edinbourg et à Barcelone,ils n’auraient pas pour autant fait avancer d’un iota la cause nationale corse. Jamais ils ne mettront un terme, par la seule volonté du Saint Esprit, à une situation vieille de 250 années, mélange de déni et de déréliction et qui ne semble pas près d’évoluer.
La fraude électorale ajacienne ne démontre pas seulement la bêtise et l’impudence du clan, elle témoigne d’un refus de l’indispensable modernisation de la vie publique, d’un raidissement du conservatisme, bref de tout ce que prétend rejeter la doxa autonomiste. La pratique de la langue corse reste virtuelle, son officialité oubliée ; la notion de peuple corse, rangée comme un accessoire de pure rhétorique, au mieux ringard, au pire xénophobe; la Corse, dépeuplée et vieillie, livrée à l’arrivée massive de non corses qui ne lui apportent rien et la tirent vers le bas quand son potentiel réclame une immigration qualifiée; la terre corse, abandonnée à la friche et au désordre, ne crée ni économie ni richesse, elle enrichit une corporation de bandits d’un nouveau genre et une petite aristocratie de thésauriseurs ! Pour la première fois dans notre histoire, les écarts de condition sociale battent des records ! Bref, rien n’est réglé ni des revendications politiques initiales ni des besoins les plus fondamentaux dans une région d’Europe riche de possibilités mais qui demeure dans un état proche du sous-développement et qui ne survit que d’argent parisien…
Depuis le 1er janvier 1976, la Corse est partagée en deux,c’est un désert à l’intérieur mais toujours ces 360 communes inutiles et ces 52 conseillers généraux dont l’unique rôle est de « faire » nos deux sénateurs, c’est même la seule méthode de promotion sociale que connaissent les Corses! Mais toujours 3h pour aller de Bastia à Ajaccio dans l’insécurité la plus totale, avec la frontière de Vizzavona qui coupe physiquement et mentalement la Corse en deux et entretient l’esprit de clocher le plus obsolète. Une chose est d’appeler au « rapport de force » dans le fauteuil confortable de FR3, une autre chose est d’obtenir le vote des 3 cinquièmes du Parlement. A qui fera-t-on croire qu’il suffit de demander?Et à qui fera-t-on croire que l’objectif de ces révolutionnaires, assagis et bien vivants, ne se limite pas à mettre leurs pieds dans les pantoufles d’un clan qui a fait son temps, dont on attend la chute, et qu’on remplacera sans remords en brandissant une bandera pour dissimuler l’imposture? Tout en se débarrassant de « frères » turbulents qui les priveraient de la bienveillance étatique ! C’est bien ce qu’a voulu dire sur le plateau de « Cuntrastu » du 9 novembre un ex grand espoir du « nationalisme » corse.
Car si personne n’a jamais dit que la politique était une activité de bateleur de campus, le contraire n’a jamais été prouvé non plus, surtout dans la Corse contemporaine ! Plus sérieusement,l’enjeu des élections municipales d’Aiacciu est clairement un enjeu pour tous les Corses, même si la nature d’une élection partielle à couteaux tirés modifie sensiblement les perspectives politiques. L’objectif des Naziunali est de parer au plus pressé : s’opposer au clan le plus rétrograde ! Puis rechercher dans la société corse l’adhésion à un projet de reconstruction avec tous ceux qui le veulent explicitement.
Le contrat social de la Corse de demain ne se construira pas sur un malentendu, sur une accumulation de compromissions ou sur l’installation au pouvoir d’un nouveau patriciat avec la complicité de Paris. Seul un projet, hors de tout modèle hexagonal et conçu par les Corses eux-mêmes, pourrait permettre de sortir le pays de son état de déshérence absolue, tout autre solution serait suicidaire…
Au lieu d’écouter les sirènes surannées de Matignon, le réalisme politique auquel se réfère souvent nos prétendus mentors, commanderait plutôt de « nous séparer de ce bateau qui va couler. Il nous est sûrement plus facile, n’ayant jamais connu le développement, de construire avec nos moyens plutôt que d’en attendre d’un système finissant ». Marcel Lorenzoni. Lettres de Fresnes, 5 mai 1998
Ghjacumu Petru