Faire dépendre de la responsabilité de la Corse et de son Assemblée élue les choix d’aménagement principaux pour l’avenir de la Corse, telle est la compétence majeure que les différents statuts particuliers ont instauré.
Mais l’esprit de responsabilité n’avait jusque là jamais été au rendez-vous et l’échec avait été chaque fois cuisant. Cette maladie infantile de l’Assemblée élue de la Corse est désormais conjurée. En adoptant son Padduc, la Collectivité Territoriale de Corse est entrée en âge adulte.
En 1989, le premier schéma d’aménagement piloté par Jérôme Polverini pour le compte de Jean Paul de Rocca Serra avait été emporté par une « marée rouge », à savoir la généralisation des tâches de couleur rouge qui définissaient les zones constructibles. 100% ou presque du littoral corse physiquement constructible avait ainsi été emporté sous l’avalanche débridée des amendements des bétonneurs en tous genres, et le document, voté par la droite avec une seule voix de majorité, avait été déclaré illégal par le contrôle de légalité de l’Etat. De cet échec retentissant était sortie la situation actuelle de la Corse, un schéma d’aménagement arrêté par l’Etat en 1992, après que les carences de l’Assemblée de Corse aient conduit à son dessaisissement. Ce schéma est devenu, près d’un quart de siècle après, un document encore en vigueur, mais nécessairement à réviser.
Entretemps, en 2002, le statut Jospin a élargi la compétence d’aménagement de la CTC en définissant le Padduc, plan de développement et d’aménagement du territoire, dont la portée a été renforcée en le rendant contraignant pour tous les documents d’urbanisme de la Corse.
En 2008/2009, le projet de Padduc élaboré par Ange Santini et la majorité de droite a volé en éclats en même temps que « l’économie résidentielle » dont il était la traduction spatiale, dans la foulée des déclarations de Camille de Rocca Serra qui avait annoncé sa volonté de « désanctuariser » la Corse. L’échec électoral cuisant de la droite en mars 2010 a été en grande partie le résultat de ce document et du projet de société qu’il sous-tendait.
Ce nouvel échec était l’échec d’une majorité, mais il était aussi un nouvel échec de la Corse. En révélant l’incapacité de la CTC dans l’exercice de sa principale responsabilité, il délégitimait de facto nos revendications pour en demander de nouvelles, et a fortiori pour aller vers l’autonomie.
Avec Maria Giudicelli, Paul Giacobbi a repris à son compte, dès son élection à la tête de l’Exécutif, la nécessaire rédaction du Padduc, au point d’en faire la clef de voute de la mandature 2010-2015. Leur grand mérite, et particulièrement celui de Maria Giudicelli, a été de prendre ce travail très au sérieux, de le mener dans un véritable esprit de concertation, et d’en avoir fixé fermement le cap politique, en rupture avec le projet « d’économie résidentielle » de la précédente majorité. C’est sur cette base qu’a pu se faire la jonction avec les nationalistes, et particulièrement avec le groupe Femu a Corsica. Cette union fut un combat, et la session marathon des 30 et 31 octobre dernier a été à l’image de plusieurs mois et années de débats denses et contradictoires. Mais le résultat final est là, avec un document de compromis équilibré pour l’aménagement du territoire et suffisamment ambitieux pour l’avenir du peuple corse.
Cet acte de maturité politique dote la Corse d’un document démocratiquement incontestable, et juridiquement sécurisant pour les documents d’urbanisme à venir. Il faudra être vigilant, mais les projets spéculatifs qui étaient en filigrane d’un lobbying incessant de certains groupes de pression ont été largement entravés. Et, même en cas de renversement de majorité, qui se lancera dans une révision du Padduc pour un ou deux projets ponctuels alors que celui-ci vient à peine d’être adopté ?
Dans ce difficile accouchement, le rôle des nationalistes, et particulièrement du groupe Femu a Corsica, a été remarqué. Responsable du dossier, Fabienne Giovannini n’a pas ménagé ses efforts tout à la fois pour mener un dialogue ininterrompu avec l’Exécutif et pour veiller avec la plus grande vigilance sur tous les possibles dévoiements, au détour d’un trait de crayon ou d’un mot clef gommé dans un texte. Le résultat politique qui a été engrangé au bénéfice de la Corse lors de ce débat doit beaucoup à son travail et à son opiniâtreté. Arritti, qui a accompagné par plusieurs numéros spéciaux la longue progression du débat de fond qui a conduit au vote du 31 octobre 2014, partage avec elle la fierté du devoir accompli.
En relevant le défi de la plus difficile de ses compétences, la représentation élue de la Corse a montré sa capacité à s’élever au niveau de l’intérêt général, en dépassant les intérêts particuliers. Le terrain est ainsi désormais dégagé pour acquérir de nouveaux champs de compétence jusqu’à l’autonomie.
Ce sera le cœur des débats à venir lors des prochaines élections territoriales.