Quand on met bout à bout les nuages qui obscurcissent l’horizon du gouvernement, on a un peu le vertige. Cela peut-il tenir ? Chahutée à Paris, retoquée à Bruxelles, la politique de Manuel Valls et François Hollande entre dans une zone d’instabilité grandissante. Pendant ce temps, la Corse semble condamnée à faire du surplace.
Il y aura tout d’abord le budget 2015, un budget d’austérité, à faire voter malgré les députés « frondeurs » qui ont déjà, pour beaucoup d’entre eux, refusé de voter la confiance à Manuel Valls. Avec en prime un budget de la sécurité sociale qui comprend des mesures d’économies qui sont autant de chiffons rouges pour la gauche parlementaire. Comme la droite ne fera pas de cadeaux, tout cela ne tient qu’à un fil.
Or l’exercice est en train de se tendre à l’extrême car ce budget, malgré des coupes inédites, se heurte à des prévisions de conjoncture qui mettent en l’air les résultats économiques escomptés. Croissance en berne (0,4% au lieu du 1% initialement), inflation à zéro, ce qui affaiblit les rentrées de TVA prévues, puisque les prix resteront stables au lieu d’augmenter, il manque plusieurs milliards d’euros pour être en ligne avec les objectifs affichés avant l’été. Les 21 milliards d’économies annoncées ne sont pas au rendez-vous, et, pire, compte tenu de la conjoncture, il faudra quelques milliards de plus pour rentrer dans des clous acceptables par Bruxelles.
À cet égard, la nomination de Pierre Moscovici comme commissaire européen en charge des affaires économiques est encore une de ces « fausses bonnes idées » dont fourmille le quinquennat de François Hollande. Cette nomination a été exigée au nom du « prestige de la France », mais Pierre Moscovici, à ce poste arraché de haute lutte, se trouve être sans doute celui qui pourra le moins pour faciliter la négociation française.
En effet, pour être accepté par les parlementaires européens qui ont mis en accusation un risque de favoritisme en faveur de la France avec sa nomination, il a été obligé d’affirmer des positions par lesquelles il s’engage à laver « plus blanc que blanc ». Un traitement exceptionnel lui a même été réservé puisque tous ses engagements devront être confirmés par écrit avant le vote du Parlement. Autant dire qu’il ne pourra concéder aucune dérogation au gouvernement français, et que le budget 2015 de la France, déjà tant décrié, devra être encore durci.
Jusqu’à quel point une majorité déjà fragilisée acceptera-t-elle de suivre un exécutif autant décrié par les sondages ? La perspective d’une période de gouvernement « par ordonnances », selon l’article 49-3 qui, par un seul vote du Parlement, donne des pouvoirs étendus à l’Exécutif pendant une période limitée dans le temps, est de plus en plus évoquée. Mais cela ne serait que la dernière étape d’un parcours voué à l’échec.
Cela ne fait bien sûr pas les affaires de la Corse. Le seul cap clairement maintenu est celui de la répression avec les arrestations à grand spectacle survenues ces jours derniers à propos d’un attentat du FLNC commis avant la décision d’arrêt de ses activités. On balaie très, très large, et on surjoue le rituel sécuritaire pour marquer les esprits. Et de la sorte, l’absence totale de dialogue avec l’Assemblée de Corse apparaît encore davantage comme un choix politique délibéré, contre la réforme constitutionnelle, contre la co-officialité, et contre le statut de résident, contre la majorité de l’Assemblée de Corse.
En fait il ne reste qu’un point où les jeux ne sont pas encore faits : la future architecture de la Collectivité Territoriale de Corse. L’Assemblée de Corse a délibéré pour aller vers une Assemblée Unique regroupant la CTC et les deux départements, tout en maintenant deux formations territoriales séparées à travers un second collège d’élus désignés dans le cadre d’un découpage par régions naturelles. Quel découpage envisager de la Corse en régions naturelles ?
La proposition à treize circonscriptions mise sur la table par le rapport Colombani semble excessive, et elle compromet la parité. L’INSEE a délimité neuf bassins de vie, certains proposent de réduire encore le nombre des régions électorales. L’Assemblée de Corse devra trancher très rapidement si elle veut une mise en place de cette nouvelle Assemblée lors de la prochaine élection territoriale. Marylise Lebranchu a affirmé en juillet dernier que la porte était ouverte au gouvernement pour suivre la proposition formulée par l’Assemblée de Corse. Mais, entretemps, le scrutin cantonal à l’échelle de la France, un instant repoussé à décembre, a finalement été confirmé pour mars prochain. Pour qu’un report soit décidé pour la Corse, il faudra que le projet d’Assemblée nouvelle soit fixé très rapidement. Les délais sont courts, et comme le gouvernement n’a guère envie d’avancer, tout contretemps créerait une situation de blocage. Sinon, les élections cantonales auront lieu en Corse comme ailleurs, et comment pourra-t-on dépasser la situation créée par les deux départements élus en mars lors des territoriales de décembre ?
Crise politique à Paris, surplace en Corse : la Corse risque d’être prise dans le piège de l’immobilisme.