Elections sénatoriales en #Corse : Le clientélisme décomplexé

Le Parlement français est composé de deux chambres (système du bicamérisme). L’Assemblée nationale et  le Sénat (ou haute assemblée).

Le Sénat, élu pour six ans depuis 2003 (contre 9 auparavant), vient d’être renouvelé. Il est élu au suffrage universel indirect et renouvelable par moitié tous les trois ans. La dernière élection avait eu lieu en 2008.  Il compte 348 sénateurs depuis le renouvellement de 2011, subissant plusieurs réformes de son mode d’élection. L’Assemblée nationale, dont les 577 députés sont élus au suffrage universel direct pour cinq ans. La dernière élection a eu lieu en juin 2012

Petits rappels

Promulguée le 4 octobre 1958, la Constitution de la Ve République confère au Sénat un rôle éminent dans les institutions. Certains observateurs parlent même de « République sénatoriale ». Le président du Sénat devient le deuxième personnage de l’Etat et assure l’intérim de la présidence de la République

Le Sénat avait vu accroître son rôle avec le retour du Général de Gaulle au pouvoir en 1958 et la promulgation de la Vème République.

Le Général de Gaulle y voyait un moyen d’atténuer les pouvoirs de l’Assemblée Nationale. Les sénateurs, issus du monde rural dans leur majorité et représentant surtout les zones campagnardes, étaient jugés plus conservateur que les Députés.

Mais en 1962, le conflit éclate entre le Président de cette chambre et le Général de Gaulle. Le 12 septembre, le Général de Gaulle avait annoncé en conseil des Ministres, son intention de procéder à un référendum. La Nation était invitée à modifier la Constitution pour que, désormais, l’élection du Président de la République ait lieu au suffrage universel direct;

Le 29 septembre, le Président du Sénat, Gaston Monnerville annonce qu’il voterait non et saisirait le Conseil Constitutionnel, jugean que le Général violait la Constitution.

Il ajoutait : “Laissez-moi vous dire que la motion de censure m’apparaît comme la réplique directe, légale, constitutionnelle, à ce que j’appelle une forfaiture. « . » Forfaiture « , le mot était lancé. Monnerville visait expressément le Premier ministre, Georges Pompidou, l’accusant de couvrir, par son silence, la fiction selon laquelle il aurait, Premier ministre, proposé lui-même le référendum Mais le mot de  » forfaiture  » fit sensation. Des journalistes estimèrent que l’accusation visait le Général lui-même. L’opinion suivant les chroniqueurs, crut (et croit toujours) que le mot de forfaiture visait le Général de Gaulle.  .

Gaston Monnerville sera triomphalement réélu au fauteuil présidentiel de la Haute Assemblée, mais sans les voix de l’UDR. Considérant qu’une telle réélection valait approbation sans réserve, Gaston Monnerville renouvelle ses attaques contre le référendum mais le Général remportera le référendum, avec 62 % des suffrages, et le Conseil Constitutionnel, saisi par Gaston Monnerville, se déclara incompétent.

Les rapports entre le chef de l’Etat, le Gouvernement et le Président du Sénat furent de plus en plus tendus. Le 2 octobre 1965, Gaston Monnerville fut réélu au premier tour, mais avec une voix seulement de majorité. Au cours de la session extraordinaire de septembre 1968, Monnerville annonça à ses collègues qu’il ne briguera plus la présidence de la Haute assemblée, lors du renouvellement du Bureau, le 2 octobre 1968. Vingt-deux ans de présidence prenaient ainsi fin

La Réforme du Sénat et la Régionalisation

Le Général de Gaulle décide de soumettre à référendum un double projet de réforme des régions et du Sénat. Outre les collectivités territoriales – qui éliraient cent soixante-treize sénateurs – le Sénat représenterait désormais l’activité sociale, économique et culturelle du pays, avec cent quarante-six sénateurs désignés. Mais surtout le projet aurait ôté toute attribution législative et tout droit de contrôle du gouvernement à la Haute Assemblée et aurait fait d’elle une simple Chambre consultative? De plus, il aurait retiré au président du Sénat, au profit du Premier ministre, l’intérim de la présidence de la République.

Le 9 septembre 1968 : conférence de presse. Annonce d’un référendum sur la réforme du Sénat et la régionalisation

Le 2 février 1969 : discours de Quimper et annonce d’un référendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat

Le 11 mars 1969 : allocution du président en ouverture de la campagne du référendum. La participation, favorisée par les deux réformes, est proposée comme remède au « malaise des âmes »

Le 10 avril 1969 : entretien télévisé : « De la réponse que fera le pays va dépendre évidemment soit la continuation de mon mandat, soit aussitôt mon départ »

Le 25 avril 1969 : dernière allocution avant le référendum : « Si je suis désavoué par une majorité d’entre vous, je cesserai aussitôt d’exercer mes fonctions… Si au contraire je reçois la preuve de votre confiance, je poursuivrai mon mandat jusqu’à son terme régulier en 1972 »

Le 27 avril 1969 : référendum : OUI : 47,58% ; NON : 52,52%

Le 28 avril1969 : « Je cesse d’exercer mes fonctions de président de la République. Cette décision prend effet aujourd’hui à midi »

Mai-juin 1969 : retraite en Irlande

 Dans l’île, à la différence du vote dans l’Hexagone, les Corses, au-delà de leur attachement à l’homme de la Libération, étant intéressés par la réforme des régions, le oui avait été largement majoritaire. Et l’on peut imaginer que le destin de l’île aurait peut-être basculé, si la réforme avait abouti à l’époque.

Le poids des Conseil Généraux en Corse

Le clanisme dans l’île s’est toujours appuyé sur cette institution et les mairies pour se pérenniser. L’élection de maires permet à certains élus d’accéder au Conseil général (et ensuite de peser sur l’élection des sénateurs). Les Conseils généraux bénéficient de compétences en matière d’aide sociale, d’infrastructures routières et autres. C’est ainsi que réciproquement les conseillers généraux et les maires interviennent dans les diverses élections. C’est par cet échange de bons procédés que le clientélisme prend ses racines dans la société corse grâce à la distribution d’aides et de subventions en tous genres, voire d’emplois (sapeurs ou autres aides en tous genres). Ce n’est pas un hasard si la droite au sud et l’Association des maires de Corse du Sud, à droite elle aussi, est opposée à la disparition des Conseils généraux. Au Nord, c’est l’inverse, « la gauche » étant majoritaire. A noter cependant que si « la gauche » du Nord n’est pas opposée à certaines évolutions, la droite au Sud y est par contre très hostile.

Elections sénatoriales… Le clientélisme décomplexé

Il aurait donc fallu dénoncer cette élection pour une assemblée qui coute cher aux contribuables (et l’on nous parle sans arrêt d’économies nécessaires) et ne sert à rien sinon à donner une belle rente à des notables qui ayant déjà bien assis leur carrière dans d’autres assemblées, organismes et conseils d’administration divers, sont à l’abri du besoin.

En Corse, après de bons services rendus à leurs clientèles des Conseils généraux, deux notables, « un à droite, l’autre à gauche »,  auront une belle fin de carrière. En Corse du sud, le gag, c’est que Nicolas Alfonsi, gauche, fait voter à droite (mais il est d’accord avec la droite dans son opposition aux éventuelles évolutions pour la « région » de Corse). Nombre de grands électeurs (même au Nord, à un degré moindre du fait de la présence d’un candidat de Femu a Corsica) mais surtout au Sud, y compris malheureusement nationalistes, (soutenant lors de cette élection un homme qui a réitéré son opposition aux évolutions votées par l’Assemblée de Corse, certains étant même présents lors de sa proclamation !) ont donné les pleins pouvoirs à une droite (au pouvoir dans toutes les grandes cités du sud, au Conseil Général, disposant des deux députés et désormais d’un sénateur)  acceptant de se laisser digérer par un système claniste qu’ils sont censés combattre, votant non pas pour les idées des uns et des autres mais par peur de ne plus avoir accès aux réseaux d’aides et de subventions du Conseil général (un bout de route, un emploi de sapeur, un lampadaire, un petit service, une petite intervention sur un dossier…).

TDR - pierre-poggioliTriste réalité qui fait qu’après 40 ans de lutte, les mêmes réflexes et pratiques clanistes ou néo-clanistes sont toujours bien en place. C’est d’autant plus dramatique que les élus n’ont fait aucun mystère de leur façon de procéder en vue de cette élection, multipliant les pratiques clientélistes au vu et au su de tous, et ce avec les deniers des contribuables.

PIERRE POGGIOLI

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