#Corse #FLNC – Interview de Pierre Poggioli dans le mensuel #Corsica by @CorsicaMagazine

Ce mois d’août 2014, dans le Mensuel Corsica, un dossier sur le dépôt des armes du FLNC a été diffusé, un retour, selon la rédaction, sur 40 années de lutte armée: témoignages, analyses et confidences…

pierrot poggioliL’interwiew de Pierre Poggioli a été diffusé sur son blog d’information, Nutizie Nustrale, la voici :

Que pensez-vous de l’annonce du FLNC d’interrompre son action clandestine ?

-Pierrot Poggioli : Des débats sur cette question existaient depuis les années 90 au moment des affrontements entre nationalistes.  Après la réconciliation, ces débats s’étaient poursuivis dans une autre atmosphère plus sereine.  Mais le  débat était toujours là. Le problème après cette annonce, c’est : Pourquoi aujourd’hui ? Et dans quelles conditions ? Ce que retiennent les gens, c’est que la situation de la Corse ne s’est pas améliorée. La spéculation est toujours effrénée avec un développement toujours plus important d’une emprise mafieuse sur la Corse. D’ailleurs le problème de la violence, aujourd’hui, c’est  plutôt celui posé par la violence mafieuse,  la violence politique étant devenue beaucoup moins importante que dans les années 80-90.

Mais, surtout, ce qui interpelle les gens, c’est qu’elle intervient après ce qu’a dit le Ministre de l’Intérieur, Bernard Caseneuve qui a rejeté tout ce qu’a voté l’Assemblée de Corse. Et c’est ce moment-là qu’a choisi le Front pour arrêter. Cela peut porter à s’interroger. Au niveau du moment choisi, c’était peut-être une erreur. En effet, on n’était pas à un ou deux mois près, cela semble pour le moins un mauvais timing.

Par ailleurs la décision du FLNC peut poser des problèmes au niveau interne. Quelle sera les réactions des militants de base qui pensent que les avancées politiques ne sont pas assez conséquentes ? Et quid des restes du FLNC du 22 Octobre. ET puis, on n’est pas à l’abri de provocations issues du mouvement nationaliste, ou non. Dans l’île, quelques individus, en Corse, peuvent créer une situation grave. Exemple : l’affaire Erignac.

Maintenant, il est évident que la violence politique clandestine arrivait en fin de cycle. Il fallait effectivement se remettre en question et se redéfinir, surtout après l’arrêt des armes de l’IRA en Irlande et de l’ETA au Pays basque

-Finalement, à quoi a servi le FLNC ?

-Il a simplement bloqué un certain nombre de mécanismes. Celui de la spéculation immobilière liée à la politique du tout-tourisme sur lequel est aujourd’hui bâtie toute l’économie de l’île, celui de la mondialisation dans ce qu’elle a de négatif… Pendant un certain temps, la clandestinité a même bloqué le développement du banditisme. Mais…que le bloquer. Et, aujourd’hui les problèmes ressurgissent et se multiplient. Le banditisme, par exemple, qui revient maintenant en force avec une puissance autrement plus inquiétante que dans les années 80-90…

Quels ont été les effets négatifs du FLNC ?

– La violence au-delà d’une approche morale est toujours porteuse de dérives et de comportements destructeurs, y compris pour ceux qui la pratiquent, et dans ce mouvement l’absence de formation politique s’est révélée dramatique. Elle s’est accentuée au fil des années de lutte, les recrutements devenant de moins en moins « politiques », l’activisme armé devenant la motivation essentielle au-delà de tout idéalisme politique comme aux débuts de la revendication dans les années 70… Le FLNC des années 2000, n’était plus celui des années 70-80 et celui des années 90 porte une grande responsabilité dans les affrontements, les dérives et dans l’affaiblissement de la revendication nationale corse.

-Mais au-delà de ses erreurs, de ses fautes politiques, voire de ses errements, Si le FLNC n’avait pas existé, la Corse serait déjà une entité maffieuse. L’argent qui a envahi l’île durant les années 90-2000 aurait accentué plus vite les dégâts sur la société corse, sur son environnement et son patrimoine, faisant exploser ses valeurs traditionnelles… la spéculation se serait multipliée plus rapidement et l’on n’aurait plus parlé d’une certaine conception du peuple corse, celui-ci faisant alors partie du domaine du passé. Le FLNC a effectivement bloqué un certain nombre de mécanismes pendant quelques années au prix de sacrifices, mais aussi d’erreurs politiques qui ont amené à des affrontements.  La violence n’a jamais des conséquences totalement positives. Finalement en bout de course, par rapport aux sacrifices, aux emprisonnements, à la mort de militants, la violence du FLNC n’aura réussi qu’à retarder certains mécanismes, mais sans réussir à les annihiler et à les faire disparaître.

Mais n’avez-vous pas, à votre manière, par l’exemple que vous avez donné, relancé la violence en Corse ?

-Non, car si le FLNC n’avait pas existé, les jeunes dont on perçoit aujourd’hui l’attirance morbide envers les comportements mafieux, la drogue et l’argent facile, auraient encore plus vite perdu tout repère et auraient constitué une proie facile pour les réseaux mafieux liés à la spéculation immobilière et autres profits illicites, notamment liés à la drogue et au monde des plaisirs et de la nuit…

Si les clandestins ont durant un moment réussi à bloquer le développement des groupes mafieux les jeunes, eux, aujourd’hui, en perte d’idéal politique, au vu des évolutions inquiétantes que connaît aujourd’hui la société corse, risquent d’être de plus en plus attirés par les activités mafieuses violentes, si une nouvelle alternative politique ne se met pas rapidement en place dans l’île

Quelles sont les autres « erreurs » du FLNC ?

-Le FLNC aurait sans doute dû, dans certaines périodes, être plus « politique ». Et entrevoir plus vite les limites de l’action armée. On s’est souvent fourvoyés dans des stratégies trop militaristes. Et le FLNC n’a pas assez donné leur chance aux organisations publiques que nous avions mises en place. Le FLNC au lieu de laisser une totale liberté au champ public a toujours pensé qu’il fallait contrôler les organisations publiques, sous couvert de « direction politique »

-Les « attentats-appartements » qui visaient des continentaux, ce n’ était pas une dérive ?

– Le Front voulait dénoncer la colonisation de peuplement. À l’époque ce problème n’était pas particulièrement sensible, mais aujourd’hui tout le monde le subit. Les corses sont de plus en plus minoritaires sur leur terre. Et la population qui s’installe depuis les années 2000 est de plus en plus nombreuse, ce qui risque à terme de créer de graves problèmes, même si nos politiques et les autorités camouflent cette réalité ou la nient.

-Et les campagnes anti-drogue qui ont commencé par l’élimination de petits dealers présumés ?

-D’abord cela n’a pas été assumé par tout le mouvement, plutôt par des queues de comètes après les divisions du début des années 90. Pour les actions du FLNC uni, cela a peut-être été une erreur politique parce que leur campagne contre la drogue a été mal expliquée, et le FLNC a commis l’erreur de croire que c’était simple à régler et qu’il suffisait d’employer des méthodes expéditives…mais, dans la vision du Front et de ses militants, c’était une campagne uniquement destinée à dénoncer la drogue.  Cette erreur par rapport à certaines éliminations a d’ailleurs fait l’objet d’une autocritique lors d’une conférence de presse durant le années 80.

Et comment s’explique la guerre interne au FLNC ?

-Il y avait des divergences politiques en ce qui concerne l’orientation de la lutte, et, malheureusement ces divergences, avec la complicité plus ou moins tacite de l’Etat, sur fond de « pseudo-négociations » plus ou moins officielles avec les unes ou les autres des  factions nationalistes, se sont transformées en guerre intestine avec les dégâts que l’on connaît.

Mais toutes ces dérives-là n’étaient pas incluses dans la militarisation de la lutte ?

-Oui. Mais cela, on ne s’en rend compte qu’après. A partir du moment où on fait partie d’un tel système, comme celui de l’organisation interne du FLNC  les individus passent au second plan. Ce qui explique que des gens ayant critiqué le FLNC dans les années 80, lorsqu’ils sont arrivés à la tête du FLNC dans les années 90, ils ont fait pire.

En Irlande, la situation n’a pas évolué de la même façon parce que l’armée clandestine a été mise en place par la première assemblée constituante de 1917. ET c’est le Sinn Féin, parti politique crée en 1905, majoritaire au sein de cette assemblée constituante parallèlle, qui a créé l’IRA, et non le contraire. Les clandestins étaient aux ordres des politiques. Au pays basque, comme en Corse c’était l’inverse, ce sont les organisations clandestines qui ont crée les organisations publiques et ce sont elles qui les dirigeaient…

En ce qui concerne l’arrêt de la clandestinité en Corse, en dehors des arguments politiques qui ont été développés par le FLNC, la répression policière n’a-t-elle pas jouée un grand rôle ?

-Oui. C’est sûr, comme au Pays basque,  avec les nouveaux moyens technologiques : l’ADN, les caméras, les micros etc., Les législations des pays concernés ont été durcies en matière de lutte contre la violence, de même qu’en Europe (Mandat d’Arrêt Européen) Les gens sont beaucoup plus surveillés que dans les années 80. À l’époque les policiers pour savoir si un suspect avait participé à une nuit bleue, il mettait la main sur le capot de sa voiture pour savoir s’il était chaud. Et les surveillances se faisaient par des camions qui étaient largement repérables. Aujourd’hui ils mettent des caméras à l’entrée d’un portail ou d’un jardin et des micros dans les voitures et les appartements. Sans parler de la téléphonie. Tout cela a pesé très lourd. Et, comme au pays basque, la répression a affaibli considérablement les organisations clandestines. Et le FLNC d’aujourd’hui à terme ne pouvait qu’en tenir compte.

-Croyez -vous que l’arrêt de la clandestinité va modérer la répression à l’égard des prisonniers ou des personnes recherchées ?

-Je le souhaite, mais au Pays basque cela n’est guère le cas. C’est sûr il va y avoir un problème, la Corse étant un peu orpheline après l’arrêt de la clandestinité. Malgré toutes ses erreurs politiques le FLNC était tout de même un référent au sein de notre société. Il s’agit de savoir comment cet activisme depuis des décennies peut se répercuter désormais dans une société qui baigne de plus en plus dans l’argent. Et, là, il existe un danger de recrutement par les groupes maffieux. Cette violence qui était quand même canalisée par le FLNC ne risque-t-elle pas de se diffuser dans l’ensemble du corps social ?

-Cela vous rend-t-il optimiste ?

-Oui et non. Tout dépendra de la manière dont seront conduits les débats au sein du mouvement nationaliste. Tout cela au moment où l’on est confronté à un Etat qui dont le gouvernement a de moins en moins de légitimité et qui est discrédité comme l’ensemble des grandes forces politiques françaises. Toutes choses qui peuvent pousser la jeunesse vers des dérives, y compris idéologiques, dangereuses…

-Pensez- vous que le basculement des clandestins  vers une lutte légale « sur le terrain » (ce que  propose leur communiqué) peut se faire facilement ?

-Je pense que ce sera dur. Avant la ligne de démarcation entre les radicaux et les modérés, c’était la clandestinité. Aujourd’hui, cette ligne n’existe plus. Il faut maintenant savoir comment vont s’organiser les alliances futures entre ces deux grandes familles nationalistes. On a vu que lors des élections à Bastia cela ne s’est pas bien passé et je pense que, dans cette affaire, le soutien à la clandestinité n’a été qu’un prétexte. Maintenant il va falloir envisager l’avenir de la Corse en termes de projet de société, donc de social et d’économie. Va-t-on se situer dans le camp libéral ou avoir des propositions plus de gauche. Cela va poser des problèmes à l’intérieur du mouvement.

Par ailleurs, pour obtenir le respect des décisions prises par l’Assemblée, il va falloir organiser des grandes manifestations populaires. Et si l’Etat refuse de prendre en compte nos revendications, qu’est- ce que l’on fait ? Même chose en ce qui concerne nos avancées électorales. Que faire si l’Etat n’en tient pas compte ? Et ne fait aucun geste en ce qui concerne les prisonniers politiques. Ce sont toutes ces questions qui vont se poser à la rentrée.

NB : A noter que suite à une erreur du magazine, la dernière question a été « transférée » à la fin de l’interview du chanteur auteur compositeur Pierre Gambini

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