A quelques semaines de la conclusion des Assises du foncier et du logement, les travaux en ateliers comme le séminaire du 2 avril à Corté ont montré l’urgente nécessité d’engager une politique nouvelle et ont permis de dégager des pistes d’actions, qui permettraient d’enrayer la spéculation foncière et immobilière et ainsi garantir à chacun, le droit de se loger décemment. La maitrise du foncier doit être avant tout au service d’un projet de développement économique et social. Le constat accablant qui peut être dressé au regard de la situation découle des choix déclinés ces 25 dernières années à travers le modèle de développement du tout tourisme puis du tourisme de luxe. Les données statistiques, alarmantes s’agissant de la pauvreté et de la précarité, impliquent par conséquent de démonter les mécanismes qui sont à l’origine de la double fracture sociale et territoriale.
Rien n’est plus urgent, en effet, que s’attaquer véritablement aux inégalités sociales qui ont été creusées notamment par la zone franche et le détournement des réfactions de TVA destinées initialement aux consommateurs. En 20 ans le nombre de contributeurs à l’ISF a été multiplié par cinq. L’écart de revenu entre les ménages les plus pauvres et les plus riches a atteint les 7,5 points. Ainsi, la faiblesse des revenus des ménages, les salaires sont les plus bas du pays, rend 80 % d’entre eux éligibles à un logement social. Pour autant, la pénurie de logements sociaux laisse 8 000 demandes insatisfaites en aggravant le sentiment de frustration et d’injustice alors que par ailleurs certaines communes recensent 50 % de résidences inoccupées à l’année parce que destinées à la location estivale.
De même, on ne peut se satisfaire de voir les dotations de l’Etat repartir sans être consommées et des bailleurs sociaux privés continuer à percevoir des aides au logement et à la rénovation, bénéficier de garanties d’emprunt, sans se montrer à la hauteur de leurs engagements contractuels. La question on le voit n’est pas de résumer une nouvelle politique de l’habitat à la seule problématique du logement social mais de faire en sorte que la vie de ceux qui en sont écartés change. En ces termes, la priorité que nous donnons aux plus démunis et aux couches moyennes n’est que justice sachant que les riches ne sont pas confrontés à l’impossibilité de se loger, de travailler, de se soigner, de s’habiller ou de se nourrir.
Rendre du pouvoir d’achat, permettre l’accès au logement, faire reculer le chômage et la précarité sont les axes autour desquels l’action de la CTC, dans les limites de ses compétences, doit s’articuler en relation avec celle de l’Etat ce qui requière à tout le moins son engagement plutôt que le contraire. Ce choix politique implique de maîtriser le foncier et impose de travailler également de manière concertée et cohérente avec toutes les collectivités et d’user positivement du pouvoir d’adaptation réglementaire et législatif pour que droit et réglementation correspondent aux spécificités de notre territoire et permettent de répondre aux exigences de justice sociale de la population.
Par conséquent il était important que la CTC, comme nous le demandions depuis des années, augmente ses engagements financiers. Cette volonté de la nouvelle majorité anticipe d’ores et déjà sur la prise en compte des objectifs qui seront fixés au terme des Assises. Pour ce qui nous concerne, ces moyens doivent être mobilisés en priorité pour la construction de logements sociaux en faveur des ménages modestes, pour l’accession à la propriété en faveur des jeunes, pour l’acquisition et la maitrise publique du foncier en fonction des besoins identifiés.
De son côté, l’observatoire de la cherté de la vie doit percer le mystère qui fait que les prix en Corse sont plus élevés que sur le continent alors que les réfactions de TVA et le franco de port sont censés empêcher les distorsions plus ou moins importantes selon les produits et la période de l’année. Il devra alors proposer des mesures pour mettre fin à ce scandale. Quant aux salaires anormalement bas, cela est dû à la politique patronale et à la structure de l’emploi local en l’absence d’un véritable secteur industriel qui fait par ailleurs que la Corse importe 10 fois qu’elle n’exporte. Cela pose avec force l’exigence de contreparties sociales et salariales dans l’attribution des aides aux entreprises.
Aussi, vouloir isoler la problématique de la spéculation foncière et immobilière de la question sociale, prise dans toutes ses dimensions, c’est s’exposer en définitive à ne pas adopter une solution durable pour en sortir alors que dans le même temps la dérive affairiste et mafieuse prospère sur ce terrain. Il ne s’agit pas de noyer le problème mais assurément de se donner les moyens les plus efficaces d’agir à partir des principes républicains, de solidarité, de transparence et de démocratie, pour réduire la pression spéculative. Par exemple il est inconcevable que la réfaction de TVA de 11 points sur le coût des matières de construction ne se retrouve pas sur le prix du m² construit qui peut atteindre les 5 ou 6000 €.
De la même façon la création de l’EPF doit permettre à la puissance publique de desserrer la contrainte du prix du foncier pour en garantir l’usage équilibré entre l’économie, l’urbanisation, l’agriculture et la protection des espaces naturels. Sur ces deux derniers points l’EPF pourra conventionner avec la SAFER et travailler en étroite relation avec le Conservatoire du Littoral pour mener les actions cohérentes et efficientes nécessaires. Cet outil de préemption au service des collectivités locales doit leur permettre d’aménager leur territoire. En même temps, une agence de l’urbanisme pourrait accompagner efficacement les collectivités locales dans l’élaboration de leurs documents d’urbanisme. Comme le montre, avec une certaine efficacité, l’ANIL et l’ANAH, cet EPF doit pouvoir :
– Intégrer l’éco-habitat et l’éco-industrie des filières spécifiques ;
– contrôler le marché afin que les prix ne dépassent pas comparativement les loyers d’un secteur donné, selon un taux de référence, afin de « détendre le marché » ;
– exercer un encadrement des prix à la première location et relocation afin d’agir sur les évolutions ultérieures des loyers, et notamment dans le « logement saisonnier » ;
– initier ou prolonger son action par la mise en place de structures associatives de bailleurs et de locataires, sous contrôle des collectivités et du préfet, avec agrément de saisine du justiciable en cas d’excès ou d’abus portant sur le loyer de base et les charges ;
– veiller au respect des prix et des normes d’habitabilité, sans oublier l’approvisionnement énergétique, et ce notamment pour les quartiers à haute densité démographique ;
– exiger l’interdiction des expulsions, dans tous les cas et plus particulièrement lorsque le bailleur a obtenu de l’aide publique en fonds ou en garantie de fonds ;
– mettre en place par zone, une banque de données qui recenserait les prix, du bâti et du non bâti capables d’intéresser les locataires, les bailleurs et les entreprises pour s’y installer et pouvant également servir à une sélectivité fiscale.
Ces orientations de cohésion territoriale et sociale s’inscrivent dans les propositions du 5ème rapport de la politique de cohésion communautaire qui préconisent notamment « de mettre en place un programme urbain ambitieux, définissant plus clairement les ressources financières disponibles et conférant aux élus locaux un rôle plus important dans la conception et l’application des stratégies de développement urbain ».
Enfin le PADDUC porteur d’une nouvelle politique donnerait la cohérence nécessaire en affichant l’ambition de l’équilibre territorial et de l’excellence environnementale. A ce moment là, sans remettre en cause le principe de libre administration des collectivités locales, la stricte application de la loi littoral, une cartographie au 1/25 000 et l’atlas du littoral, déjà existant, trouveraient leur pleine utilité. Dans cet esprit reconstituer les titres de propriété, pour sortir les biens de l’indivision, non pas sur le littoral où ça arrive rarement mais dans les villages dépeuplés, contribuerait à ce que le patrimoine échappe à l’abandon et la ruine. C’est la responsabilité du GIRTEC.
Pour autant la désertification est avant tout le produit d’une politique de déménagement du territoire rural avec toujours moins de services publics pour la population et l’agonie organisée de l’agriculture familiale et de montagne. Aujourd’hui près de 70 % de la population vit sur le grand Bastia et le grand Ajaccio avec des densités démographiques de 300 habitants au Km² contre 1 habitant pour 28 Km² dans certaines zones rurales. Cette situation souligne la nécessité d’une amélioration sensible des voies de communication.
L’évaluation des politiques, comme des outils existants, est impérative pour éviter de se disperser et en définitive innover par exemple en mobilisant le produit des droits de successions sur les gros patrimoines aujourd’hui exonérés en totalité du fait des arrêtés Miot. Cette ressource nouvelle reversée à la Corse pourrait alimenter un fonds destiné à la construction de logements sociaux. Ce fonds serait également abondé par une taxe prélevée sur les promotions immobilières qui tirent avantage de la réfaction de 11 points de TVA sans la répercuter sur le coût de la construction. En ce sens il faut stopper la loi Scellier qui favorise l’investissement spéculatif au détriment de l’accession sociale à la propriété des ménages populaires.
Ces mesures fiscales, applicables immédiatement soulignent la nécessité de lever la confusion entretenue entre résident fiscal, statut de résident ou citoyenneté corse. Ce n’est pas une approche idéologique, d’une part parce que l’argument est réversible, d’autre part parce qu’on ne peut exiger d’un nouveau venu en Corse de justifier d’un titre de résidence ou d’une citoyenneté, subordonnées à un nombre d’années de présence, pour pouvoir accéder à la propriété et attendre qu’un Corse s’installant à Marseille, Lyon ou Paris, où la pression spéculative n’est pas moins forte, ne soit pas soumis aux mêmes exigences. Après 25 années passées sur le continent, ce même Corse devra-t-il attendre pour acquérir un bien où vivre sa retraite comme bien d’autres Corses de la diaspora le souhaitent ?
Pour en revenir au résident fiscal, il convient de définir dans quelle mesure il facilitera l’accès des plus modestes au foncier et au logement, si l’objectif est de maintenir les privilèges de gros propriétaires immobilier et foncier cela ne présente aucun intérêt sinon de favoriser leurs visées spéculatives. La prise en compte de la spécificité ne peut se comprendre au détriment de la justice fiscale elle-même indissociable de la justice sociale.
Aucun statut, y compris celui de citoyen corse, hors de ce cadre politique, n’empêchera la recherche du profit immédiat, des investissements spéculatifs parfois même douteux. L’origine du détenteur de biens ou de capitaux n’y change rien. Comme le souligne le président de la Chambre de Haute Corse des agents immobiliers dans une interview au Corse Matin 12 avril ce sont « les règles du marché de l’immobilier » qui prévalent. Dans ces conditions il ne suffit pas de s’émouvoir quand la propriété du foncier et de l’immobilier échappe aux Corses qui la détiennent mais d’innover avec des mesures qui soumettent les groupes du BTP insulaires, grands bénéficiaires ces dernières années de la commande publique, à une juste redistribution de la richesse produite à partir de l’investissement public au lieu d’en tirer avantage avec la loi Scellier. Une fiscalité antispeculative et une socioconditionnalité des appels d’offres, soumis très souvent ici à l’abus de positions dominantes, permettrait ainsi de réduire l’injustice fiscale et sociale.
S’agissant de la propriété en Corse outre l’urgente nécessité d’en connaître le profil à travers la matrice cadastrale, il faut également sortir de la confusion concernant notamment la maîtrise du foncier quand la distinction n’est pas faite entre usage et propriété comme entre propriété publique et propriété privée. Rien n’oblige un propriétaire, fut-il corse, à signer un bail avec un agriculteur dans le cas contraire le propriétaire peut légitimement se considérer exproprié de fait. En revanche l’EPF et la SAFER peuvent, à travers les dispositions du code rural et du code l’urbanisme, veiller à ce que les terres à forte potentialité agricole soient réservées à cette fin. A l’évidence l’action des municipalités n’est pas neutre non plus l’exemple de Sari de Solenzara est frappant de ce point de vue parce que la décision de définir 292 ha en zone AU et 117 ha en zone U sur un territoire proche ou très proche du bord de mer change forcément la valeur et la destination des terres.
La spéculation foncière s’est nourrie de la promesse d’une « désanctuarisation » avec des objectifs tendant à faire de la Corse la première destination golfique et plaisancière européenne. Incontestablement il faut rompre avec cette vision du développement de la Corse qui s’accompagne de la logique de la libre concurrence et de son corollaire opaque le low cost afin de promouvoir une politique nouvelle et harmonieuse de développement et d’aménagement du territoire dans laquelle l’emploi stable, le pouvoir d’achat et le logement occuperaient une place centrale afin de garantir le droit des personnes, quelle que soient leurs origines, et la dignité humaine.
Michel STEFANI
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