(Unità Naziunale Publié le 20 mai à 14h12) Le Président de l’Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni, accompagné de son Directeur de Cabinet, Sébastien Quenot, ainsi que Carlu Pieri et Sauveur Grisoni, de la délégation de Corsica Libera, étaient présent ce samedi au congrès international de Sortu qui a réunis plus de 4000 personnes.
Étaient aussi présent Arnaldo Otegi (EH Bildu), Michelle O ‘Neill (Vice Présidente du Sinn Fein Irlandais), mais aussi des représentants de l’Uruguay, du Salvador, du Nicaragua, du Sahara, du Kurdistan, de la Palestine et de la Colombie. Le négociateur des FARC à La Havane, Luis Alberto Alban, a également participé à ce congrès, ainsi que Yamil Kasem du Conseil Palestinien.
Voici le discours prononcé à Bilbao par le Président de l’Assemblée de #Corse, Jean-Guy Talamoni
Cari amichi, Chers amis,
Depuis plusieurs décennies, les peuples basque et corse entretiennent des relations fraternelles, partagent les mêmes espoirs et la même vision de l’avenir. Un avenir de paix, de dignité, de justice, de construction en commun.
Depuis plusieurs décennies, nous n’avons cessé de caresser cette idée du futur, tandis que notre présent était fait d’effort, de luttes et de larmes.
Je me rappelle les nombreux rassemblements auxquels j’ai participé depuis les années 1980 à Donostia, à Guernica, à Baiona ou ici-même à Bilbo.
Ces souvenirs composent notre histoire commune, l’histoire des peuples qui n’ont jamais acquiescé à l’idée de leur propre disparition, l’histoire des communautés nationales réelles qui n’ont pas accepté de s’effacer pour laisser la place à des constructions artificielles, celles des Etats-nations. Ces Etats-nations déshonorés par leur passé colonial, par leurs idéologies mortifères et leur soumission aux forces de l’argent.
Catalans, Irlandais, Basques, Corses, nous sommes ceux qui ont dit non. Nous sommes ceux qui n’ont pas hésité à engager la lutte du pot de terre contre le pot de fer.
Ce combat inégal, nous l’avons mené.
Nous y avons laissé une part de nous-mêmes mais nous l’avons livré.
Nous avons enterré des amis mais nous n’avons pas reculé.
La détermination et l’opiniâtreté tenait lieu de force là où la force manquait.
Notre horizon demeurait le seul objectif qui valait : préserver le morceau de terre que nous avions reçu en héritage. Comme si nous avions gardé sans cesse à l’esprit les mots du poète Gabriel Aresti, enfant de Bilbo :
« Je défendrai la maison de mon père, ils m’enlèveront les armes et avec mes mains je défendrai la maison de mon père ; ils me couperont les mains et avec les bras je défendrai la maison de mon père ; ils me laisseront sans bras, sans poitrine, et avec l’âme je défendrai la maison de mon père. »
Nous sommes ceux qui ont défendu la maison paternelle.
Et nous sommes ceux qui, contre toute attente, ont gagné.
La question qui se pose à présent : « Quelles perspectives pour nos peuples ? »
La situation corse
En Corse comme au Pays Basque, la paix s’est installée. Les armes ont cédé à la toge. En juin 2014, le Front de Libération Nationale de la Corse a annoncé sa sortie de la clandestinité. Quelque temps plus tard, en décembre 2015, les deux courants du nationalisme, unis, remportaient les élections territoriales et accédaient aux responsabilités.
Depuis, notre soutien populaire s’est accru et lors des élections de décembre dernier, les Corses nous ont donné une majorité absolue de 57%. Nous dirigeons désormais les institutions de l’île à travers la collectivité unique née de la fusion des trois entités qui existaient jusqu’alors : la Collectivité Territoriale de Corse et les deux Conseils départementaux.
Toutefois, les relations avec les nouveaux responsables français ont été peu fructueuses. Loin de prendre en compte la volonté exprimée par les Corses à travers le suffrage universel, Paris refuse avec obstination de mettre en œuvre les avancées culturelles, économiques, institutionnelles et politiques dont la Corse a besoin.
Par leur vote de décembre dernier, les Corses ont exigé une mesure d’officialisation de leur langue nationale afin de pouvoir lui rendre sa place naturelle sur l’île, à savoir la première.
Par leur vote de décembre dernier les Corses ont exigé les moyens juridiques nécessaires pour sauvegarder leur patrimoine immobilier, chaque jour menacé par les opérations spéculatives.
Par leur vote de décembre dernier, les Corses ont exigé un nouveau statut institutionnel afin que leurs élus soient en mesure de gouverner convenablement les affaires publiques du pays.
Enfin, par leur vote de décembre dernier, les Corses ont exigé une loi d’amnistie pour les prisonniers et les recherchés, et je sais combien cette question est sensible sur la terre d’Euskadi.
Pour l’heure, dans tous ces domaines, les discussions engagées avec Paris se sont soldées par un échec.
Pourtant, le message délivré par les urnes était on ne peut plus clair : en votant pour une liste entièrement composée de nationalistes corses et sauf à imaginer qu’ils ignorent le sens des mots, les électeurs ont clairement affirmé que la Corse n’était pas une circonscription administrative française mais bien une nation. Pour tout dirigeant politique digne de ce nom, un tel résultat électoral constituerait un fait politique justifiant à l’évidence une redéfinition des rapports entre l’île et l’hexagone. Pas pour le gouvernement français qui continue imperturbablement à considérer le peuple corse comme une vague peuplade, au mieux comme la population de l’une de ses provinces. Ce déni de démocratie consternant, les Corses ne sauraient l’accepter, pas plus que les institutions de l’île que nous présidons désormais.
C’est la raison pour laquelle nous avons, depuis plusieurs mois, appelé les Corses à la mobilisation, afin de construire de nouveaux rapports de force susceptibles de conduire, demain, à la prise en compte du fait démocratique. Dès cet appel, les Corses ont répondu présent et ont montré en défilant massivement dans les rues d’Ajaccio qu’ils n’entendaient pas voir leur vote bafoué. Cette mobilisation est évidemment appelée à s’amplifier dans les temps à venir et je n’ai guère de doute sur la capacité des Corses à se faire entendre. D’autant que dans le même temps, nous avons entrepris une campagne d’internationalisation de la question corse et que nous ne cessons depuis, forts de la légitimité démocratique qui est la nôtre, d’appeler l’attention de la communauté internationale sur le sort réservé par la France, patrie autoproclamée des droits de l’homme, à un petit peuple placé jadis sous sa tutelle et qui n’entend pas y demeurer.
L’Europe
Face aux difficultés qu’ils connaissent depuis des décennies, en butte au mépris et à l’hostilité de Londres, de Madrid ou de Paris, nos peuples se sont tournés vers l’Europe. Je me souviens notamment avoir participé à Bruxelles il y a déjà une trentaine d’années à une délégation de responsables basques, irlandais et corses chargée de faire valoir nos intérêts collectifs et d’exposer nos situations respectives.
Dire que les différentes démarches tentées en ce sens ont été jusqu’ici décevantes relève de la simple constatation. Il nous est même arrivé d’être révoltés par l’indifférence des responsables européens. Pour s’en tenir aux événements les plus récents, comment accepter leur silence complice lorsque le 1er octobre dernier à Barcelone, la force brutale répondait à une démarche purement démocratique ?
Faut-il pour autant remettre en cause notre engagement européen ?
L’Europe dont nous avons rêvé n’est pas celle des technocrates bruxellois et des Etats constitués.
L’Europe dont nous avons rêvé n’est pas celle qui a oublié la culture pour se consacrer au seul marché et qui n’a de ce fait jamais pu faire naître le moindre sentiment patriotique.
L’Europe dont nous avons rêvé n’est pas celle au sein de laquelle, il y a peu, l’Allemagne a pu mettre à mal et humilier la Grèce.
L’Europe dont nous avons rêvé n’est pas cette Europe de la finance qui n’a jamais mis en œuvre les objectifs de justice sociale pourtant inscrits dans les traités.
Non, l’Union Européenne d’aujourd’hui n’est pas ce à quoi nous aspirons. Mais cette Europe-là, celle du marché et de la finance, cette Europe qui se mure dans un silence honteux lorsqu’on opprime un peuple, cette Europe-là est devant un terrible constat d’échec qui conduit ses responsables les plus clairvoyants à appeler de leurs vœux sa refondation.
Dans une telle perspective, les peuples que nous représentons auront un rôle à jouer. Mieux, ils incarnent l’Europe de demain. Bien sûr, les Catalans, les Ecossais, les Irlandais, les Basques et les Corses n’ont pas encore, à ce jour, dépassé les conflits qui les opposent aux Etats constitués. Mais l’histoire est en marche et demain, l’Europe sera l’alliance des vraies nations, celles qui n’ont jamais opprimé les autres pour s’agrandir, celles qui n’ont jamais colonisé personne, celles qui n’ont jamais réclamé que les droits qu’ils reconnaissent à tous les autres peuples de la terre.
Cette Europe nouvelle, fraternelle, cette Europe de demain, ce sont nos combats d’hier et d’aujourd’hui qui la préfigurent. Et notre solidarité présente en constitue déjà le ciment le plus pur et le plus précieux.
Voilà, cari cumpagni di lotta, chers compagnons de lutte, le message que je voulais vous apporter au nom de notre peuple. Et parce que, de l’irlandais Patrick Pearse jusqu’au Basque Gabriel Aresti que je citai il y a un instant, le poète montre inlassablement la voie de la liberté, je terminerai par quelques vers en langue corse que nous gardons au coeur depuis tant d’années :
Per a libertà di l’omu
Cù li populi fratelli
Contr’à u capitale ingordu
Chì li porta à i macelli
Liberendu a Nazione
Feremu a revoluzione.
Pour la liberté de l’homme
Avec les peuples frères
Contre le capital insatiable
Qui les mène à l’abbattoir
Nous libérerons la Nation
Nous ferons la Révolution.
Evviva i populi fratelli!
Evviva u Populu Bascu!
Evviva e nazione in lotta!