Pantaléon Alessandri et Antoine Battestini ont figuré parmi les premiers chefs du mouvement clandestin, en 1976. 38 ans plus tard et quelques jours après la décision du Front de déposer les armes ils ont accepté pour Corse-Matin de commenter cette actualité Au regard de l’histoire qu’ils nous racontent ils jugent cette décision inéluctable
«La violence ne va pas s’arrêter»
Pour rencontrer Pantaléon Alessandri, il faut désormais s’enfoncer au cœur de la Castagniccia la plus profonde. À Nucariu, plus précisément au hameau de Petricaghju où l’ancien chef du FLNC continue à travailler les essences les plus nobles au service du meuble corse traditionnel. Depuis qu’il a pris du recul avec ce militantisme qui a dévoré une bonne partie de son existence, l’homme se fait rare ailleurs. « Mais je ne refuse pas de témoigner. C’est important de le faire. »
L’un des membres fondateurs du mouvement clandestin ne pouvait rester insensible au dépôt des armes décidé la semaine dernière par ses « héritiers ». « Honnêtement, ma première réaction a été émotionnelle. En quelques secondes, j’ai revu 20 ans de ma vie, des moments forts, des visages, mais je me suis vite repris pour considérer les choses à la lumière du contexte actuel. Cette décision n’est pas surprenante, elle était attendue ».Pour éclairer son propos, Pantaléon Alessandri ne peut faire l’économie d’un retour en arrière. Pour lui, l’analyse la plus juste résulte davantage du regard sur l’histoire de la clandestinité. Plus que d’un rapprochement avec la donne politique. « Que représentait la lutte armée aujourd’hui ? Des gens qui tirent sur des murs ? À mon sens, ces actes-là relèvent davantage de la psychiatrie que de la politique. Il faut savoir ce que l’on veut : la propagande armée ou la lutte. Si on choisit la lutte, on ne peut faire les choses à moitié. » L’homme sait de quoi il parle. Ce combat, il l’a mené jusqu’au sacrifice.
Curieusement, l’autodissolution du FLNC intervient, presque jour pour jour, 30 ans après l’affaire de la prison d’Ajaccio. Ce jour-là, le 7 juin 1984, un commando de 3 militants du Front pénètre dans l’enceinte de la maison d’arrêt pour venger la mort de Guy Orsoni. Pantaléon Alessandri en fait partie. Il assume pleinement sa vision d’une lutte « coup-de-poing » qui peut prendre des formes diverses. « Une lutte faite d’actions peut-être moins fréquentes, mais quand elles sont menées, le discours politique est presque inutile après. »Condamné à 8 ans, comme Pierre Albertini et Bernard Pantalacci (1), Alessandri purgera 5 ans et trois mois de prison. Il fut également traduit devant la défunte cour de sûreté de l’État pour les attentats à l’explosif contre le relais du Pignu et le Fort-Lacroix à Bastia, en 1977. Il fut le militaire partisan d’une démarche de rupture, soucieux de former les hommes en armes pour un FLNC dont la radicalisation n’était à ses yeux que le fruit de la vision politique la plus claire. Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, qu’on le respecte ou qu’on le méprise, Pantaléon Alessandri ne défend que sa sincérité de militant politique. « Je n’étais animé que par un seul sentiment, celui de défendre ma terre et mon peuple. Mais il faut dire la vérité, les gens comme moi ne faisaient pas l’unanimité à l’intérieur même du mouvement. Nous étions des héros pour le peuple, des pestiférés pour d’autres. »
Amnistié en 1981 lorsque la gauche accède au pouvoir, le menuisier de Nucariu se souvient de ses années d’étudiant à Nice, le vrai berceau du FLNC. « Avec Jean-Michel Rossi, on parlait à l’époque de la nécessité de créer le FLN. Ce mouvement était à nos yeux devenu indispensable après la nuit de Bastia, en août 1975 (2). C’était une révolte qui n’avait rien de structuré. On ressentait le besoin d’encadrer ce mouvement populaire, d’être prêt si ça se reproduisait. »Indiscutablement, Alessandri est le soldat d’un temps que le documentaire de Gilles Perez Génération FLNC a baptisé « les années romantiques ». Malgré ses 20 ans de Front, il ne sera pas des « années de plomb ». Celles qui virent le FLNC se diviser en même temps que le mouvement politique public, se fracturer, jusqu’à la guerre fratricide des années 1990 qu’il n’a toujours pas digérée. « On a tué l’espoir avec toutes ces dérives qui ont fait que, pendant des années, le mouvement n’avait plus rien de politique. On a érigé en martyrs des gens qui n’avaient plus rien à voir avec la lutte, les tenants de ces dérives. »Considérant avec le recul cette époque sanglante, puis les années suivantes lors desquelles la multiplication des groupes clandestins a rendu illisible et incohérente la lutte armée, le cofondateur du Front revient sur ce cheminement qui a mené la clandestinité à l’annonce de sa propre disparition. Il avoue qu’il n’a pas voulu se « prendre la tête »avec les 14 pages du communiqué, mais au regard de ce cheminement, il y voit « une once de lucidité »,peut-être un calcul électoral, mais aussi et surtout une décision qui ne met pas un terme à la violence. « Il ne faut surtout pas tomber dans la naïveté. La baguette magique n’existe pas, la violence ne va pas s’arrêter. Nous risquons d’assister à des actions radicales individuelles, mais en même temps, la parole va être rendue au peuple ».Quant à ce que les nationalistes ont toujours appelé « la violence de l’État français », Pantaléon Alessandri considère qu’elle est toujours là, malgré les avancées. « Jamais cet État n’a pu résoudre les problèmes, ni par sa répression, ni par ses réformes. Mais aujourd’hui, il est confronté à une mutation inéluctable qui est en marche. Les régions qui s’imposent de plus en plus comme les territoires les plus pertinents, et l’Europe qui avance, annonciatrice de la fin de l’État nation tel qu’on l’a connu ». En Corse, il se félicite de voir que les idées pour lesquelles il s’est longtemps battu ont fait leur chemin. « Elles ont pénétré la société corse. Je pense que l’université, peut-être notre plus grande fierté, y est pour beaucoup. Quelques tenants de la nouvelle génération politique, plus ouverte, l’ont fréquenté : Gilles Simeoni, mais aussi Laurent Marcangeli, Jean-Martin Mondoloni… Ils constituent le contrepoids de ceux qui, aujourd’hui, ont une vision archaïque de la France qui, même sur le Continent, a vocation à disparaître. »
Le menuisier de Nucariu a désormais 60 ans. Son engagement politique est derrière lui. Il avait refait parler de lui dans les années quatre-vingt-dix, en montant en première ligne face aux dangers de la guerre qui sévissait dans son propre camp. Il avait également rejoint la Manca naziunale, mais il ne s’est jamais vraiment retrouvé dans le militantisme public. « Au sein d’un mouvement nationaliste aujourd’hui capable de voter à droite plus qu’à gauche, la sensibilité progressiste à laquelle j’appartenais n’avait pas sa place. »
Il préfère toucher et travailler le bois. Une passion qu’il a entretenue jusqu’en prison. « J’avais une cellule pour moi, et une cellule pour en faire mon atelier »,s’amuse-t-il aujourd’hui, heureux de faire désormais son métier sous le ciel de la Castagniccia.
[…] Retrouvez le dossier complet dans Corse-Matin du 2 juillet
(…)
CorsicaInfurmazione.org by @Lazezu
Revue de Presse et suite de l’article :
CORSE MATINCorsica Infurmazione: l’information de la Corse, des Réseaux sociaux et des Blogs politiques [Plateforme Unità Naziunale]