Jean-Guy Talamoni, président du groupe nationaliste Corsica Libera, se réjouit des convergences réalisées à l’assemblée de Corse mais dénonce le « déni de démocratie » du gouvernement
Que vous inspirent les prises de position très fermes de Bernard Cazeneuve ?
Le discours de Bernard Cazeneuve dans l’île a eu la vertu de renforcer la cohésion des responsables politiques corses. Mis à part les tenants d’un conservatisme aujourd’hui marginalisé par l’électorat, tous les responsables corses – y compris ceux du PS, les plus proches du gouvernement – ont sévèrement critiqué ses propos, irresponsables, provocateurs et souvent mensongers.
Etait-il, comme le pense Paul Giacobbi, en service commandé, c’est-à-dire qu’il relaie la parole de François Hollande et Manuel Valls ?
Il n’a probablement pas pris sur lui de tenir ces propos. De là à imaginer que les responsables français aient une position commune et cohérente sur la question corse, cela me paraît douteux. Il n’en ont aucune sur aucun sujet !
Au final, pas de coofficialité, pas de statut de résident et, selon Nicolas Alfonsi, pas de mention dans la Constitution car elle ne rencontrera jamais l’adhésion de 900 parlementaires. Un avenir qui paraît bouché pour vous…
Comme disait Churchill, « la prophétie est un genre difficile, surtout lorsqu’elle porte sur l’avenir ». Je considère avec amusement le ton péremptoire de certains journalistes ou politiciens, dont les prévisions sont régulièrement démenties…
Pour notre part, nous n’avons pas de boule de cristal mais nous avons des convictions et des idées cohérentes. Cette majorité à l’assemblée de Corse autour d’une réforme audacieuse, nous l’avons voulue et chacun reconnaît que Corsica Libera est pour beaucoup dans sa conception. Elle est aujourd’hui une réalité. Cette majorité sera-t-elle finalement entendue à Paris ? Ce sera une question de rapport de forces, donc de cohésion et de détermination des élus corses, et ce dans la durée.
Par ailleurs, rien ne nous empêche de commencer dès à présent à mettre en application ces votes de l’assemblée. À notre demande, un certain nombre de communes ont déjà annoncé qu’elles appliqueraient le statut de résident sur l’ensemble de leur territoire. Cela veut dire, en clair, que les acheteurs non résidents ne sont pas les bienvenus dans ces communes.
«Il est légitime de désobéir à la force injuste de la loi»
Mais rien, juridiquement, ne les empêche d’y aller…
Libres à eux de tenter quand même l’aventure, face à l’hostilité des municipalités et des populations…
Il en va de même pour l’officialité de la langue corse. La loi française ne le permet pas ? Il est légitime de désobéir à « la force injuste de la loi ». Je n’emprunte pas cette expression à Che Guevara mais à… François Mitterrand !
Pour l’instant, la seule marge de manœuvre reste une possible évolution institutionnelle étudiée par le comité stratégique. Dans le contexte de réforme nationale qui va octroyer de grosses prérogatives aux nouvelles régions, que peut proposer votre mouvement d’original et d’audacieux ?
Notre projet « Corsica 21 » est déjà, depuis longtemps, soumis au débat. Sur ce point, nous avons beaucoup travaillé. La collectivité unique – pourvue de compétences renforcées – ne doit pas empêcher une certaine représentation des territoires. Nous proposons de créer, à côté de l’assemblée de Corse actuelle, une chambre des provinces. Ces dernières seraient au nombre d’une dizaine, ce qui donnerait des territoires aux dimensions pertinentes, y compris du point de vue de la mise en place d’une intercommunalité cohérente. Cette chambre, élue à la proportionnelle, serait chargée de l’aménagement du territoire et du développement rural.
Corsica Libera a-t-elle digéré la victoire de Gilles Simeoni à Bastia ?
Il me semble que vous n’avez pas bien compris la position exprimée par notre exécutif après les élections municipales. S’il s’avère que la victoire de mars dernier est réellement celle de Gilles Simeoni, qui se revendique du nationalisme, Corsica Libera s’en réjouira car ce sera bon pour nos idées et pour la Corse.
Si, en revanche, comme nous le craignons, d’autres forces politiques – archaïques, celles-là – tirent les marrons du feu, ce sera autre chose…
À l’exception d’Emmanuelle de Gentili, les principaux alliés de Gilles Simeoni, François Tatti et l’UMP, n’ont soutenu ni la coofficialité de la langue ni le statut de résident. Et ils sont en position de force à Bastia.
Comment expliquer alors votre refus de soutenir François Alfonsi aux Européennes, lui qui s’est tant battu pour la langue ?
Il n’y a rien de personnel contre François Alfonsi, qui le sait d’ailleurs. Toutefois, notre exécutif a estimé qu’en l’état de l’attitude adoptée quelques jours plus tôt par les deux principaux leaders de Femu a Corsica, lesquels ont accepté de réactiver le préalable de la « violence clandestine » pour complaire à leurs alliés de circonstances, il convenait de laisser nos électeurs se déterminer en conscience.
Marylise Lebranchu revient dans quelques jours. Si elle ne tient pas un discours différent de celui du ministre de l’Intérieur, Corsica Libera pourrait quitter la table des négociations ?
Nous ne sommes pas pour l’instant dans cet état d’esprit. L’assemblée de Corse a dit ce qu’elle voulait. Nous abordons toutes les discussions avec résolution et sérénité.
«Oui, nous avons gagné la bataille des idées»
S’il n’y avait aucune avancée significative, pensez-vous que le gouvernement s’exposerait à un regain de la violence clandestine ?
Je n’ai aucune qualité pour dire cela. Il appartient aux clandestins de prendre leurs décisions. Cela dit, le mouvement national n’est pas un taureau devant lequel on agite un chiffon rouge, ce que semble avoir voulu faire le ministre français de l’Intérieur il y a quelques jours, dont la visite a été précédée d’arrestations. Peut-être le calcul est-il précisément de fragiliser la cohésion des élus corses autour du projet de réforme, cohésion qui embarrasse manifestement Paris.
Et selon vous, le FLNC participe à cette cohésion ?
De toute évidence. Je rappelle que fin 2012 (Revendication du FLNC UC) , dans leur communiqué revendiquant une nuit bleue contre la spéculation immobilière, les clandestins saluaient le travail de l’assemblée de Corse qu’ils qualifiaient de « matrice de la paix », et se déclaraient prêts à accompagner cette démarche d’apaisement. (Réactions des élus en décembre 2012)
Depuis, malgré les provocations et un certain harcèlement politico-judiciaire, ils ont fait preuve d’une retenue qui a renforcé la démarche commune des élus de la Corse…
(…)
CorsicaInfurmazione.org by @Lazezu
Revue de Presse et suite de l’article :
[…] Lire la suite de cette interview dans Corse-Matin du 23 juin
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