Le 12 juin, Bernard Cazeneuve était en visite en Corse. Le nouveau ministre de l’intérieur a décidé de jouer la carte du refus clair et net, sans arguments, en réponse aux mesures votées par l’Assemblée de Corse et soutenues par le peuple. Difficile de comprendre où veut en venir l’Etat. Seule certitude: le gouvernement ne brille pas par sa diplomatie ni par la connaissance de ses dossiers.
Bernard Cazeneuve avait pourtant bien commencé son séjour, s’en allant rendre hommage à la Corse éternelle de son arrière grand mère dans le charmant village de Cugnoculi-Muntichji. Après le clin d’oeil folklorique car après-tout, la Corse n’est qu’une carte postale géante, le ministre a très vite repris ses esprits et revêtu son costume de super-méchant. Nostalgie et bonne humeur n’auront pas duré très longtemps. Dès le lendemain, le nouveau caïd de la Place Beauvau a décidé de mettre les pieds dans le plat. Son discours d’Ajaccio* aura marqué les esprits par son inconsistance et la gravité des propos tenus, dans le droit fil de ce qu’avait pu montrer son prédécesseur, le charisme en moins.
Il a commencé par mélanger une fois de plus les « violences ». Mettant dans le même sac les attentats politiques, actes de résistance n’ayant pas fait de morts depuis 16 ans, et les assassinats crapuleux qui font de la Corse la région la plus criminogène d’Europe avec 35 morts par an en moyenne. « Lutter contre toutes les violences », sans distinction, sans chercher le pourquoi du comment : c’est cela que les Corses attendraient de l’Etat. S’il est vrai que la violence mafieuse instaure une tension permanente dans certaines strates de la société, la violence « politique » ne préoccupe en rien les citoyens de l’île confrontés à d’autres problématiques bien plus pregnantes dans la vie de tous les jours.
Preuve en sont les seules mobilisations qu’a connu l’île ces derniers temps, témoins des véritables intérêts des Corses. Elles portaient sur un tout autre sujet : la reconnaissance d’un certain nombre de droits. A savoir, la culture, la langue (à travers la co-officialité du Corse), le foncier et l’accès à la terre (statut de résident et statut fiscal). Que les Corses puissent à nouveau se loger sur leur terre et parler leur langue : il ne s’agit pas de revendications spécialement audacieuses ni ambitieuses. C’est pourtant la première fois que la rue et la classe politique sont d’accord sur des sujets d’une telle importance. Rappelons que depuis la dernière élection de l’assemblée territoriale (aux compétences assez importantes), un consensus très large s’est dégagé au-delà des clivages autour de questions allant dans le sens de la reconnaissance du peuple Corse et de l’autonomie poussée. Tout ce que demande la rue depuis des mois a été voté démocratiquement et très majoritairement par les élus du peuple. Des centaines de lycéens en début d’année, des milliers d’étudiants puis 8000 personnes à Bastia en mai, cela fait bientot un an que la rue pousse pour obtenir ces avancées et faire pression sur l’Etat.
Et hier, Bernard Cazeneuve a donné la réponse, sa réponse : non. Pas un « non mais », un non. Comble de l’audace, il a accompagné ce « non » d’explications fumeuses : le statut de résident « ne serait pas accepté par l’UE ». Comment un ministre de l’intérieur peut-il avancer de telles choses ? Cela ne peut être que de la mauvaise foi ou de l’ignorance, ce qui serait grave dans chacun des cas. Alors que des dizaines de juristes, de spécialistes, jusqu’au président du conseil économique et social européen Henri Malosse ont déclaré que le statut de résident était tout à fait raisonnable et applicable, alors que des exemples existent au sein de l’UE et même au sein de la République, Bernard Cazeneuve décide tout seul, comme un grand, que « ça ne passera pas ». Quant à la co-officialité de la langue « elle ne lui parait ni souhaitable ni possible ». Une argumentation si solide qu’elle convaincra à n’en pas douter les sceptiques.
Les insulaires prendront acte de cette position qui démontre qu’au final, le pouvoir de décision démocratique du peuple corse n’est qu’une vaste blague. Le fringant Cazeneuve vient donc de repartir en laissant sur place une situation de colère latente et grandissante. Les semaines et mois à venir risquent d’être particulièrement tendus sur l’Île de Beauté. Le gouvernement a allumé une mèche et s’est assis sur la bombe : la crise de rupture entre Corse et continent était annoncée, elle est apparemment aujourd’hui inévitable.
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Revue de Presse et suite de l’article :
Corsica Infurmazione: l’information de la Corse, des Réseaux sociaux et des Blogs politiques [Plateforme Unità Naziunale]