Corse – Clandestins: le jury félicite Pierre Poggioli

À 61 ans, Pierre Poggioli poursuit un parcours d’éternel étudiant. Au mois de juin dernier, celui qui est désormais une figure historique du nationalisme corse, a obtenu un doctorat en sciences politiques à l’université Paul Cézanne d’Aix-en-Provence.

Un thème de prédilection pour sa thèse : IRA (Irlande), ETA (Pays Basque) FLNC (Corse), étude comparative.

Tout au long des quelque 1 200 pages de ce travail, Pierre Poggioli remet en perspective, les données sociologiques, historiques et politiques des trois mouvements clandestins.

Le diplôme couronne en fait, trois années de travail intensif. Que l’auteur nous détaille dans un entretien.

Retour à la case « master »

Pour le tout nouveau docteur en sciences politiques, le chemin n’a pas été pavé de roses. Notoriété ou pas, la validation de sa maîtrise (obtenue dans les années 70) n’allait pas de soi. Pas plus que l’attribution d’une équivalence pour s’inscrire d’entrée de jeu en doctorat.

« Je me suis inscrit en master à l’université de Corte »,sourit Pierre Poggioli. « À mon époque on passait une maîtrise. J’ai donc refait une année. Et après seulement, j’ai pu m’inscrire en doctorat… »

Pour sa thèse, il a voyagé sur des milliers de kilomètres, rencontré des dizaines de militants des trois mouvements. Une démarche qui n’est pas toujours simple.

« Certaines de ces personnes sont toujours des acteurs de la lutte armée et n’ont pas souhaité de rencontre. D’autres ont bien voulu parler. A la condition expresse de ne pas être citées »,souligne Pierre Poggioli.

Plongée dans les archives, interviews de ceux qui acceptent de témoigner, rencontres avec d’autres dont on respecte l’anonymat, une tâche qui ressemble à s’y méprendre à l’investigation journalistique…

Et qui risque de tordre le cou à quelques idées reçues…

Différences et similitudes

Dans l’imaginaire, il n’y a rien de plus semblable à un militant clandestin qu’un autre militant clandestin. Qu’il vienne d’Irlande, du Pays Basque ou de Corse, il porte le même type de tenue, se dissimule le visage derrière une cagoule, utilise les armes et les explosifs pour mener une lutte qui le fait automatiquement basculer dans l’illégalité.

Pour autant l’histoire et la géographie conditionnent complètement les formes que prendront ces luttes contre les États.

« Le point commun entre la Corse et l’Irlande, c’est le caractère insulaire, alors que le Pays Basque est à cheval entre la France et l’Espagne… Mais l’IRA est un mouvement très ancien, contrairement au FLNC »,rappelle Pierre Poggioli. « Il ne faut pas oublier la dimension ouvrière d’ETA », insiste-t-il. Soulignant au passage qu’à l’époque du franquisme, Bilbao était l’une des capitales industrielles de l’Espagne.

Dans les années 70 cependant, les trois mouvements font parler d’eux au même moment. Ce qui a pu entretenir la confusion.

Mais là encore, les nuances sont tout sauf des détails.« En Irlande, l’armée a toujours été aux ordres du politique. D’autant plus depuis l’indépendance du Sud… La République d’Irlande a d’ailleurs joué un rôle majeur dans les accords de Saint Patrick »,rappelle l’auteur. Situation inverse au Pays Basque où l’organisation militaire conditionne l’expression publique.

Une autre très importante différence tient aux formes d’actions armées privilégiées dans les années qui ont suivi les décolonisations. « En Irlande, il y a eu une vraie organisation de guérilla urbaine. L’ETA est allée vers des attentats de plus en plus sophistiqués et meurtriers »,énonce Pierre Poggioli. Avant de conclure dans un sourire : « En Corse, c’était plus de la propagande armée. Il y a eu très peu de morts et la plupart ont été des militants de l’organisation clandestine… »

Un livre dans quelques mois

Tout au long de sa thèse, Pierre Poggioli qui revendique toujours avec autant de force son appartenance au militantisme nationaliste, décortique également l’attitude du Royaume-Uni, de l’Espagne et de la France, face à ces « trublions » qui réclament toujours plus d’autonomie (voire d’indépendance).

Là, on trouve une véritable constante : les périodes de répression alternent avec les tentatives de solutions négociées. Au gré des gouvernements et des lignes politiques des mouvements armés. Si la thèse n’est, pour l’heure, accessible qu’aux universitaires, elle devrait très prochainement devenir un livre destiné au grand public.

« J’ai déjà des contacts avec des éditeurs au Pays Basque », confie Pierre Poggioli. « Il y aura un gros travail de réécriture, je le sais déjà »,précise-t-il, conscient qu’il lui faudra réduire la somme de ses recherches des deux tiers et qu’il sera contraint de changer de style d’écriture. Après, les lecteurs pourront apprécier… Et l’auteur s’attend déjà à quelques ennuis : « Ma dernière interpellation remonte à la publication du livre précédent Derrière les cagoules, j’imagine que ce sera la même chose », lâche-t-il dans un rire.

Pas de quoi intimider le nouveau diplômé qui sait à quel point les mots sont une arme redoutable.

Isabelle Luccioni

 

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