Dans le cadre de l’examen à l’Assemblée de Corse du rapport visant à instituer un statut de résident pour accéder à la propriété, Camille de ROCCA SERRA s’est opposé au projet présenté par le Conseil Exécutif de Corse:
” La question foncière est cruciale. Nous partageons tous le constat qu’il est nécessaire de réguler le marché foncier. La Corse a connu une attractivité croissante, un accroissement de sa population, un changement des modes de vie puisqu’aujourd’hui c’est rare de voir plusieurs générations cohabiter sous le même toit, le fait que si avant chacun construisait sur sa terre, les règles d’urbanisme définissant la constructibilité font que ce n’est plus forcément le cas de nos jours… Sur la problématique du logement, nous avons pris du retard. Des paramètres n’ont pas été anticipés.
Nous avons tous appelé de nos vœux la mise en place d’outils adaptés. L’EPF de Corse a été créé par décret le 9 mai 2012 par François Fillon. Après deux ans d’inopérationnalité, voilà que la loi ALUR le supprime pour le remplacer par une agence foncière, à laquelle il convient d’ajouter la création parallèle de l’agence de l’urbanisme. A ce jour, ces outils n’ont pas pu prouvé leur efficacité parce qu’ils n’ont tout simplement pas été utilisés ou commencent à peine. L’office HLM a été recapitalisé à trois reprises dans les dernières décennies pour faire face à ses missions. Dans l’augmentation des prix, n’oublions pas le passage du franc à l’euro dont il ne faut pas minimiser l’impact.
La problématique foncière peut et doit trouver des solutions viables. Je dis bien viables. Dans le rapport, vous nous dites qu’il existe des outils, de droit commun ou dérogatoires, qui peuvent être intéressants et sont d’ailleurs en cours d’expertises. Mais, dans ce même rapport, vous nous dites aussi que la seule option qui vaille est le statut de résident. Vous voulez nous amener à cette conclusion!
Sur le plan juridique et constitutionnel, le statut de résident implique la distinction entre la population insulaire et le reste de la population nationale. Cela n’est possible que dans les territoires ultra-marins n’appartenant pas à l’ensemble métropolitain. On est là dans les prérogatives relevant de l’article 74 de la Constitution, l’outre mer !
Ceux qui défendent l’indépendance sont dans leur logique. Pour ce qui nous concerne, nous n’y sommes pas favorables. Nous nous sommes engagés dans une démarche collective le 26 septembre dernier pour atteindre un objectif: celui de l’inscription dans la Constitution à l’article 72-5. Là, on est au-delà… J’ai pris un engagement devant vous pour aboutir au Parlement. J’ai proposé à mon groupe politique à l’Assemblée nationale d’ajouter à la ratification de la Charte des langues régionales l’inscription de la Corse dans la Constitution pour rendre effectifs les pouvoirs d’expérimentation législatifs et réglementaires qui nous ont été dévolus, et permettre un transfert de fiscalité qui permettra à notre collectivité de disposer d’une réelle autonomie de gestion. Nous avions fixé un cap sur la base du plus grand dénominateur commun. Nous nous inscrivons dans cette vision décentralisatrice. On attend toujours que le Gouvernement engage un texte auprès du Parlement.
Même si vous dégagez une majorité ce soir, à laquelle nous ne participerons pas en exprimant un vote défavorable, ce ne sera pas le cas au Congrès. On est là face à une mesure idéologique qui n’est pas possible juridiquement.
Les constitutionnalistes avaient clairement exprimé que la mise en vigueur d’un régime de préemption en cas de cession d’un bien immobilier à un non-résident, un régime d’autorisation, en ce qu’il suppose une distinction entre résidents et non-résidents, suppose l’inscription de la Corse dans le cadre de l’art. 74 de la Constitution, dans la mesure où est en cause une des conditions essentielles du droit de propriété. En précisant que les mécanismes pris en exemple, la Polynésie ou St Martin, sont des droits de préemption et d’autorisation préalable. L’interdiction pure et simple aux non résidents d’accéder à la propriété est juridiquement impossible. Julie Benetti avait été claire lors de la commission plénière du 31 mai 2013.
Au delà des articles, et avant même d’y arriver, n’oublions pas que la Constitution découle d’un préambule dont le socle est la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.Là encore, Julie Benetti nous avait expliqué que le statut de résident posait problème, le droit de propriété (article 17) étant garanti par Déclaration des Droits de l’Homme, qui est reprise au niveau du Préambule et s’impose donc au contenu de la Constitution. Il existe bien des restrictions au droit de propriété. Des limites légales, notamment les règlements d’urbanisme avec la destination des sols. Sont envisageables des mesures qui pourraient consister en un renforcement des moyens de contrôle de l’autorité publique locale, sinon directement sur les mutations foncières proprement dites, du moins sur l’affectation des espaces fonciers. La règlementation en matière de « zonage », et c’est le rôle du PADDUC, pourrait être plus précise et contraignante. Il y a aussi des limites conventionnelles, limites liées à toute procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique…Mais conditionner l’accès à la propriété à partir de critères cryptoéthniques fondées sur la nationalité est tout simplement inconstitutionnel.
Il y a aussi L’article 4 de la DDHC qui dispose que l’exercice des droits de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société, la jouissance de ces mêmes droits. Or, jusqu’à preuve du contraire, nous sommes dans une même société, dans un même ensemble républicain.
Prenons les autres exemples avancés au plan européen.
Il s’agit de périodes transitoires au cours desquelles la possibilité d’acquérir des biens immobiliers et/ou des terrains cultivés et zones de forêt est réservée aux ressortissants nationaux. Ces clauses ont été négociées lors des adhésions pour atténuer les conséquences d’un éventuel choc économique ou concurrentiel. La France étant un pays fondateur, ne peut revenir là dessus.
A Chypre : une période transitoire de 5 ans à compter de l’adhésion pour l’acquisition de résidences secondaires par des étrangers. La Période est écluse.
Dans les 3 Etats baltes et en Slovaquie : une période transitoire de sept ans pour l’acquisition de terres agricoles et de forêts. Les agriculteurs indépendants, ressortissants de l’UE, étaient exclus de la restriction. La Période est écluse.
En Hongrie, en Pologne et en Tchéquie : une période transitoire de 5 ans pour l’acquisition de résidences secondaires par des non nationaux. La Période est écluse.
Reste Malte, la seule encore en vigueur, une période de douze ans (jusqu’en 2016) pour l’acquisition de résidences secondaires en raison de l’extrême densité de la population qui est de 1200 habitants au km2 quand la Corse est à 35 habitants au km2. Comment voulez-vous que, pour des motifs opposés, l’Union européenne accorde un même droit ?
Il s’agit bien de périodes transitoires. L’ensemble des traités européens consacrant la libre circulation des hommes et des capitaux. Quant aux îles Aland, on est dans une configuration toute autre. Il s’agit d’un Etat libre associé à la Finlande, peuplé de suédois, qui a été intégré comme tel dans l’UE.
Pour ce qui est des propositions de réformes faites en Flandres en 2009 pour empêcher d’acquérir des terrains ou des constructions aux personnes qui ne pouvaient justifier d’un « lien suffisant » avec une de ces commune, la cour de justice de l’Union européenne a jugé que ce dispositif portait atteinte à plusieurs libertés fondamentales : la liberté de circulation et d’établissement, la libre prestation des services et la libre circulation des capitaux. Tout en rappelant que « des mesures nationales » pouvaient être admises, la Cour a rappelé que celles proposées allaient « au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le but recherché ».
Dans les exemples ultra marins, il est précisé que des dispositifs particuliers, en matière foncière, ont été mis en place en Nouvelle-Calédonie, laquelle, il est vrai, n’est pas une collectivité territoriale de la République et n’appartient pas à l’espace européen. Il est à préciser que Saint-Barthélémy ne fait pas partie de l’ensemble européen non plus et que Saint-Martin y est intégré en qualité de région ultra périphérique, un classement qui lui permet bien des aménagements.
Quoi qu’il en soit, au niveau national, ces collectivités relèvent de l’article 74 et ne font pas partie de la métropole. La Corse n’est ni ultra marine, ni ultra périphérique. Elle fait pleinement partie de l’ensemble métropolitain et de l’Union européenne.
D’un point de vue juridique et constitutionnel, on le voit, le statut de résident n’a pas d’avenir.
L’objet de ce rapport est, je le répète, de nous conduire à penser que seule la restriction de la propriété fondée sur la distinction entre résidents et non résidents pourra résoudre le problème foncier, alors même que des dispositifs existants ou pouvant l’être, n’ont pas été mis en œuvre. La démarche est idéologique. J’entendais les comparaisons faites tout à l’heure. On ne peut pas comparer les principes fondamentaux de la République avec les tarifs dans les transports ou la circulation des riverains dans les centres urbains!
Ce document est aussi truffé de contradictions.
Au début du rapport, on nous dit que le besoin de logements à satisfaire par an est de 3347 sur l’ensemble de l’île, et dans la 3ème partie, on nous expose le rapport Algoé qui propose de contrôler le marché et de faire baisser les prix, non pas en augmentant l’offre, mais en la baissant de manière conséquente. D’où le chiffrage des baisses annuelles de logements dans les différents scénarii et variantes. – 1263 dont 20% de résidences principales pour la variante la moins ambitieuse, et – 2400 dont 21% de résidences principales pour la plus drastique.
Le dernier article de la délibération (n°12) propose de réfléchir à la réorientation de l’activité du bâtiment. En se fondant sur quoi ? Le rapport Algoé qui préconise la fermeture du marché et l’effondrement du PIB de la Corse, avec à la clef décroissance et licenciements économiques ?
Continuons. Pour l’exécutif, le régime de l’autorisation préalable à la réalisation de tout transfert de propriété (St Marin/St Barth), délivrée par une autorité investie à cet effet, ne paraît pas souhaitable, compte tenu des obstacles juridiques analysés ci dessus et des risques évidents de censure aux niveaux national et européen (statut de la Polynésie française de 1996 ; décret de la Région flamande de 2009). Et qu’il vaut mieux tenter le statut de résident !!! Comment peut-on dire que le droit de préemption est impossible et que le statut de résident le serait quand on s’appuie sur des réflexions d’experts prouvant toutes le contraire?! A ce jour, pas une seule expertise juridique n’a considéré comme faisable le statut de résident.
A plusieurs reprises dans le rapport et dans la délibération, on nous parle d’expertises en cours sur des mécanismes de droit commun, fiscaux ou autres, qui permettraient de réguler le marché foncier. Nous devrions plutôt travailler sur une fiscalité visant à rééquilibrer et réorienter le marché, ou sur des mécanismes locaux d’accession à la propriété comme des prêts communaux à taux zéro. Dans la même délibération, on nous dit que seul le statut de résident constitue une réponse adaptée ! Si des études sont en cours, pourquoi se précipiter à acter une telle décision ? … Si ce n’est pour satisfaire une obsession idéologique.
La fin du rapport est tout aussi étonnante. On nous parle dans l’article 10 de limitation aux personnes physiques justifiant une occupation de 5 années, et aux personnes morales contrôlées par ces résidents. Comment fait-on en cas de co-gérance avec des non résidents ? ou en cas de constitution de SCI mêlant les 2 catégories de population ? Le mécanisme ne serait-il pas contournable ?
Mieux encore, on nous parle d’exception pour les personnes justifiant, entre autres, d’un lien moral ! Comment définir ou juger ce lien moral ? Tout droit doit être opposable… En l’occurrence, il est impossible de le définir. On en revient à ce que nous avait expliqué Julie Benetti sur les critères du rapport Algoé.
Je voudrais aussi rappeler qu’il n’y a pas de distinction juridique possible entre résidences principales et résidences secondaires. Les documents d’urbanisme ne peuvent pas prendre en compte la destination d’une habitation individuelle. Le Conseil d’Etat a déjà statué sur ce point. On peut contrôler l’installation de résidences de tourisme, ou prévoir des zones pour des logements à loyer modéré. Mais pas fonder une autorisation sur la destination de l’habitation.
Pour ce qui est de la distinction entre résidences principales et résidences secondaires, n’oublions pas que bien des Corses sont concernés. Le pourcentage de résidences secondaires dans l’île s’élève à environ 35% (70 000 sur 200 000 logements). La part de résidences possédées par des étrangers non nationaux est de 3% d’après un rapport de l’ATC réalisé en 2010. Il nous faut distinguer au sein des 70 000 résidences secondaires recensées par l’ATC celles qui appartiennent en effet à des non corses de celles étant des maisons de village qui appartiennent aux insulaires habitant dans les centres urbains et qui sont évaluées à plus de 30 000, soit la moitié des logements secondaires et qui sont comptabilisés comme tels sans distinction. Il y a en effet des disparités importantes, traduisant ainsi le déséquilibre territorial de l’île. Dans une réunion à ce sujet en septembre 2009, le maire de Bonifacio, dont la commune compte 51% de résidences secondaires, souhaitait inverser la tendance, quand le maire de Guagno, considérant que presque tous les logements de sa commune sont des résidences secondaires de corses vivant à Ajaccio ou sur le littoral, souhaitait vivement favoriser l’installation de résidences principales ou secondaires pour assurer à la commune des revenus fiscaux qui sont actuellement très faibles. Donc, attention à la notion de résidences secondaires, les Corses, résidant en Corse ou ceux de la diaspora, sont attachés à leurs maisons de famille.
Pour revenir au statut de résident et au rapport qui nous est proposé, on est bien dans l’idéologie, et non pas dans la recherche de solutions viables, qui d’ailleurs, ne sont pas réellement exploitées ou envisagées pour mieux imposer l’idée du statut de résident. Que ceux qui ont toujours défendu l’indépendance revendiquent cette évolution est logique. Mais que la proposition émane de l’Exécutif traduit une absence de volonté de trouver des réponses adaptées au profit de postures politiques…
En septembre dernier, un consensus s’était dégagé en faveur d’une démarche visant à inscrire la Corse à l’article 72-5. Nous l’avions porté par voie d’amendement, et ça a été repris par bon nombre d’élus en commission. Le consensus nous laissait entrevoir une réussite au Congrès pour que les pouvoirs dévolus à la Corse trouvent, par l’onction constitutionnelle, une effectivité et une opérationnalité. Six mois après, nous voilà au 74. Quelle dérive ! On voudrait faire capoter toute chance de réussite qu’on ne s’y prendrait pas mieux.
Si d’aventure une majorité devait se dégager sur ce texte, comment peut-on envisager que le Congrès valide un dispositif inconstitutionnel qui porte atteinte à l’essence même de la loi fondamentale : le Préambule ? Le Gouvernement est-il prêt à le défendre au Parlement ? J’avais d’ailleurs interrogé Marylise Lebranchu sur le statut de résident, je n’ai eu pour seule réponse qu’un silence assourdissant.
Comment peut-on engager la Corse dans un processus de décroissance et d’affaiblissement économique ?
Avec cette délibération, vous vous détournez du consensus exprimé il y a seulement quelques mois, pour lui préférer un clivage qui ne peut mener la Corse que dans l’impasse. Pour ce qui nous concerne, nous ne nous trahirons pas. Nous restons sur l’article 72-5, et non sur le 74. Nous devrions trouver ensemble les voies et moyens efficaces et rapides pour régler la question foncière au lieu d’attendre une telle évolution statutaire dont l’issue est plus qu’incertaine.”
(…)
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Revue de Presse et suite de l’article :
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