(Unità Naziunale – publié le 4 mai 2018 à 18h20) Au moment de son envol et de son premier budget, la Collectivité de Corse rencontre une situation financière instable et incertaine. Car il y a trois bombes dans la soute de cette nouvelle Collectivité Unique, très bien décrites par le cabinet spécialisé Klopfer qui a réalisé l’audit des comptes des trois collectivités qui l’ont précédée, Conseil Départemental 2A, Conseil Départemental 2B et Collectivité Territoriale de Corse.
La première bombe a été posée par Pierre Jean Luciani et l’ancien Conseil Départemental 2A, « à l’usu banditu ». La seconde est héritée du Conseil Départemental 2B et des années orgueilleuses de la grande époque Giacobbi. Et la troisième vient d’être posée par l’Etat, en mode sournois, comme il sait y faire, c’est à dire qu’elle aura pour effet de démultiplier l’impact des deux premières quand elles viendront à exploser !
Le Conseil Départemental 2A
Pierre-Jean Luciani est une caricature. Ses méthodes budgétaires le sont aussi ! « Je n’allais quand même pas laisser du pognon aux nationalistes ! » s’est-il exclamé pour expliquer pourquoi il a minutieusement vidé les caisses. Avec un grand bénéficiaire : la ville d’Aiacciu, lieu de prédilection du « bonapartisme » dont il est issu. Mais l’incertitude ne vient pas de l’argent dépensé pour financer principalement la politique urbaine de la région ajaccienne, même si le Président du CD 2A a affolé tous les ratios de la dépense publique en précipitant l’épargne brute, c’est à dire la capacité financière, de son institution dans une chute libre abyssale : 17% en 2014/2015/2016, 7,3% en 2017 selon le compte administratif qui vient d’être rendu public. Le « crash » est spectaculaire puisque le seuil d’alerte pour les départements est de 10%, et le plancher de 7%. Avec un tel pilote dans l’avion, les finances de la Corse étaient entre de bonnes mains !
Mais la question se complique encore car la chute au long de l’année 2017 n’a pas été concentrée au seul mois de janvier. Par exemple entre 2016 et 2017, les charges de personnel ont augmenté de 7,6% en Corse du Sud, contre 1,7% en Haute Corse, ce qui illustre la frénésie d’embauches clanistes qui a sévi au département de Corse du Sud. Mais les embauches démultipliées en 2017 n’ont pesé sur les comptes de l’exercice que pour des durées inférieures à une année pleine, onze mois pour celles effectuées en janvier, deux mois à peine pour celles effectuées en novembre. Une certitude : l’effet en année pleine sera bien plus élevé ! Pour savoir quelle sera l’ampleur de la déflagration de la bombe CD 2A, rendez-vous au budget supplémentaire cet automne !
Le Conseil Départemental 2B
L’orgueil est le premier des sept péchés capitaux. Paul Giacobbi y a succombé sans compter ! La grande mode avant la crise économique de 2008 était le recours aux « emprunts complexes », forcément séduisants pour un tel artiste de la finance, mais qui sont devenus « emprunts toxiques » une fois la crise passée par là. Indexation sur le franc suisse, « produits structurés » liés aux évolutions des marchés financiers, européens ou du bout du monde, la crise mondiale a généré une flambée des taux d’intérêts de ces prêts, jusqu’à 30%, quand le taux « classique » était tombé à 2%. Avec à la clef la clause contractuelle qui tue l’emprunteur s’il veut sortir du piège : pour rembourser par anticipation et passer à des taux normaux, il ne faut pas seulement rembourser le capital encore dû, mais tout ce que le prêteur pouvait espérer de remboursements au taux en vigueur au moment de la rupture du contrat. Soit des montagnes insurmontables !
Sur 109 M€ de dette figurant au bilan du CD 2B, 56 M€ relèvent de la catégorie des « emprunts toxiques ». Pour 22 M€ d’entre eux, le taux a déjà grimpé à 17% ! Leur restructuration doit être négociée avec la banque franco-belge Dexia qui, depuis, a été mise en liquidation, laissant l’ardoise à ses actionnaires, et notamment un des principaux d’entre eux : l’Etat français. Et nul ne peut dire à ce jour combien il faudra débourser pour se libérer de la partie toxique de cette dette. Le cabinet Klopfer préconise de prévoir 80 M€ de soulte (en plus des 56 M€ empruntés) !
Les excentricités de Pierre Jean Luciani reviendront au final bien moins cher que l’orgueil des dirigeants du Conseil départemental 2B. Car le CD 2B n’était pas la seule collectivité de France à être tombée dans le piège des emprunts toxiques. Presque toutes ont engagé des contentieux qui ont débouché sur une négociation avec l’Etat qui a accordé son soutien financier à ceux qui acceptaient un compromis de sortie de ces emprunts. La plupart des collectivités ont accepté le deal, très rares sont celles qui ont poursuivi sur la voie du contentieux. Pour le Conseil départemental 2B, 50 à 60 M€ étaient sur la table de négociation, mais Paul Giacobbi et ses successeurs ont préféré poursuivre en justice, avec un espoir de gain de la cause que l’on sait désormais proche de zéro. Sauf qu’entre-temps l’Etat a fermé son fonds de soutien, et, pour sortir de cette situation intenable, la nouvelle Collectivité ne pourra plus compter sur les 60 M€ d’aide de l’Etat qui auraient réduit de 75% son déboire financier.
L’Etat sournois
Car de mansuétude de l’Etat il ne faut pas en attendre tant les portes du dialogue sont fermées à ce jour. D’autant que la « loi de programmation des finances publiques » que vient de faire adopter le gouvernement vient promettre à la nouvelle CdC un nouveau coup de bambou très sévère en raison des dérives des deux départements récemment fusionnés en son sein.
De quoi s’agit-il ? L’Etat va désormais encadrer l’évolution des dépenses des collectivités : obligation de se « désendetter », et, surtout, de limiter la croissance des dépenses de fonctionnement à 1,2% par an, taux modulable en fonction des évolutions démographiques, de la richesse de la population, et des efforts réalisés dans le passé. La Collectivité Territoriale de Corse a fait des efforts notables ces trois dernières années, mais les deux départements ont fait exploser la dépense, l’un en dépensant à tout va, l’autre en subissant les intérêts de ses emprunts toxiques. Résultat : la sanction pour la nouvelle CdC devrait tomber au taux de 1,05% au lieu de 1,2%. Avec à la clef, si la collectivité « sort des clous », une sanction financière équivalente au dépassement observé. Vu la « dynamique » des dépenses héritée des deux départements, l’Etat sait d’ores et déjà que la nouvelle CdC pourrait très bien sortir des clous. Et quant à la demande de Gilles Simeoni de sortir la CdC de ce dispositif à titre provisoire, jusqu’à ce qu’elle ait sa propre trajectoire de trois années pour être jugée sur ses performances, elle s’est heurtée à une fin de non recevoir du sous-ministre du budget, Olivier Dussopt, celui-là même qu’accompagnait le directeur des Finances Publiques grand ordonnateur des contrôles fiscaux réservés aux Corses, lors de son récent voyage en Corse.
L’enjeu de ce dispositif sournois a été simulé par le Cabinet Klopfer : de l’ordre de 20 M€ par an, prélevés « à la source » sur les dotations de l’Etat comme la dotation de continuité territoriale.
En conclusion, le débat sur les orientations budgétaires a éclairé la situation financière que la majorité nationaliste doit affronter. Comme il y a deux ans et la découverte d’une « dette cachée », supportée par les créanciers dont les factures n’étaient pas honorées, elle doit faire face à une situation très dégradée en raison des gestions de ceux qui l’ont précédée aux responsabilités. S’y ajoute une nouvelle donne : la fin de l’Etat bienveillant tel qu’on l’avait reconnu du temps du précédent gouvernement, tandis que les mécanismes nationaux, que l’on veut imposer ici à toutes forces au nom du « droit commun », sont manifestement d’une application injustifiée pour la nouvelle Collectivité de Corse.
Fort heureusement, l’ex-CTC a opéré ces deux dernières années un redressement budgétaire remarquable (voir mon propre commentaire ci dessous). Comme elle « pèse » 60% du nouvel ensemble, cette bonne santé financière sera d’un grand secours pour « encaisser » l’explosion des finances héritées des deux départements, et déjouer les manœuvres de l’Etat qui refuse pour l’instant toute dérogation.
Mais la négociation ne fait que commencer !