Dans une ville aux finances naufragées, Marc Marcangeli, le maire sortant, aura, cette fois, bien du mal à se faire réélire. D’autant que les listes de gauche devraient s’unir au second tour.
Certaines ruses politiques ne servent qu’une fois. C’est bien dommage. Marc Marcangeli, réélu à la mairie d’Ajaccio il y a à peine cinq mois, aimerait rééditer son bel exploit: transformer à son avantage un scrutin incertain en référendum sur le processus de Matignon. Les électeurs, qui n’ont jamais été consultés sur le « pari corse » de Lionel Jospin, avaient saisi cette occasion pour s’exprimer en rejetant ses thuriféraires locaux: les indépendantistes (7,9% des voix) et surtout José Rossi (24,2%), qui pensait ravir la place de maire à son vieil allié, qu’il venait de trahir. Marc Marcangeli avait fait campagne contre le processus de Matignon et beaucoup de ceux qu’il inquiète s’étaient donné la consigne – y compris à gauche – de voter pour lui en dépit de son bilan de maire. Vote de protestation sans grande conséquence, puisque l’on revoterait six mois plus tard…
Nous y voilà, et cette fois-ci c’est un maire qu’il faut élire. C’est d’Ajaccio qu’il faut parler. Avec une municipalité qui présente un bilan accablant, triste caricature de l’incompétence, du clientélisme et du gâchis des potentialités locales, si souvent dénoncés dans l’île. Dans un rapport sur la gestion de la commune de 1987 à 1999, les magistrats de la chambre régionale des comptes ne savent plus quels mots trouver pour décrire le naufrage: « Diminution des recettes fiscales directes, augmentation du déjà haut niveau des charges de personnel, augmentation des annuités de la dette et net ralentissement des investissements. » Le personnel, qui, selon cette instance, « coûteux, abondant et parfois peu assidu, est de surcroît dans certains domaines peu ou mal utilisé et quelquefois irrégulièrement recruté », absorbe sur la période 60% du budget de fonctionnement, contre une moyenne nationale de 42% pour les communes de même dimension.
Face à ce diagnostic, Marc Marcangeli n’a d’autre recours que de décliner sa responsabilité: ce folklore local lui a été transmis par son prédécesseur – et oncle – Charles Ornano, qui en avait fait une politique officielle baptisée « traitement municipal du chômage »: « Il préférait donner un salaire à un père de famille plutôt que de réaliser 500 mètres de trottoir », précise aujourd’hui son successeur, qui fut son adjoint aux finances. Une partie de ces employés de complaisance ne mettaient même pas les pieds à la mairie et exerçaient parfois une autre activité. « J’ai mis fin à tout cela depuis mon élection, en 1995 », assure le maire, qui voudrait qu’on mesure la difficulté de la tâche. « Il a fallu rompre les habitudes, remettre certains au travail en faisant des retenues sur salaire pour service non fait, explique Marc Marcangeli. Des récalcitrants se rattrapaient sur les arrêts-maladie. Alors je demandais des contrôles, mais je suis médecin et je sais qu’on ne trouve jamais un psychiatre pour contredire l’expertise d’un autre psychiatre… » Des cadres et ingénieurs ont été recrutés, un organigramme établi et le maire estime qu’il a déjà réussi la prouesse de réduire la part du personnel (1 424 agents, aujourd’hui) dans le budget de fonctionnement, qui est passée de 64 à 56%.
Efforts méritoires, mais dérisoires à l’échelle du désastre comptable: le produit des quatre taxes locales ne parvient toujours pas à couvrir les seules charges de personnel. La ville n’a pas d’argent. De 1995 à 1999, la commune a emprunté 200 millions de francs, mais n’a réalisé que 180 millions de francs d’investissements: l’emprunt sert à financer du fonctionnement. « Oui, nous avons dû ralentir les investissements pour nous désendetter. C’est vrai, tout n’est pas parfait. Les problèmes, je les connais », plaide Marc Marcangeli. Voilà pourquoi il a fallu fermer la piscine Caneton; de même, la rue Fesch, principale rue piétonne, n’a droit qu’à un goudronnage grossier. Car les faibles moyens dégagés sont absorbés par les déficits des services publics industriels et commerciaux (transports, eau, parkings) et les impôts locaux, lourds pour ceux qui les paient, épargnent les nombreux habitants qui occupent des immeubles ou des étages édifiés hors permis de construire et fiscalement inexistants…
Dans cette capitale régionale de 53 000 habitants, la nouvelle station d’épuration attend ainsi depuis des années son financement, une décharge publique illégale et dangereuse remplace l’usine de traitement des déchets, qui n’existe que sur plans, tout comme la rocade, que les automobilistes espèrent depuis quinze ans. Alors, pour ne pas faire trop mauvaise figure, le maire complète ses efforts par un peu de bricolage comptable. La ville vend des terrains, reçoit une subvention, libre d’affectation, du conseil général de la Corse-du-Sud, que préside également Marc Marcangeli, sort des effectifs communaux les 77 pompiers municipaux et diffère de six ans le remboursement de la dette (26 millions de francs) du port de plaisance, qui devrait gagner de l’argent si les loyers étaient sérieusement perçus.
« Etant donné l’état de la ville, c’est l’élection de la dernière chance pour Ajaccio. Soit nous gagnons, et nous prendrons des coups, soit nous perdons, et nous serons les spectateurs d’un Apocalypse Now ajaccien. » C’est Simon Renucci qui se met à parler comme cela. En ajoutant: « J’ai envie de gagner. » Que cela se sache: Simon Renucci a vraiment envie d’être maire. Pour lui aussi, cette élection est cruciale: depuis des années, ce pédiatre charismatique fait de la politique du bout des doigts, hésite, trouvant toujours plus passionnant de s’occuper des « bébés » et de leurs « mamans ». « Simon », comme tout le monde l’apostrophe dans la rue, c’est la semaine de la bonté toute l’année: toujours disponible pour une urgence, il a donné naissance à la moitié des jeunes du coin, organisé la formation médicale dans le département et ne cesse de rappeler, la tête inclinée avec un sourire doux et las, qu’il fait tout cela « modestement », comme le lui a appris sa « maman ».
Voilà donc un concurrent redoutable, qui avait déjà effrayé José Rossi en récoltant près de 48% des voix aux législatives de 1997. Et en entrant deux ans plus tard à l’Assemblée de Corse, à la tête du petit parti – Corse sociale-démocrate – qu’il venait de créer après avoir rompu avec le PS, alors qu’il avait présidé dans l’île le comité de soutien à Lionel Jospin en 1995. Car « Tonton Simon » est non seulement modeste, mais aussi compliqué. Dans son cabinet, une Vierge Marie en bois côtoie Che Guevara et une photo dédicacée de la chanteuse Alizée, qu’il a « soignée bébé ». Et l’on ne sait plus vraiment ce qu’il pense du « processus Jospin ». D’abord contre, en mars dernier, il s’y est rallié en juillet. Mais il prend soin aujourd’hui de préciser qu’il est plus favorable au volet économique et financier qu’au volet institutionnel: « Si la Corse est indépendante, je m’en vais: je préfère la République aux lobbies. » Et cet ancien du PSU sait qu’ici être « de gauche » ne suffit pas pour gagner: « L’important, c’est la volonté, la rigueur et la compétence. On en est là, à Ajaccio! »
Ce faux naïf a donc décliné l’offre d’une liste commune de la gauche et constitué la sienne, avec des radicaux de gauche et des « personnalités d’ouverture ». Dont Antoine Parodin, ancien adjoint de Marc Marcangeli, qui connaît par coeur les problèmes de la mairie, dont il a claqué la porte en 1998, après avoir tenté de réformer la gestion du personnel. « La situation est gravissime, mais encore rattrapable, précise ce dernier, qui a déjà chiffré d’énormes économies possibles en utilisant mieux le personnel et en renégociant les contrats locaux. La loi sur l’intercommunalité va nous permettre de créer l’agglomération du golfe d’Ajaccio – 80 000 habitants, environ le tiers de la population corse – et de réorganiser tous les services publics. »
Paul-Antoine Luciani, communiste, qui conduit la liste de gauche officielle, avec François Filoni, du Mouvement des citoyens, présente un programme très similaire: « Plus de 3 000 foyers fiscaux ont quitté Ajaccio en dix ans pour s’installer à la périphérie. De toute façon, on ne peut même plus construire à cause de l’insuffisance des équipements sanitaires. Il ne sera pas suffisant d’être rigoureux; il faudra aller chercher tous ces financements nationaux et européens que la mairie laisse échapper par incompétence, alors que Bastia sait très bien en profiter. Ajaccio dispose pourtant de meilleurs atouts. Il suffit de voir le gâchis de ce port de plaisance, pas terminé, misérable, déficitaire… »
Les listes de Simon Renucci et de Paul-Antoine Luciani fusionneront au second tour, avec une chance très sérieuse de battre Marc Marcangeli. Les voix obtenues par José Rossi en septembre 2000 décideront de l’issue du scrutin. Après cette humiliation, le président de l’assemblée territoriale, qui ne cherche plus qu’à préserver son titre de député, a décidé de ne pas se représenter et de consolider ses appuis en appelant à voter… Marc Marcangeli. Ce qui achève de le discréditer, car l’on se souvient ici qu’il disait en septembre avoir saisi la justice pour « dilapidation de fonds publics », accusant le maire de recrutements électoraux et de distribution laxiste d’aides sociales. Marc Marcangeli, qui ne croule pas sous les soutiens enthousiastes, à part celui du Comité central bonapartiste – qui salue toujours en lui le « seul maire bonapartiste du monde » – ne crache pas sur celui-là: « On a besoin de tout le monde, dans une élection… »
Un trublion guette aussi les voix orphelines de José Rossi: Charles Napoléon. Candidature prise très au sérieux, que ce soit avec respect – beaucoup ne parlent que du « prince » pour désigner ce dernier descendant de l’Empereur – ou avec fatalisme: « Il ne faut pas oublier le particularisme d’Ajaccio: avant même d’ouvrir la bouche, un âne malade nommé Napoléon y ferait d’emblée 5% des voix », note avec amertume un candidat. Charles Napoléon, quoiqu’il fût inconnu, a créé la surprise en septembre dernier, avec 6,6% des voix. Le prince n’est pourtant pas très couleur locale. Ancien de la Datar (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale), ce technocrate de 50 ans, que l’on pourrait prendre pour un touriste anglais, a créé à Paris une société de conseil aux collectivités locales. Conscient de son nom, il veut « mettre l’image d’une famille à la disposition d’un projet ».
Projet sérieux et plein comme un oeuf (infrastructures, tramway, fonds européens, formation permanente, etc.), car le grand héritier se réclame plus de Mendès France et de l’ « approche des Groupes d’action municipale » que du bonapartisme, dont « la partie politique ne [le] concerne pas ». Tout en faisant observer que l’actuel maire bonapartiste n’est pas très attentif à la mémoire de son ancêtre: « La maison natale de Napoléon ne reçoit que 70 000 visiteurs par an, alors qu’ils sont 2 millions à l’île d’Elbe! Il y a un problème… »
Le prince, qui se dit certain de dépasser les 10% au premier tour, pourrait devenir l’arbitre en cas de duel serré entre Marc Marcangeli et Simon Renucci. Ajaccio n’en a pas fini avec les Napoléon.
En savoir plus sur http://www.lexpress.fr/informations/ajaccio-l-heure-des-comptes_641529.html#wy5AlZHFiz6rSDc5.99
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by @Lazezu
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