«Du vivant des grands révolutionnaires, les classes d’oppresseurs les récompensent par d’incessantes persécutions; elles accueillent leur doctrine par la fureur la plus sauvage, par la haine la plus farouche, par les campagnes les plus forcenées de mensonges et de calomnies.
Après leur mort, on essaie d’en faire des icônes inoffensives, de les canoniser pour ainsi dire, d’entourer leur nom d’une certaine auréole afin de ‘consoler ’ les classes opprimées et de les mystifier; ce faisant, on vide leur doctrine révolutionnaire de son contenu, on l’avilit et on en émousse le tranchant révolutionnaire. »
Lénine, L’Etat et la Révolution.
Exercice ô combien difficile – mais réussi – de Jackie Poggioli qui a présenté sa conférence organisée à Livia le samedi 31 aout sur le résistant Jean Nicoli. Le thème à débattre étant : « cette mémoire qui dérange ». Elle a ainsi mis en relief cette disparité constatable entre l’engagement historique du personnage, sa place avérée dans la résistance, et le discours officiel. Une disparité somme toute inévitable car du parcours du militant communiste émergeait également une certaine vision de la Corse …
Je ne veux méprendre personne : l’engagement politique du résistant est très clair. Il ne souffre d’aucune ambiguïté tant il stipule clairement son adhésion au courant révolutionnaire de l’époque alors incarné par le Parti Communiste Français. Son investissement au sein de la résistance est une courageuse continuité de son choix politique. Il l’assumera d’ailleurs jusqu’au moment ultime de sa vie en écrivant : « Soyez fier de votre papa. Il sait que vous pouvez l’être, la tête de Maure et la fleur rouge, c’est le seul deuil que je vous demande. Au seuil de la tombe, je vous dis que la seule idée qui, sur notre pauvre terre, me semble belle, c’est l’idée communiste. Je meurs pour notre Corse et pour mon Parti. »
Si nul ne peut contester le droit du Parti Communiste Français à revendiquer la personne de Jean Nicoli, nul ne peut tout autant dénier pour ce dernier, la légitimité de la place de son action, son importance et son influence dans l’histoire récente de la Corse.
L’autorité morale – attestée – de la résistance dans la mémoire collective corse est indéniable. Pourtant l’affichage officiel qui lui est donné, à contrario de ses objectifs aspects historiques, tient plus de l’insidieuse récupération par le système établi afin de la disjoindre de toute analyse patriotique corse. Il en va de même pour le personnage – déconcertant – de Jean Nicoli. Mais selon un exercice beaucoup plus complexe car il s’agit en même temps de l’ancrer dans un schéma pré – établi tout en cherchant à camoufler la connaissance et la portée de ses réflexions et de son engagement dans le contexte de ces dernières années par crainte d’une traduction identitaire.
La distorsion historique pédagogiquement expliquée par Jackie Poggioli ce jour – là démontre toute la difficulté du système établi à contenir une mémoire au même titre qu’il n’a pu empêcher la réhabilitation du résistant désirée et soutenue par une ardeur populaire.
L’engagement d’anciens résistants au sein du mouvement patriotique corse met à mal toute la perversité du système établi à contrôler et diriger l’histoire de la résistance corse. Au même titre qu’il ne peut empêcher une objective analyse historique des aspirations autonomistes et nationalistes de l’entre deux – guerres qui ne saurait être réduite à la seule tentation irrédentiste.
Aujourd’hui le message de Jean Nicoli garde toute son actualité. L’injustice sociale qui sévit actuellement en Corse rappelle tout autant ce que son petit – fils, Ghjuvanni Nicoli écrivait en 1979, quelques mois avant son procès devant la Cour de Sureté de l’Etat : « Il faut enfin lutter pour la fin de l’oppression coloniale génératrice d’oppression sociale ». Car l’iniquité sociale accompagne tout autant ce mépris colonial dont le Peuple Corse est – historiquement – victime. Une Lutte de Libération Nationale ne peut se dissocier de l’émancipation sociale. Le droit à la terre équivaut autant que le droit au pain, le droit au travail, le droit à la formation, le droit à l’éducation, le droit à l’enseignement, le droit au travail, le droit au salaire décent, le droit à la langue, le droit à la culture.
J’ai écouté attentivement ce que le représentant du Parti Communiste français de Portivechju présent au débat de Livia a tenu à souligner : Celui de revendiquer Jean Nicoli, non pas en tant que communiste corse mais en tant que communiste français. Cette mise au point – sans surprise – n’est qu’une énième et désuète confirmation des restrictions idéologiques du Parti Communiste Français sur la Corse. Je me permets pourtant de rappeler ce qu’un communiste, adhérent du Parti Communiste Français, avait affirmé en 1978 à San Gavinu di Carbini. Léo Micheli pour le citer s’exprimait ainsi : « Il faut prendre en main, de manière déterminée, le drapeau de la Corse avec tout ce que cela comporte de luttes nécessaires sur les plans économiques, culturels, sociaux, politiques, historiques et actuels (…). Ce qu’il faut à la Corse c’est un pouvoir corse qui doit faire la politique du Peuple Corse et de la Corse entière et en premier lieu celle des exploités, des jeunes sans travail, des travailleurs. (…). Lorsque Gênes à qui juridiquement, selon le code de l’époque, la Corse appartenait, fit ses représentations à la France, et lui demanda la restitution de l’île, les révolutionnaires corses et français répondirent que ce qui devait être décidé en la matière, c’était le « vœu du peuple ». Le « vœu du peuple », c’était la première application du fameux droit démocratique des peuples à disposer d’eux – mêmes qui, pour être vrai implique la liberté de séparation (ce qui ne signifie pas l’obligation de se séparer). Les communistes corses ont toujours été pour ce principe. »
Un proche avenir attestera – ou pas – si, à partir de l’espace quelque peu résolutif qu’est la Collectivité Territoriale de Corse, les forces politiques de la gauche française, dont le Parti Communiste Français, auront l’audace d’écrire, avec les forces patriotiques corses, les nouvelles pages de l’histoire moderne de la Corse et de son Peuple.
Pour ma part je rappellerai encore ici ce qu’énonçait Ghjuvanni Nicoli en 1979 : « Nous sommes les héritiers de la mémoire collective d’un peuple : Le Peuple Corse. Nous portons en nous des siècles de rébellion et de résistance. » Et de rajouter : « Il y a 36 ans, débutait à Bastia le procès de mon grand – père massacré le 30 aout par les fascistes italiens. Dans un mois à mon procès, je resterai fidèle à son idéal : la fleur rouge et la tête de maure. Evviva u populu corsu in lutta. Evviva l’indipendenza ».
(…)
by @Lazezu
#Corse « Jean Nicoli, libération de la Corse, l’histoire réappropriée »
Revue de Presse et suite de l’article :
sur Corse Matin, sur Alta Frequenza, sur RCFM, Sur Corsica, Sur le Journal de la Corse, Sur Alcudina, sur Corsica Infurmazione/Unità Naziunale, sur France 3 Corse, Sur Corse Net Info (CNI)
Corsica Infurmazione: l’information de la Corse, des Réseaux sociaux et des Blogs politiques [Plateforme Unità Naziunale]